Les Roms en République tchèque, entre revendications politiques et culturelles

Voilà une nouvelle qui a de quoi réjouir la communauté rom en République tchèque: c’est un groupe de rap tzigane, gipsy.cz, qui a été retenu pour représenter la République tchèque à l’Eurovision, à Moscou, en mai prochain. Une nouvelle encourageante pour une minorité ethnique qui fait toujours l’objet de discriminations.


Le terme «minorités» désigne, selon la définition proposée par Yves Plasseraud, Président du Groupement pour les droits des minorités (GDM), «des groupes culturels et linguistiques différenciés de la majorité environnante, conscients de cette différence et revendiquant une dose plus ou moins importante d’auto gouvernement»[1]. Il existe en Europe de nombreuses minorités mais la communauté rom est de loin la plus importante en termes de population (de 8 à 10 millions de personnes réparties dans l’ensemble des Etats membres).
Les Roms bénéficièrent d’une véritable reconnaissance européenne lorsque les ministres de l’Education de l’Union européenne signèrent en 1989, dans le cadre d’une résolution concernant la scolarisation, un texte historique et fondamental pour les Tsiganes: il fut admis, à compter de ce jour, «que leur culture et leur langue font partie du patrimoine culturel et linguistique de la communauté».

Les Roms en République tchèque

Le peuple rom est originaire des régions situées entre le nord-ouest de l’Inde et le plateau iranien. La plupart des Roms parlent le romani, une langue étroitement apparentée aux langues modernes indo-européennes de l’Europe, et plus particulièrement aux langues indo-iraniennes du Pakistan et du nord-ouest de l’Inde. Mais, le plus souvent, les Roms parlent également la langue dominante de la région dans laquelle ils vivent, voire parfois plusieurs langues.

En République tchèque, les populations roms se concentrent dans les grandes villes; majoritairement à Prague (notamment dans le quartier de Zizkov) et Ostrava.
Les Roms (de 250.000 à 300.000 personnes) ne sont pas les seuls «minoritaires», les Slovaques (de 300.000 à 500.000 personnes) constituent une minorité nouvelle aux côtés des Allemands (de 50.000 à 150.000 personnes). Ces chiffres ne sont toutefois que des estimations et doivent par conséquent être nuancés.

Le processus d’adhésion de la République tchèque à l’Union européenne fut ponctué de rapports de la Commission européenne sur les efforts réalisés par le pays en termes de protection des minorités (critères de Copenhague). Dans un rapport publié en 2000, la Commission s’était d’ailleurs dite «préoccupée par la quasi-inaction du gouvernement tchèque, en dépit du plan d’action et des institutions créées pour s’occuper du problème». Elle avait alors demandé au gouvernement tchèque «de promouvoir des mesures concrètes pour l’intégration économique et sociale des Roms»[2]. La priorité était alors de modifier la loi régissant l’accès à la citoyenneté tchèque (qui avait été refusée à des milliers de Roms).

La loi de 1993 (No 40/1993) régissant l'acquisition de la citoyenneté tchèque avait été critiquée pour ses effets discriminatoires, en particulier à l'égard des Roms. Des modifications apportées par la suite à cette loi ont permis l’acquisition de la citoyenneté tchèque par des Roms résidents de longue durée sur le territoire.

La représentation politique des Roms 

La vie des Roms en République tchèque a considérablement changé après la révolution de velours en novembre 1989.
A la suite de celle-ci, les Roms ont acquis un véritable statut: celui de minorité nationale qui leur permet de recevoir une éducation dans leur langue maternelle, d’utiliser cette langue dans leurs rapports avec l’administration et de se rassembler conformément au principe national. Désormais, les Roms sont représentés au gouvernement par l’intermédiaire du Conseil en charge des minorités au même titre que d’autres minorités présentes sur le territoire tchèque. Ce Conseil est un organe consultatif qui a pour tâche de faire valoir les intérêts des minorités nationales, donc également ceux de la minorité rom. Les intérêts de la communauté rom sont plus spécifiquement défendus au sein du Conseil gouvernemental pour la communauté rom.

En ce qui concerne la représentation politique de la communauté rom en République tchèque, on dénombre plusieurs mouvements importants. Initiative civique rom fut le premier parti politique rom à présenter ses candidats pour le Parlement de la Fédération tchécoslovaque aux élections libres de 1990. Ce mouvement demeure important en République tchèque aux côtés de l'Union démocratique des Roms et de l'Association civique pour la culture et la presse roms.

La pratique et l’enseignement du romani en République tchèque 

Il existe plusieurs variétés de romani pratiquées en République tchèque. La plus répandue est le romani slovaque, suivi par le vlax, le bohémien, le hongrois et le sinti (romani proche de l’allemand). Une large proportion des Roms vivant en République tchèque parlent l’ethnolecte romani de la langue tchèque, c’est-à-dire du tchèque contenant des éléments de romani. Ces différentes variétés ont été regroupées sous le terme générique «romani» en vue de la ratification de la Charte.

Le Rapport initial sur la mise en œuvre des engagements souscrits en vertu de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires en République tchèque (avril 2008) nous apprend également que «la protection des langues régionales ou minoritaires y fait partie intégrante de la politique globale relative aux minorités nationales. Elle relève principalement de la compétence du Conseil gouvernemental des minorités nationales»[3]. Au niveau régional et local, la protection est confiée aux bureaux et commissions des minorités nationales établis par les conseils régionaux et municipaux.

Le romani est aujourd’hui enseigné à l’école professionnelle supérieure du travail social, à l’établissement secondaire pédagogique et à l’école de commerce de Most dans le cadre du programme d’études «protection sociale –travail social avec des groupes ethniques», à l’établissement secondaire rom de travail social de Kolin (établissement privé), à l’école secondaire d’infirmières et à l’établissement secondaire de Prague 4 dans le cadre du programme «travail social avec des minorités ethniques».

La pratique du romani en République tchèque a également fait l’objet d’une vaste enquête réalisée par la Faculté de philosophie et des arts de l’Université Charles de Prague avec le soutien du ministère de l’Education. L’objectif majeur de l’enquête fut de «déterminer la vitalité du romani et des ethnolectes du tchèque dans différentes sphères de la communication, en tant qu’éléments de l’héritage culturel méritant d’être préservés […] et d’appréhender la structure sociale des locuteurs du romani (répartition géographique, hétérogénéité, densité, structures des âges, taille de la municipalité, niveau scolaire atteint, etc.)».

L’un des objectifs majeurs de l’Union internationale des Roms (IRU) fut l’unification et la codification de la langue pratiquée par l’ensemble de la communauté rom. Ce fut d’ailleurs l’un des thèmes abordés lors de son congrès mondial qui s’est tenu à Prague en juillet 2000. Ce congrès fut présidé par Emile Scuka, avocat et fondateur du premier parti rom de la République tchèque.
«Milena Hubschmannova» fonda le tout premier institut d’études rom à l’université Charles de Prague. Elle a également enseigné la langue rom à l’Ecole des langues de Prague. La maîtrise de la langue rom lui a permis de gagner la confiance des communautés dont elle a recueilli les contes, les histoires et les proverbes. Elle fut également à l’origine d’un dictionnaire rom-tchèque et tchèque-rom et d’une revue, Romano Dzaniben.

La promotion du romani en république tchèque 

Les pouvoirs publics tchèques ont souhaité que les médias intègrent l’actualité des minorités nationales, ethniques et linguistiques dans leurs programmes. A ce titre, la télévision tchèque a diffusé de 1990 à 1999, Romaniale, un magazine destiné aux roms.

Le ministère de la Culture soutient un ensemble de périodiques rédigés en romani tels que Romani hangos (bimensuel publié par la société de prévoyance publique Association des roms de Moravie) et Kereka-Kruh (mensuel publié en tchèque et en romani par l’Alliance démocratique des roms de République tchèque»).

En 2007, les projets et les activités subventionnés par le ministère de la Culture dans le cadre d’un programme soutenant l’intégration des membres de la communauté rom ont inclus le projet «La culture rom dans les médias» de l’Association rom de Liberec ainsi que la publication de livres Les subventions allouées au titre de ce programme se sont élevées à 2.000.000 CZK.

Culture et identité de la communauté rom

Comprendre et décrire l’identité de cette minorité ethnique passe nécessairement par les témoignages de ceux qui la composent. Citons à ce titre le témoignage de Stefan Mika, 36 ans, maçon et musicien, recueilli en 1991 au cours d’une enquête des étudiants de la Faculté de pédagogie de Prague[4].
«J’ai été l’enfant le plus heureux du monde jusqu’à mes six ans. Je vivais tranquillement. Tous les soirs, la famille ou d’autres Roms venaient nous voir. On racontait des histoires, on faisait de la musique, on chantait. J’avais six ans à peine et je touchais déjà à la guitare. Puis, je suis allé à l’école et pour la première fois, j’ai compris ce que c’était qu’être rejeté. J’ai compris que j’étais différent des autres. J’ai compris ce que c’était qu’être malheureux. D’abord je ne comprenais pas de quoi on parlait à l’école. Mes parents parlaient avec nous le rom et le tchèque. Je croyais que je savais parler le tchèque, mais le tchèque de ma maman n’était pas celui que parlait la maîtresse».

La culture et l’identité de la communauté rom s’articulent autour de la musique et de la famille. Les études sociologiques et anthropologiques consacrées à la communauté rom ont effectivement mis en lumière la prééminence de la dimension familiale et communautaire. Elles font état d’un véritable «vouloir vivre» ensemble qui est une des dimensions de la vie sociale des Roms. Les Roms de République tchèque sont en majorité sédentaires comme ailleurs dans cette partie de l’Europe.

Nombreux sont les endroits qui, à Prague, proposent des concerts de musique tzigane. La musique, élément central dans la culture tzigane, représente un moyen pour la communauté rom de partager une culture enracinée dans le passé «faite de rites qui ne sont ni inscrits dans l’espace, ni conservés par écrit»[5]. Les Roms de République tchèque souhaiteraient que leurs pratiques artistiques soient davantage valorisées au sein de la société.

Des associations roms et d’aide aux Roms sont réparties sur l’ensemble du territoire tchèque. Le musée de la culture rom, Muzeum romské kultury, se situe à Brno. Les collectes et les archives documentant la vie de la minorité rom sont gérées par ce musée emblématique qui relève de la compétence du Ministère de la Culture.
Le projet de fonder un musée de la culture rom avait d’ailleurs été défendu par plusieurs partis politiques au cours de la période qui a suivi la révolution de velours. En 2005, le musée est devenu une véritable organisation bénéficiant du soutien financier de l’Etat.<br<
La culture rom a également inspiré des réalisateurs tchèques qui ont choisi cette thématique pour leur film. Le film Marian du réalisateur Petr Vaclav avait recueilli à sa sortie, en 1996, l’assentiment du public et avait connu un certain retentissement en France notamment. Un film tout juste sorti en salles, El Paso, du réalisateur Zdeněk Tyc puise également dans l’univers des Roms puisqu’il s’inspire de l’histoire authentique d’une famille rom. La communauté rom de République tchèque compte de nombreuses personnalités qui se sont illustrées tant dans l’écriture que dans la musique.

Les différences entre les Tchèques et les Roms se sont accentuées dès la fin du 19e siècle. La production industrielle ainsi que la scolarité obligatoire ont alors contribué à modifier les mentalités tout en «marginalisant» les Roms, essentiellement artisans habiles et musiciens. Avant la Première Guerre mondiale, la majorité des Roms adultes était analphabète, ce qui n’est pas étonnant compte tenu de l’importance de la tradition orale au sein de cette communauté.

Le manque de connaissance des Tchèques à l’égard de la culture rom est une des causes les plus fréquemment invoquées pour expliquer les difficultés rencontrées. Les écrivains appartenant à la communauté rom ont d’ailleurs un rôle à jouer dans la mesure où leurs écrits sont susceptibles de permettre à la majorité tchèque d’appréhender un monde qui leur est totalement étranger.

Les Roms seraient pour l’Europe un «vecteur d’intégration politique, par leur position à la fois centrale et inspiratrice de réflexions et d’actions concernant les autres minorités et les fonctionnements sociopolitiques et géopolitiques plus larges»[6].

On a attribué à Vaclav Havel, président de la République tchèque de 1990 à 2003, de nombreux commentaires concernant les Roms; ce qui est certain c’est que celui-ci a souvent montré sa sympathie à leur égard. En 2002, il a reçu dans les jardins du château de Prague des participants au festival de la culture rom, Khamoro, qui se tient tous les deux ans, en mai, à Prague. Il a également défendu la cause de cette communauté auprès de l’Union européenne en affirmant volontiers que «la façon dont sont traités les Tsiganes représente le vrai test, non seulement pour une démocratie mais d'abord pour une société civile».

[1] Yves Plasseraud, «Minorités et nouvelle Europe», Le Courrier des pays de l’Est, n° 1052, novembre-décembre 2005.
[2] http://www.europarl.europa.eu/fr
[3] http://www.coe.int/t/dg4/education/minlang/Report/PeriodicalReports/CzechRep
[4]BALVIN Jaroslav, «La société tchèque et les Roms», La nouvelle Alternative, revue pour les droits et les libertés démocratiques en Europe de l’Est, n° 44, décembre 1996.
[5] Christophe Robert, Desclée de Brouwer, Eternels étrangers de l’intérieur, 2007.
[6] LIEGEOIS Jean-Pierre, «Les Roms au cœur de l’Europe», Le Courrier des pays de l’Est, n° 1052, novembre-décembre 2005.

* Clémence COTTINEAU est étudiante en Master 2 de Droit communautaire et international à la Faculté de Droit et des Sciences Politiques de Nantes.

Photo : Clémence Cottineau </br<