L’oina, un sport national roumain?

L’oina est considérée comme un sport national en Roumanie. Pour autant, en dépit des tentatives, passées comme présentes, de mobilisation de la population au nom du sentiment national, elle peine aujourd’hui à survivre, avec moins de mille joueurs professionnels. 


image extraite du clip publicitaire de Kandia pour les biscuits au rhum.L’oina[1] est un sport traditionnel roumain proche du baseball américain ou de la lapta russe. Tant les Roumains que les Russes revendiquent l'antériorité de «leur» sport, apparu au Moyen Âge et présenté comme l’ancêtre du baseball, variation américaine apparue récemment. D'ailleurs, en Russie, une hypothèse veut que le baseball aurait été développé par les immigrés russes au XVIIIe siècle. L’oina, qui connaît un désintérêt certain de la part de la population roumaine, a été instrumentalisée de différentes manières depuis le début du XXe siècle afin d'attiser le sentiment national à des fins politiques ou commerciales.

La longue histoire d’un «sport national» aujourd’hui méprisé

Les origines de l'oina sont incertaines: jeu de guerriers ou plutôt de bergers, originaire de Moldavie, à moins que ce ne soit de Valachie où ce sport fut mentionné pour la première fois par écrit au XIVe siècle. Son vocabulaire est inspiré du domaine pastoral: le capitaine est nommé «baci» (berger) et le nom d’oina lui-même est dérivé du mot «oi» (moutons). La première mention de l'oina en dehors de son aire de pratique est faite en 1596 par le géographe italien Gian Lorenzo d’Anania dans son Système Universel du Monde, au chapitre dédié à la Valachie supérieure. Introduit dans le programme scolaire de certaines écoles moldaves et valaques dès 1804, il a fallu attendre 1899 pour que Spiru Haret, ministre roumain de l'Éducation sous Ferdinand Ier, pose les bases modernes de ce sport populaire dans le royaume. Il a ainsi décidé, d’une part, d’intégrer l’oina aux cours d’éducation physique et, d’autre part, d’organiser les premières compétitions annuelles interscolaires.

Signe de reconnaissance officielle, le règlement complet de l'oina fut publié dans le Moniteur Officiel du 3 juin 1912. Selon les règles contemporaines, les quelques différences avec le baseball se résument au nombre de joueurs (deux de plus pour l’oina soit, au total, onze joueurs), à une batte plus longue et plus mince ainsi qu’à des parties de trente minutes seulement. La première Fédération roumaine d’Oina (Federația Românã de Oinã) fut fondée en 1932. L’ère communiste, et plus spécifiquement du nationalisme de Ceaușescu, qui cherchait par tous les moyens à se distancer du socialisme soviétique, a offert à l'oina sa période de gloire. Telle est l’image que donnent les pages Internet consacrées à ce sport. Mais, en dépit des efforts des autorités, l’oina s’est toujours trouvée dans l’ombre du football et de la boxe, plus populaires. Après la chute du régime communiste en 1989, l’oina était regardée avec ironie par les jeunes générations et semblait vouée à disparaître[2]. Pour répondre à cette situation, une ample campagne de promotion a été lancée dans les années 2000.

Un renouveau à partir des années 2000?

Depuis 2008, plusieurs pays ont participé à la Compétition internationale des Sports apparentés à l’oina, qui s’est déroulée à Séoul (Corée du Sud), Constanța (Roumanie)[3], Kiel (Allemagne), etc. En 2010, l’équipe roumaine a remporté la finale contre l'équipe allemande.

Cependant, des efforts titanesques semblent devoir encore être déployés à cause du manque de financement et du désintérêt du public roumain[4]. Si, aujourd’hui, il existe une fédération en Roumanie et une autre en Moldavie, des pourparlers ont été engagés pour fonder d’autres fédérations en Bulgarie, en Serbie, voire même en Suède, car l’Association culturelle nordico-roumaine s’est engagée à diffuser la pratique de ce sport dans la partie nord de l’Europe, afin de pouvoir constituer une fédération internationale. Depuis que des troupes américaines stationnent en Roumanie, les sportifs roumains ont aussi eu l’occasion d’effectuer des matchs amicaux avec les militaires américains.

Bien que cela ne révèle qu’un renouvellement partiel avec ce jeu ancestral, la Fédération tout comme les supporters –ces derniers étant regroupés dans l’association Oina– tiennent un discours plein de dévouement et imprégné d’une rhétorique nationaliste sur le thème d’un passé sacralisé. Sur le site Internet de la Fédération roumaine d'Oina[5], il est affirmé qu’en «donnant naissance à l’oina, l’un des jeux fondateurs de la vie sportive roumaine, les Roumains ont apporté un peu d’originalité dans la grande famille du sport mondial». Avec une dose de fierté mais aussi de nostalgie, il y est en outre écrit: «des trésors de jeux pour enfants et pour jeunes des générations d’antan, peu ont résisté à l’épreuve du temps […], l’oina a des racines trop profondes dans l’âme des roumains du monde entier pour pouvoir être sortie du circuit de nos valeurs culturelles. […] L’oina n’est pas n’importe quel sport, mais c’est aussi une attitude pénétrée de la conscience militante pour le respect des traditions de notre peuple.» Enfin, la devise de l’association Oina, fondée en 2005 dans le but de réunir les amateurs pour relancer la pratique de ce sport, est «Oina – le jeu qui nous unit»[6]. Il s'agit là probablement d'une référence à la chanson folklorique La Ronde l’Union, chantée lors de la petite union des principautés roumaines en janvier 1859, pour devenir ainsi une sorte d'hymne officieux de la Roumanie.

Des campagnes publicitaires qui instrumentalisent l’oina

La compagnie publicitaire McCann Erickson a, elle aussi, instrumentalisé l'image de l'oina dans la mémoire nationale. Elle s'est inspirée en cela d'une campagne publicitaire pour des produits lactés, initiée par Danone sous le slogan «Traditions de Roumanie» et qui a envahi l’espace public roumain depuis quelques années. Toutes ces campagnes publicitaires font du patriotisme des Roumains et de l’idée que les étrangers ne les apprécient pas de véritables instruments de marketing de plus en plus efficaces[7]. McCann Erickson a conçu pour les biscuits Rom (mot roumain pour rhum) une campagne qui présente les inventions roumaines dont les étrangers tirent aujourd’hui profit. Ainsi, pour se venger de l’Occident qui aurait «volé» des créations roumaines, la marque Kandia propose aux Roumains, avec le slogan «la vengeance est douce», de «voler» les biscuits aux Anglais pour en faire un succès Rom[8]. Parmi les autres inventions roumaines que la campagne propose de mettre en valeur sont alors justement présentées le stylo, la pénicilline, la cybernétique, l’avion à réaction et l’oina[9]!

Cette dernière y est présentée comme un sport national que les Américains auraient volé aux Roumains. La campagne a même été accompagnée d’une pétition demandant aux Américains «de reconnaître l’origine roumaine du baseball, de chanter, au moins lors d’un match officiel, l’hymne de la Roumanie en ouverture et d’habiller les pom-pom girls en costume folklorique roumain»[8]. Nae Drãghici, champion national d’oina, fut le premier à signer la pétition. Le 10 octobre 2013, Kandia a envoyé à la Ligue américaine de Baseball un colis comprenant les 5.000 signatures recueillies, l'enregistrement de l'hymne national roumain avec sa transcription phonétique, une proposition de logo, un costume folklorique de pom-pom girl et un sandwich Rom. Les responsables de la campagne ont reconnu que ces demandes sont surtout symboliques et qu'ils attendent seulement une réaction de la part des officiels américains, misant sur leur sens de l’humour.

Certes, ce type de campagne semble obtenir le résultat escompté: près de 5.000 signatures ont été recueillies pour la pétition, plus de trente millions paquets de biscuits Rom sont vendus chaque année[10]. Pourtant, la pratique proprement dite du sport peine, en dépit des efforts. Seuls quarante clubs existent sur l’ensemble du territoire national et seules quatre compétitions internationales ont été organisées en 2013 (au Japon, en Serbie, en Pologne et en Moldavie). En outre, selon le Centre national roumain de statistiques, le nombre de joueurs professionnels serait passé d'environ 2.700 en 1992 à 855 en 2012 pour 28 arbitres et 29 entraîneurs. Nombreux sont ceux et celles à se demander si, après au moins sept siècles d’existence sur le territoire national, l’oina est aujourd’hui vouée à n’être, pour cette nation de footballeurs et rugbymen[11], plus qu’un symbole.

Notes :
[1] «Oinã» est le nom commun de genre féminin sans article défini, tandis que «oina» est la forme définie.
[2] Bogdan Popa, «Oina – sportul national uitat», Historia, septembre 2010.
[3] Compétition organisée après que des universités américaines et des particuliers finnois se sont montrés intéressés pour apprendre plus au sujet de ce sport. Voir «Americanii recunosc ca ne-au furat oina», agenda.ro, juillet 2008.
[4] Don Cãrlea, «Oina – o frumoasa traditie neglijata», Ziarul Lumina, 16 Juin 2012.
[5] Historique de l’Oina sur le site de la Fédération roumaine de Oina:
http://froina.ro/
[6] Cf. www.oina.ro/
[7] Mihai Voinea, «Reclamele care reaprind patriotismul românilor: O campanie Rom le cere americanilor sã recunoascã faptul cã baseballul se trage din oinã», Adevãrul, 8 octobre 2013. [8] Le spot publicitaire en roumain peut être vu ici: publicitateromaneasca.wordpress.com
[9] Page en roumain dédiée à cette campagne et, en particulier, à la pétition et aux événements organisés à son sujet: www.romautentic.ro/
[10] «Campanie ROM de peste 100.000 de euro: Kandia Dulce intra pe piata biscuitilor cu ROM Sandvis», adplayers.ro, septembre 2013. 
[11] Selon les statistiques de 2012, il y a 120.520 footballeurs professionnels, 5.735 arbitres et 1.918 entraîneurs: statistici.insse.ro

Vignette : image extraite du clip publicitaire de Kandia pour les biscuits au rhum.
publicitateromaneasca.wordpress.com