Les champions du régime

Ferenc Puskas (football), Nadia Comaneci (gymnastique), Sergueï Bubka (saut à la perche). Trois champions qui ont marqué l'histoire de leur sport respectifs. Trois figures mythiques qui eurent comme point commun de devoir porter malgré eux l'étendard de régimes politiques qui ne leur ressemblaient pas.


Ferenc Puskas, le "major galopant"

Né le avril 1927 à Budapest
Champion Olympique en 1952, vice-champion du monde 1954 avec la Hongrie
Six fois champions de Hongrie (avec Honved)
Cinq fois champion d'Espagne, vainqueur de la Coupe d'Europe des clubs champions 1960 avec le Real Madrid
84 sélections avec la Hongrie, 4 avec l'Espagne.

Il était le fer de lance de la légendaire équipe de Hongrie des années cinquante. Celle des Kocsis, Csibor, Hidegkuti, championne olympique en 1952, finaliste malheureuse de la coupe du monde 1954, vainqueur 6 buts à 3 de l'Angleterre à Wembley. Il fut aussi de la grande équipe du Real Madrid de Di Stefano, Gento, Koppa, vainqueur de la coupe des clubs champions en 1960.

De la Hongrie à l'Espagne, le parcours de Puskas a surtout été marqué par ses déboires avec un régime totalitaire. Au début des années 50, le premier secrétaire du parti communiste Mathias Rakozi démembre les deux équipes phare du pays Kipest et Ferencvaros pour imposer une phalange nouvelle. Honved, le club de l'armée, transformé le cas échéant en équipe nationale, accepte la charge sans ciller. Elle vole de succès en succès malgré la défaite de 1954. Puskas est même promu capitaine. C'est le "coup" de Budapest en 1956 qui met fin à la belle histoire. Privé de club et chassé du pays, abandonné par la FIFA, Puskas se réfugia en Espagne où il contribua à écrire la légende du Real. Il adopta la nationalité espagnole et acheva sa carrière internationale sous le maillot de l'Espagne.

Nadia Comaneci, la perfection
Née le 12 novembre 1961
Championne Olympique du concours général, des barres asymétriques et de la poutre en 1976
Championne Olympique à la poutre en 1980
Championne d'Europe en 1975, 1977, 1979.

Le Palais des sports de Montréal retenait son souffle. Les spectateurs venus assister au concours de gymnastique féminine des Jeux Olympiques de 1976 venaient de découvrir Nadia Comaneci, un petit bout de femme de quinze ans qui semblait délivré des lois de l'apesanteur. Après son programme à la poutre parfait techniquement et rempli d'une grâce magique, le temps s'était comme arrêté. Et la note s'afficha: 10.0. Du jamais vu. Nadia Comaneci venait d'entrer dans la légende. Elle remporta à Montréal deux autres titres olympiques. Mais le plus extraordinaire, c'est que les juges lui accordèrent six autres dix sur dix, bloquant d'ailleurs le programme informatique.

Cet exploit retentissant fut malheureusement le seul sur le plan sportif dans la vie de Nadia. Happée par les médias mais surtout par la propagande du régime Ceausescu, écrasée sous le poids de sa nouvelle responsabilité "d'héroïne du régime", Nadia perdit pied. Elle ne retrouva plus jamais son état de grâce canadien malgré un nouveau titre à la poutre à Moscou en 1980. Abandonnée par son entraîneur Bela Karoly, qui s'était occupée d'elle depuis l'âge de six ans, la faisant travailler sans relâche huit heures par jours, elle mit fin à sa carrière l'année suivante. Les ennuis commencèrent vraiment pour elle alors. Incapable de se reconvertir, attirée par les sollicitations incessantes de l'extérieur, Nadia souffrit d'être tenue en liberté étroitement surveillée. Elle choisit un jour de fuir, passa la frontière hongroise à pied, puis rejoignit Vienne, avant de s'envoler vers New York où elle fut accueillie en fanfare. Son mariage avec l'ancien gymnaste américain Bart Connor la tira définitivement des griffes du régime roumain. Elle vit aujourd'hui presque anonyme à Norman dans l'Oklahoma où elle a ouvert un gymnase. Mais ces trois chiffres: 1.0.0 sont gravés dans l'histoire du sport mondial.

Sergueï Bubka, le "tsar"
Né le 4 décembre 1963 à Voroshilovgrad (aujourd'hui Ludansk), en Ukraine
6 titres de champions du monde (1983, 1987, 1991, 1993, 1995, 1997)
Champion Olympique en 1988 à Séoul
35 records du monde

C'est à l'âge de quinze ans que Sergueï Bubka s'élança vers son destin lorsqu'il quitta sa ville natale de Voroshilovgrad (aujourd'hui Ludansk), en Ukraine, pour suivre son frère aîné à Donetsk. Commença alors pour ces deux adultes prématurés une vie à la dure sous la coupe de Vitali Petrov entraîneur exigeant à l'affût de tout ce qui pouvait servir à s'élever avec une perche. Sergueï se révéla au monde en 1983 au championnats du monde d'athlétisme d'Helsinki.

Il y remporta le premier de ses 6 titres (1983, 1987, 1991, 1993, 1995, 1997) mondiaux. Il eut moins de chance aux jeux olympiques: privé des jeux de Los Angeles en 1984 à cause du boycott soviétique, il remporta son seul titre en 1988 à Séoul. Mais Bubka restera surtout dans l'Histoire pour avoir été le premier à franchir la barre mythique des 6 mètres en juillet 1985. La coquette prime que ses dirigeants lui confisquèrent sur-le-champ ce jour-là, le conduisit à ne plus battre le record du monde qu'avec parcimonie, en ayant pris soin de s'arranger discrètement avec les organisateurs auparavant. Après la fin de l'Union Soviétique Bubka put enfin concourir pour lui-même. Il battit au total 35 records du monde dont le dernier, 6,14 mètres à Sestrières en Italie en 1994. Et il quitta l'Ukraine pour Monaco où il réside toujours aujourd'hui.

Par Adrien POUTHIER
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