Minorité allemande et représentation politique en Pologne

Depuis une vingtaine d’années, la présence de la minorité allemande est visible à tous les niveaux de la scène politique polonaise: local, régional et même central.


Archives de KWW Mniejszośc NiemieckaSon identité, reconstruite et reconnue après la chute du communisme, a permis à cette minorité de se munir de structures solides et de mobiliser les électeurs se déclarant de «nationalité allemande» (narodowość niemiecka en polonais). Ainsi, les parlementaires issus de la minorité allemande sont devenus un élément stable du paysage politique polonais, même s’ils sont de moins en moins nombreux.

Les «Allemands» (Niemcy en polonais) constituent aujourd’hui la plus importante minorité nationale de Pologne. Lors du recensement de la population en 2002, 147 094 citoyens polonais se sont déclarés de nationalité allemande[1]. Un grand nombre d’entre eux disposent également de la citoyenneté allemande, attribuée suite à une procédure de vérification des origines allemandes.

En 1945, durant la Conférence de Potsdam, les dirigeants des puissances victorieuses de la Seconde Guerre mondiale redessinent la carte de l’Europe. Les frontières polonaises sont alors déplacées vers l’ouest. Le territoire polonais se situant à l’est de la rivière Bug est rattaché à l’URSS, tandis que la frontière occidentale de la Pologne rejoint le fleuve Oder (en polonais Odra) et son affluent, la Neisse (Nysa Łużycka). Ces modifications de frontières entraînent de vastes mouvements de population, plus ou moins forcés. La situation des Allemands se retrouvant après la guerre sur le territoire de la Pologne s’avère alors particulièrement difficile. Considérés comme l’incarnation du mal, ils subissent un rude traitement. Les personnes âgées, les malades, les enfants et les femmes enceintes sont expulsés les premiers vers les territoires allemands occupés par les puissances alliées, tandis que les personnes aptes à travailler sont exploités dans l’industrie, leur expulsion étant retardée. Les conditions sanitaires et médicales, déplorables, favorisent la diffusion des maladies[2].

Sont alors considérées comme allemands à la fois de « vrais » Allemands, sans aucun lien avec la nation polonaise, des populations autochtones avec une forte identité régionale et des Volksdeutschen. Ces derniers sont d’anciens citoyens polonais inscrits sur les listes nationales allemandes (en allemand Deutsche Volksliste) pendant la Seconde Guerre mondiale. Même si leur choix fut le plus souvent dicté par leur volonté de survivre dans les conditions extrêmement dures de la guerre, ils furent souvent considérés comme des traîtres de la nation polonaise au lendemain de celle-ci.

Dans les années suivant la Seconde Guerre mondiale, les Allemands furent expulsés des nouvelles terres polonaises vers l’ouest à plusieurs reprises, ou soumis aux actions de vérification (akcje weryfikacyjne), c’est-à-dire à l’exigence de déclarer leur nationalité polonaise. Sous peine de quoi ils risquaient d`être harcelés par les autorités communistes de la Pologne. Comme le note Christian Giordano, la Pologne devient « presque mono-ethnique »[3].

Hormis quelques initiatives de faible ampleur, il n’y a donc pas véritablement de mouvement allemand organisé sur le territoire polonais à cette époque. De ce fait, l’organisation d’un mouvement culturel allemand en Pologne reste très limitée. La passivité de la minorité allemande s’explique par sa structure sociale: les intellectuels ont été expulsés ou ont fui les territoires devenus polonais, et c’est donc une population rurale qui forme l’essentiel des Allemands polonais. En outre, le droit au regroupement familial provoque une grande émigration vers les territoires allemands occupés, ce qui ne facilite pas l’émergence d’organisations représentant la population allemande en Pologne. Même ceux qui, juste après la guerre, s’étaient empressés d’obtenir la citoyenneté polonaise, se montrent déterminés à prouver leur nationalité allemande, quelques années plus tard, pour pouvoir quitter ce pays qui leur semble désormais hostile. Sous le régime de Władysław Gomułka en particulier, de 1956 à 1970, l’idée d’homogénéité nationale est de plus en plus mise en avant dans la politique de l’État. L’attitude anti-allemande forme d’ailleurs l’un des éléments de la légitimation nationale du système politique[4].

Vingt ans de présence au Parlement

Toutefois, la minorité allemande s’éveille à la chute du communisme en 1989. L’avènement de la démocratie libérale en Pologne favorise la renaissance des groupes minoritaires sur le plan social et politique. Par rapport aux autres minorités, ce sont surtout les Allemands polonais (qui possèdent souvent la citoyenneté polonaise et allemande à la fois) qui réussissent à créer des structures socioculturelles fortes et même à manifester leur présence sur la scène politique nationale grâce une liste électorale particulière, la « Minorité allemande ». Les neuf autres minorités nationales et les quatre minorités ethniques reconnues par les autorités polonaises n’ont jamais eu de représentants élus au Parlement polonais sur une liste représentant spécifiquement leurs intérêts.

Cette présence allemande dans la vie politique polonaise se fait remarquer durant les élections partielles au Sénat en février 1990, avec la candidature de Henryk Kroll au nom de la minorité allemande. Même si celui-ci échoue au second tour du scrutin, c’est la première fois qu’un électorat se réclamant de la minorité allemande se mobilise. Cependant, cette élection est également marquée par l’émergence de fortes tensions ethniques.

Les élections se déroulant l’année suivante, elles, ne provoquent plus de problèmes interethniques significatifs. En 1991 s’ouvre la première législature entièrement libre de la chambre basse du Parlement (la Diète, Sejm). Sept députés issus de la minorité allemande en font partie, dont Henryk Kroll, devenu le véritable leader des Allemands polonais. Ces sept députés sont originaires d’une seule et même région, la Haute-Silésie (formée de trois voïvodies à l’époque : OpolskieCzęstochowskie et Katowickie). La voïvodie d’Opole en particulier (województwo opolskie) se distingue sur la carte électorale de la Pologne par sa forte représentation allemande (26,1 % des suffrages exprimés). De cette voïvodie est également issu Gerhard Bartodziej, unique sénateur de la Minorité. Il exercera deux mandats consécutifs au Sénat durant les années 1991-1997.

Aux élections parlementaires de 1993, le nombre de députés de la Minorité allemande s’amoindrit, passant de sept à quatre, deux d’entre eux (Henryk Kroll et Helmut Paździor) renouvelant leur mandat. Cette baisse du nombre d’élus allemands s’explique surtout, cependant, par le changement du système électoral national et par la consolidation de l’électorat polonais[5], l’électorat allemand étant de plus en plus difficile à mobiliser.

A partir de 1997, la Minorité allemande ne compte que deux députés. Son électorat ne cesse de diminuer. En 2007, seul un élu demeure au Parlement: Ryszard Galla, qui obtient son deuxième mandat consécutif à la Diète. Henryk Kroll, lui, perd son mandat pour la première fois depuis 1991. La défaite est lourde pour la liste électorale, à la fois en tant qu’organisation politique et pour son dirigeant. La direction de la plus importante association allemande passe aux mains des jeunes militants de la Minorité allemande. En 2008, Norbert Rasch, âgé de 37 ans, est élu à la présidence de l’Association Socioculturelle des Allemands (TSKN) de la Silésie d’Opole. Dans cette région, la Minorité allemande demeure une force réelle. Dans la Diétine de la voïvodie, qui compte 30 membres, siègent actuellement 6 conseillers de la minorité. Seule la Plateforme Civique, le parti au pouvoir en Pologne depuis 2007, possède davantage de conseillers (au nombre de 12).

Les élections parlementaires de 2011

La campagne électorale de la Minorité allemande dans la voïvodie d’Opole pour les élections législatives et sénatoriales en automne 2011 est imprégnée du style de son jeune leader. Elle s’avère très optimiste et dynamique, avec de nombreux dépliants électoraux, de grandes affiches exposées dans le centre-ville d’Opole, de multiples conférences de presse et un relais dans les médias régionaux. La devise du comité électoral, « Avec nous au-delà des partis » (en polonais : Z nami ponad partiami), qui souligne son caractère non-partisan, invite tous les habitants de la région à voter pour la minorité allemande. Des rassemblements traditionnels avec les membres des structures locales de la minorité sont également organisés.

Cette campagne politique, sereine et ouverte sur la majorité polonaise, est perçue plutôt positivement par les médias locaux. Seuls les candidats du parti conservateur de Jarosław Kaczyński, Droit et Justice (PiS), manifestent de l’hostilité envers la minorité, dénonçant les présumés privilèges des Allemands de Pologne[6]. En effet, le comité électoral de la Minorité allemande, comme toutes les minorités, n’est pas soumis au seuil de 5 % d’électeurs que doivent atteindre les partis politiques pour siéger à la Diète. Ce privilège ne vaut cependant qu’au niveau national, tandis que dans les circonscriptions locales, le seuil doit être dépassé, y compris par la minorité, pour obtenir des mandats. Les Allemands polonais ont ainsi reçu 8,76 % des voix dans la région d’Opole en 2011, mais n’ont pas réussi à augmenter le nombre de leurs députés au niveau national, et les deux candidats allemands au Sénat n’ont remporté aucun siège. À ce jour, Ryszard Galla demeure le seul élu issu d’une minorité nationale au Parlement polonais.

Le député Galla souligne qu’il ne travaille pas seulement pour la région d’Opole où se situe sa circonscription, mais pour l’ensemble de la minorité allemande présente en Pologne. D’après lui, des membres d’autres minorités, notamment rom et ukrainienne, s’adressent à lui pour qu’il œuvre en leur faveur[7]. Ryszard Galla joue donc un rôle de porte-parole des minorités et leur donne une visibilité dans la vie politique polonaise, tandis que ses prédécesseurs avaient contribué à créer la loi sur les minorités nationales et ethniques et sur la langue régionale, promulguée en 2005. Cette loi était très attendue par les groupes concernés, puisqu’elle précise les conditions d’exercice de leurs droits en Pologne, en particulier l’utilisation de la langue de la minorité comme langue auxiliaire dans certaines institutions d’État et pour désigner, à côté des noms polonais, les rues et les lieux, dans les communes où ces minorités sont significativement présentes.

Les Allemands polonais continuent d’être présents à l’échelle centrale de la politique, malgré une mobilisation plus faible de l’électorat, qui rend incertain l’avenir politique de la minorité. Les jeunes dirigeants parviendront-ils à maintenir l’identité allemande auprès des jeunes générations et à les convaincre de voter pour les candidats de la Minorité ? Là est la clé de la future représentation allemande au Parlement polonais.

Notes :
[1] www.mswia.gov.pl/portal/pl/61/37 [consulté le 26 novembre 2011]
[2] Bernadetta Nitschke, «Niemcy», in Stefan Dudra & Bernadetta Nitschke (dir.), Mniejszości narodowe i etniczne w Polsce po II wojnie światowej: Wybrane elementy polityki państwa, Kraków: Zakład Wydawniczy NOMOS, 2010, p. 42
[3] Christian Giordano, «Réformes agraires et tensions ethniques en Europe centrale et orientale», Études rurales 3/2001 (n° 159-160), p. 205-228.
[4] Sławomir Łoziński, «Polityka wobec mniejszości narodowych i etnicznych w Polsce w latach 1945-2008», in Stefan Dudra & Bernadetta Nitschke (dir.), op. cit. p. 22.
[5] Dariusz Matelski, Niemcy w Polsce w XX wieku, Warszawa-Poznań: Wydawnictwo Naukowe PWN, 1999, p. 304.
[6] Cf. http://www.nto.pl/apps/pbcs.dll/article?AID=/20111006/WYBORYPARLAMENTARNE01/255973347 [consulté le 26 novembre 2011]
[7] Ryszard Galla, «Jawna opcja niemiecka w polskim Sejmie», Newsweek.pl, accessible sur : http://polska.newsweek.pl/ryszard-galla--jawna-opcja-niemiecka-w-polskim-sejmie,83363,2,1.html [consulté le 10 novembre 2011]

Autre source :
http://www.vdg.pl/ [consulté le 10 novembre 2011]

* Agnieszka KUCZAŁA est doctorante en sociologie politique à l’Université Lille 2 et à l’Université de Silésie

Vignette : Archives de KWW Mniejszośc Niemiecka.