Le nouveau polar russe

Au cours de ces trois dernières années, de nombreux auteurs russes ont envahi nos librairies de romans policiers. Parmi ces auteurs qui font l'unanimité auprès d'un très large public, une majorité des femmes[1], parmi lesquelles Alexandra Marinina dont la renommée n'est plus à faire. Depuis 1998, date de parution du premier de ses romans traduit en français[2], celle que l'on surnomme la "tsarine du polar"[3] jouit d'une exceptionnelle notoriété. Pourquoi elle et pas une autre? Quelles sont donc les raisons d'un tel succès?


Il est vrai que la Russie d'aujourd'hui, instable et corrompue[4], provoque un regain d'intérêt voire une véritable fascination aussi bien pour le lecteur occidental qui découvre un univers méconnu, que pour le lecteur russe. C'est cette Russie-là qui semble être le lieu idéal pour planter le décor d'un roman policier.

Mais Marinina n'est pas la première à faire évoluer ses personnages dans les rues de Moscou, théâtre où se produisent des événements inquiétants, voire sordides. Par contre, elle innove en nous faisant pénétrer au sein du 38, rue Petrovka, siège de la milice de Moscou. Cette rue est située à quelques minutes à peine de la Place Loubianka où se dressent les bâtiments de ce qui était connu, il n'y a pas si longtemps, sous le nom de KGB avec tout ce que cela peu représenter dans l'imaginaire collectif. Les descriptions minutieuses qu'elle fait de ce lieu ne sont nullement surprenantes pour qui connaît l'histoire personnelle de l'auteur.

De son vrai nom Marina Alexeïvna, celle que nous connaissons sous le nom d'Alexandra Marinina est lieutenant-colonel au ministère russe de l'intérieur (elle ne quitte ses fonctions qu'en février 1998), avant de devenir écrivain; elle est également un criminologue de renom, auteur d'une thèse sur "l'influence des anomalies psychiques dans la personnalité des criminels", et d'une quarantaine d'ouvrages du même type.

C'est au début des années quatre-vingt-dix qu'elle commence à écrire ses romans et en 1995, elle en a déjà publié une dizaine en Russie, pour la plupart consacrés aux aventures du "maïor" Anastasia Kamenskaïa, son héroïne et alter ego. Cette dernière est une brillante criminologue (!) qui préfère passer son temps à éplucher des dossiers et à tenter de dresser le profil psychologique d'un criminel, que de poursuivre des enquêtes de terrain (celles-ci lui sont de toute manière plutôt déconseillées du fait de son état de santé). L'intérêt de ce personnage pour le lecteur, est sans nul doute lié au fait qu'il permet une certaine identification. En effet, même si Anastasia occupe une fonction que l'on peut qualifier de peu commune, elle n'en reste pas moins une femme avec ses préoccupations et ses soucis quotidiens (l'auteur ne nous épargne pas, en effet, les descriptions de la vie quotidienne moscovite, avec tout ce qu'elle peut avoir de stressant et d'épuisant).

Nous sommes donc bien loin de ces récits (pour la plupart d'outre-atlantique) où l'héroïne est décrite comme une femme à la fois belle, intelligente, heureuse, réussissant à combiner parfaitement une carrière de haut niveau et une vie privée enviée de tous, qui vit de surcroît dans un environnement idyllique! A la place, ce sont les perpétuelles bousculades dans le métro, les rues enneigées, les flaques de boue, la rudesse des gens, le travail en continu, la quasi absence de vie privée… en somme, la vie telle qu'elle peut parfois l'être dans la réalité (aussi bien russe qu'occidentale), à un moment donné. Certes, cette vision de la Russie n'a rien d'idéaliste mais reste, pour une part, purement fictive. Cependant, pour qui connaît ce pays, on est en droit de se demander où se trouve la frontière entre la réalité et la fiction…

 

 

Par Aurélie GAUTHIER

 

 

[1] GRASSIN, Sophie (avec CHEVELKINA Alla), "Une affaire de femmes", in L'Express, 23 mars 2000.
[2]Le Cauchemar, traduit en français par Galia Ackerman et Pierre Lorrain et publié au éditions Seuil/Policiers (364 pages). Deux autre romans ont depuis été publiés chez le même éditeur: La mort pour la mort en 1999 (329 pages); et La mort et un peu d'amour en 2000 (324 pages).
[3]ABESCAT, Michel. "Alexandra Marinina, "tsarine du polar" ", in Le Monde (supplément littéraire), 9 octobre 1998.
[4]Ce thème est malgré tout récurrent chez de nombreux auteurs de romans policiers qui ne sont pas obligatoirement russes. Chambres froides de l'écossais Philip Kerr est un exemple parmi tant d'autres (traduit de l'anglais par Laurence Kiéfé, Librairie des Champs-Elysées, collection Le Masque, 1994).