La situation juridique des Bosniaques

Le conflit en Bosnie-Herzégovine, qui a duré de mars 1992 à novembre 1995, date des accords de Dayton, a conduit à l'exode de près d'un million de personnes hors du territoire de l'ancienne Yougoslavie. La France, selon les estimations du HCR en 1994, a reçu sur son sol environ une dizaine de milliers de personnes originaires de ces zones de crise. L'effort français a été relativement modeste par rapport à celui de pays comme l'Allemagne, la Suède, l'Autriche et la Suisse, qui ont accueilli à eux quatre 90 % du million d'exilés.


Dayton Agreement Le président Slobodan Milosevic de la République fédérale de Yougoslavie , le président Alija Izetbegovic de la République de Bosnie-Herzégovine , et le président Franjo Tudjman de la République de Croatie paraphant les accords de paix de Dayton le 14 décembre 1995.Les autorités ont expliqué la faiblesse de l'accueil français par une forte implication du pays dans les opérations militaires et humanitaires sur place. Elles ont affirmé leur volonté de ne pas cautionner les déplacements des populations hors de Yougoslavie pour ne pas faciliter la tâche de ceux qui souhaitaient créer une homogénéité ethnique. Cette position a fait l'objet de nombreuses critiques tant du HCR que du CICR et des associations caritatives en France et en Bosnie. La situation sur place justifiait le besoin de quitter le pays pour une grande partie de la population menacée principalement par les Serbes de " nettoyage ethnique " - pratiques à présent qualifiées de crimes contre l'humanité par le Tribunal pénal international et peut-être à l'avenir de génocide par la Cour internationale de justice. La France a aussi imposé une politique de visa visant à dissuader les entrées sur le territoire en dehors des opérations orchestrées par l'Etat ou les associations humanitaires. En vertu d'une circulaire du 11 février 1993, il est exigé des ressortissants yougoslaves de se munir d'un visa pour franchir les frontières nationales. Pour les gens de Bosnie, pendant le temps du conflit, le visa ne pouvait être obtenu que grâce à la présentation aux autorités françaises consulaires à Zagreb d'un certificat d'hébergement et de soutien fourni par une famille d'accueil. Autant dire que peu de demandeurs d'asile franchirent les Alpes avec les précieux visas. La plupart des passages de frontières se sont faits clandestinement.

Un droit de séjour à géométrie variable

Le droit de séjour n'a pas été le même pour tous. Sur la dizaine de milliers de personnes parvenues jusqu'au territoire français, certaines ont obtenu la reconnaissance de leur statut de réfugié et les autres ont bénéficié d'un droit d'asile territorial temporaire. En vertu de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative à l'entrée et au séjour des étrangers en France et de la loi du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile, un étranger qui arrive sur le territoire français peut demander le statut de réfugié. Après un parcours tortueux, il peut entamer une procédure auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides - OFPRA. Il y verra sa qualité de réfugié reconnue si, aux termes de l'article premier de la Convention de Genève de 1951, il craint " avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et (…) ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays (…) ". En cas de rejet de sa demande par l'OFPRA, il peut saisir la Commission des Recours pour les Réfugiés -CRR - dans un délai d'un mois. Si la CRR annule la décision de rejet ou si dès la première étape l'OFPRA reconnaît le statut de réfugié, il lui est délivré une carte de résident en vertu de l'article 15 - 10 de l'ordonnance de 1945, ainsi qu'à son conjoint et à ses enfants mineurs. Dans le cas des demandeurs d'asile de Bosnie-Herzégovine, le traitement des demandes au début du conflit a fait l'objet de mesures dilatoires. L'administration, décontenancée par la situation en Bosnie, n'a pas voulu statuer rapidement sur ces demandes.

Par la suite, le statut a été accordé plus facilement que pour d'autres demandeurs d'asile. Selon les chiffres donnés par le ministre de l'Intérieur, M. Pasqua, à l'Assemblée Nationale le 30 août 1993, 875 personnes de l'ex-Yougoslavie ont demandé le statut en 1991, à la suite de quoi 91 décisions positives et 587 décisions de rejets ont été rendues. Il y a eu 2 354 demandes en 1992 comptabilisées par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, qui se sont traduites en 124 accords pour 994 rejets. Et du premier janvier au 31 mai 1993, on a compté 1 085 demandes, 968 accords et 495 rejets. En moyenne, 30 à 40 % des demandes ex-yougoslaves ont été accordées entre 1993 et 1996. Les personnes issues de couples mixtes et les déserteurs ont fait l'objet d'une bienveillance particulière. Pour les autres, il a été difficile de montrer qu'ils avaient une crainte individualisée, strictement personnelle, de persécutions, dans la situation de conflit interne généralisé. L'Office et la Commission ont toutefois reconnu que des personnes pouvaient craindre d'être persécutées non pas seulement par l'Etat mais aussi par les autorités ayant un contrôle de facto sur le territoire.

Un statut précaire

Le statut de réfugié n'est pas éternel. La Convention de Genève, en vigueur en France, prévoit une clause de cessation, à l'article 1, C, 5, qui énonce que "les circonstances à la suite desquelles une personne a été reconnue comme réfugiée ayant cessé d'exister, la personne ne peut plus continuer à refuser de se réclamer de la protection du pays dont elle a la nationalité". L'OFPRA et la CRR sont chargés de l'application de cette clause. Pour les Bosniaques, ils ont fait preuve d'une grande prudence dans cette procédure. Les Sections réunies de la Commission ont apprécié en décembre 1998 leurs craintes de retour par rapport aux autorités qui régissent la région d'origine, voire qui dirigent le secteur de la ville d'origine du requérant.

La division du pays en deux entités, la République serbe d'une part et la Fédération croato-musulmane, instituée par les accords de Dayton, a entériné une stricte répartition ethnique de la population et rendu difficile le retour de réfugiées dans leur lieu de résidence antérieur. Les accords prévoient cependant un droit au retour qui a été rappelé par la suite à de nombreuses reprises. En décembre 1998, le conseil de suivi des accords de Dayton a réitéré que la priorité de l'action internationale en Bosnie consistait à permettre le retour des réfugiés. Celui-ci ne s'est que très partiellement réalisé du fait de l'hostilité des pouvoirs locaux vis-à-vis du retour de personnes appartenant à une autre communauté. On estime à peu près à un demi million le nombre de rapatriés sur es quelque 3 millions de déplacés et réfugiés. Les quelques milliers de personnes qui ont obtenu le statut de réfugié en France ont pu rester sur le territoire après le rétablissement de la paix. Toutefois, certaines ont acquis la nationalité bosniaque, qui peut être une double nationalité: celle de l'entité serbe ou croato-musulmane et celle de la République de Bosnie-Herzégovine, à laquelle s'ajoute la nationalité d'un Etat voisin, comme celle de la Croatie ou de la nouvelle fédération de Yougoslavie. Les élections de septembre 1997, supervisées par l'OSCE, ont suscité les exilés à se réclamer de leur nouvel Etat, et ainsi ne plus compter sur la protection internationale. Et certains sont repartis d'eux-mêmes. Dans ces cas-là, ils ont perdu le statut de réfugié.

Pour les personnes qui ont été déboutées de leur demande visant à obtenir le statut de réfugié, ou qui ne l'ont pas demandé, les autorités françaises avaient prévu un droit d'asile territorial et temporaire. L'asile territorial est régi par la loi du 25 juillet 1952. L'article 13 prévoit que le ministre de l'Intérieur peut octroyer un asile territorial à une personne si sa vie et sa liberté sont menacées dans son pays. Pour les Yougoslaves, il s'est agi d'une version collective de cette procédure. Le télégramme n°1 162 du 3 août 1992 du ministère de l'Intérieur a garanti à tous les exilés originaires d'une " zone troublée " de l'ex-Yougoslavie, entrés régulièrement ou clandestinement en France et " pour autant qu'ils n'aient pas transité durablement dans un ays tiers après leur départ de l'ex-Yougoslavie ", une autorisation provisoire de séjour, A.P.S., de trois mois, renouvelable.

Si ces dispositions semblent adéquates, il convient de remarquer qu'elles peuvent donner lieu à des applications impropres par les administrations et que le renouvellement a nécessité une présence quasi constante des bénéficiaires dans les préfectures. La protection temporaire a été ensuite précisée par un total de 18 circulaires ministérielles. Ce dispositif a permis le séjour d'environ 10 000 à 15 000 personnes sur le territoire national. Celles d'entre elles qui étaient sans ressources ont reçu une aide sociale de 2 000 francs par mois et par adulte et de 750 francs par enfant. Une directive du 16 novembre 1992 du ministre des Affaires sociales et de l'Intégration a autorisé l'accueil de prisonniers civils bosniaques libérés des camps (en août 1992 par le C.I.C.R.) et leur hébergement sur des sites de villages de vacances. Des femmes seules, avec ou sans enfants, et des mineurs isolés ont été hébergés dans le village olympique d'Albertville. Les foyers Sonacotra ont également été sollicités par la DASS pour loger les personnes seules.

Par Sophie ALBERT

Vignette : le président Slobodan Milosevic de la République fédérale de Yougoslavie , le président Alija Izetbegovic de la République de Bosnie-Herzégovine , et le président Franjo Tudjman de la République de Croatie paraphant les accords de paix de Dayton le 14 décembre 1995 (Wikipédia, domaine public)

 

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