Pourquoi les Slovaques ont-ils besoin de Visegrad ?

Dès le début des années 90, qui virent l'émancipation des pays d'Europe centrale et orientale de la tutelle soviétique, l'idée d'une coopération étatique plus étroite entre la Tchécoslovaquie, la Pologne et la Hongrie connut un second souffle dans le cadre la coopération de Visegrad. Liés à plusieurs reprises par un destin historique et des traditions culturelles et politiques, ces trois pays ont également en commun un certain nombre de rivalités et de conflits.


Chateau de Visegrad Budapest HongrieCe balancement entre coopération et rivalité est si typique du destin centre-européen qu'on pourrait le considérer comme une sorte de paradigme politico-culturel, véritable emblème de la région. Le destin du groupe de Visegrad, ses grandes attentes et ses perspectives, son atrophie au milieu des années 90 et sa renaissance à la fin de la décennie, illustrent précisément ce paradigme.

Préhistoire de Visegrad

L'idée d'une coopération entre les nations d'Europe centrale appartient à la tradition de pensée commune à presque toutes les nations vivant entre la Russie et l'Allemagne. La nécessité de coopérer s'est effectivement imposée comme une réponse à la menace extérieure incarnée par les grandes puissances, dont les petites nations furent souvent les victimes. A l'époque de la monarchie habsbourgeoise, quelques esprits brillants réfléchissaient déjà à la transformation de l'Empire dualiste austro-hongrois en un Commonwealth multinational. Plus tard, dans l'entre-deux-guerres, les partisans d'une Europe centrale unie mirent de nouveau l'accent sur la nécessité, dans la région danubienne, d'une coopération économique, voire politique. L'émigration démocratique en Occident pendant la deuxième guerre mondiale, projeta, quant à elle, de nombreuses solutions pour une réorganisation de l'Europe centrale d'après-guerre ; l'idée mise en avant par cette mouvance était celle d'une fédération ou d'une confédération centre européenne qui permettrait de dépasser les erreurs de Versailles mais également les conflits de nationalités entre pays faisant partie de cette zone.

La guerre froide et le rideau de fer divisèrent, par la suite, l'Europe centrale en deux blocs Ouest et Est. L'Europe centrale disparut non seulement du dictionnaire politique mais également des cartes du monde désormais bipolaire. Quelques intellectuels, émigrés ou dissidents, redécouvrirent cependant l'expression "Stredna Europa" sans pour autant la considérer comme un phénomène purement esthétique ou historico-culturel, mais en y voyant les bases de la création d'une identité politique. Les discussions les plus significatives furent sans doute celles qui eurent lieu à propos de l'essai provocateur de Milan Kundera, Tragedy of Central Europe. Après la chute du communisme, la plupart des intellectuels qui avaient réagi à cette discussion devinrent des politiciens et des hommes d'Etat hantés par le rêve de transformer leurs réflexions esthétiques en réalité politique.

Brève histoire de Visegrad : Acte 1

C'est le président tchécoslovaque Vaclav Havel qui formula le premier, devant le Parlement polonais, le 25 janvier 1990, l'idée d'une coopération et d'une coordination politique. Il invita alors des représentants de la Hongrie et de la Pologne à une rencontre devant déclencher la coopération centre européenne à Bratislava, ville prédestinée, par son caractère multiculturel et multiethnique, à cette rencontre (Bratislava/Pressburg/Pozsony). À Bratislava, les trois pays s'accordèrent sur une déclaration commune. Quelques années après, un de ses acteurs, l'historien et diplomate Jaroslav Sedivy, s'en rappelle comme d'une réunion marquée par une préparation insuffisante et une immaturité "mentale" absolue qui se répercuta sur l'ensemble du scénario; celui-ci déclare d'ailleurs dans ses Mémoires : "Le projet de communiqué conçu au MAE de Prague était au-dessus des forces des fonctionnaires de là-bas, qui le préparèrent avec leur routine coutumière. […] La réunion de Bratislava ne fut pas trop réussie, l'embarras fut visible de tous les côtés."[1]Ce commentaire mérite d'être cité, notamment si l'on garde à l'esprit le texte du projet d'"ordre du jour de Visegrad", émanant d'un conseiller politique d'une des forces clés de l'époque, le VPN (Public contre la violence) slovaque. Il est intéressant de voir jusqu'où allait ce dernier, témoin de l'euphorie de l'époque, qui proposait la création d'une université et d'un Parlement centre européens.

La rencontre de Bratislava ayant été marquée par son absence de préparation, le véritable départ fut donné le 15 février 1991, à Budapest (château de Visegrad[2]), avec la signature de la "déclaration sur une position commune et coordonnée pour l'intégration paneuropéenne".

Václav Havel rappela, lors de son intervention, que cette rencontre prolongeait celle de Bratislava, et souligna que l'Europe de l'Ouest attendait une collaboration réussie des trois pays de Visegrad (V3), la capacité à coordonner leurs forces étant à leurs yeux un test de la maturité des nouvelles démocraties. Dans le même sens, le Premier ministre hongrois répéta que l'Occident n'aimait pas que les petits pays soient en conflit[3]. La perception et les attentes de l'Occident faisaient donc partie des impératifs les plus évidents de la coopération sans en être les seules et uniques raisons, comme Vaclav Klaus tenta avec insistance d'en persuader l'opinion publique.

La première phase de Visegrad permit un démantèlement coordonné du Traité de Varsovie (alors que la Hongrie par exemple souhaitait dès le début en sortir unilatéralement sans tenir aucun compte de complications ultérieures) et facilita la destruction du CAEM. Le mécanisme de Visegrad permit en outre des consultations entre centre européens : celles-ci concernaient des problèmes aussi brûlants que l'effondrement de l'URSS ou le début du conflit dans les Balkans. Après les hésitations initiales portant sur l'orientation de leur politique de sécurité, ces pays déterminèrent leur conception de rapprochement vers l'OTAN. Lors de la dernière réunion du V3, à Cracovie, intitulée précisément "la nécessité d'accroître qualitativement les relations entre le V3 et l'OTAN", ils déclarèrent que leur objectif à long terme "[était] l'admission dans l'OTAN[4]".

La coopération au sein de Visegrad bénéficia d'une certaine renommée chez les partenaires occidentaux qui appréciaient le caractère unique de son mécanisme, ainsi que la collaboration et la coordination entre ces pays. Ce fut particulièrement visible dans la pratique diplomatique: les représentants de la CE à Bruxelles (souvent sous la forme de la troïka d'ambassadeurs), les différents représentants des Etats-Unis ou des pays ouest-européens, informaient ou travaillaient simultanément avec les ambassadeurs des trois pays sur les différentes questions politiques et stratégiques. La popularité et l'importance de Visegrad augmenta plus à l'Ouest qu'en Europe centrale, où réapparurent les vieux handicaps "culturels" comme le nationalisme, les haines et rivalités mutuelles, mais également de nouveaux problèmes liés à la transition du système communiste vers un système de société ouverte.

L'atrophie de Visegrad

Les tensions internes tchécoslovaques conduisant finalement au démembrement de la fédération, l'escalade slovaco-hongroise autour du barrage de Gabcikovo-Nagymaros, les conflits sur le statut de la minorité magyare de Slovaquie et le rejet fréquent de Visegrad par Vaclav Klaus, conduisirent à une atrophie progressive des mécanismes de Visegrad. Même après la division de la Tchécoslovaquie en deux Etats, il exista une volonté formelle de transformer le V3 en V4, mais, en pratique, le concept de Visegrad fut vidé de son contenu. La politique commune vis-à-vis de Bruxelles et de l'Union européenne fut abandonnée par tous les pays, et une compétition s'instaura pour déterminer lequel était le meilleur et pouvait être intégré le premier. La politique tchèque, ou plus précisément "klausienne" d'exclusivité et de "récompense", conduisit même à l'instruction faite au ministère des Affaires étrangères de ne plus utiliser le terme de "Visegrad" dans les relations administratives et dans les documents ministériels.

Tandis que la démocratie était malmenée en Slovaquie, la République tchèque rêvait de se distinguer par une réforme économique et une démocratisation réussies. Elle disputa alors jalousement à la Pologne la position de leader dans la région. Mais c'est la Slovaquie qui posa le plus grand problème. Son développement politique intérieur l'écarta du modèle de transition démocratique centre européen et, sous la direction de V. Meciar, le pays se dirigea de plus en plus vers un régime semi-autoritaire ("démocrature") et s'isola internationalement. De surcroît, en politique étrangère, la Slovaquie se mit à coopérer avec des pays moins démocratiques, comme la Russie d'Eltsine, la Croatie de Tudjman ou la Yougoslavie de Milosevic. Les démocrates occidentaux, mais également ses voisins, observèrent ce processus avec de plus en plus d'inquiétude, la Slovaquie devenant un îlot d'instabilité politique, un pays non fiable et un facteur de conflit potentiel dans la région. Le pays fit l'objet de démarches de l'UE et des Etats-Unis et, finalement, les difficultés slovaques se répercutèrent au sommet de Madrid, où la Slovaquie fut exclue du premier groupe, troublant ainsi l'homogénéité de l'Europe centrale sur le plan de la sécurité: elle devint alors, selon l'expression de la secrétaire d'Etat américaine, Madeleine Albright, "un trou noir" sur la carte de l'Europe centrale.

Acte II : la revitalisation de Visegrad

La situation internationale en Europe centrale fut modifiée grâce aux résultats des élections législatives qui apportèrent des changements politiques progressifs dans tous les pays de Visegrad. En Pologne tout d'abord, à l'automne 1997, un gouvernement, formé autour de l'Action électorale Solidarité et de l'Union de la liberté, insistait de nouveau, dans son programme, sur la coopération "grupy wysegradskej". Vinrent ensuite des changements en République tchèque: le nouveau Premier ministre, Milos Zeman et ses conseillers de politique étrangère, en opposition à la politique de Klaus, renouvelèrent le concept de coopération de Visegrad ainsi que celui des relations privilégiées avec la Slovaquie. Enfin, en Slovaquie, après les législatives de l'automne 1998, les forces démocratiques qui avaient vaincu le HZDS de Vladimir Meciar, formèrent une large coalition.

Les chefs des gouvernements polonais, tchèque et hongrois réunis à Budapest le 21 octobre 1998, invitèrent la Slovaquie à occuper le fauteuil qui lui était réservé dans le V4. Cette invitation symbolique fut la marque la plus significative de ce processus de revitalisation de la coopération de Visegrad. L'expérience commune de l'improductivité des prises de position égocentriques à l'égard de l'intégration, la prise de conscience des avantages d'une coopération mutuelle, comme la prise en charge d'une plus large responsabilité à l'égard des événements de la région, avaient contribué à ce même processus. Le souhait de sortir la Slovaquie de son isolement, après qu'elle se soit débarrassée de sa représentation non-démocratique aux législatives, était une motivation importante pour le renouveau de Visegrad.

Peu après les élections, le président Havel proposa, lors d'une visite informelle en Slovaquie, que le sommet suivant se déroule en Slovaquie (l'organisation devait en revenir à la République tchèque). La Slovaquie n'ayant pas, à l'époque, de président de la République, il fut décidé que cette réunion se ferait au niveau des chefs de gouvernement. Il s'agissait bien d'un changement significatif dans la configuration de la direction de Visegrad, l'initiative passant des présidents aux chefs de gouvernement.

Le sommet des chefs de gouvernements du V4 eut lieu le 14 mai à Bratislava. Initialement prévu pour deux jours, il fut raccourci en raison du second tour de l'élection présidentielle slovaque qui vit la victoire de Rudolf Schuster. La rencontre intervint peu après le sommet de Washington au cours duquel les trois nouveaux membres de l'Alliance avaient soutenu l'aspiration de la Slovaquie à entrer dans l'OTAN. Les chefs de gouvernement saluèrent le retour de la Slovaquie au sein du V4 et tentèrent de s'occuper des dossiers les plus brûlants de leur coopération. Outre le soutien à l'intégration de la Slovaquie dans l'OTAN, il s'agissait de coordonner la stratégie d'entrée dans l'UE, d'adopter une attitude commune vis-à-vis des règles de Schengen, ainsi que tout un ensemble d'initiatives dans les domaines de la culture, de l'éducation et de l'environnement.

Après l'élection du président slovaque Rudolf Schuster, une rencontre des présidents du V4 se déroula à son initiative, immédiatement avant le sommet d'Helsinki. Les Slovaques confirmèrent une nouvelle fois avoir conscience de l'importance particulière de la coopération au sein de Visegrad et manifestèrent la volonté de la Slovaquie d'en être un des moteurs.

Les intérêts slovaques dans le contexte de Visegrad

La nouvelle représentation slovaque prit conscience du fait que les retards au niveau du calendrier et des réalisations du processus d'intégration dans l'OTAN, comme dans l'UE, ne seraient pas faciles à rattraper. Cependant, la coopération de Visegrad permit à la Slovaquie de bénéficier d'avantages que les autres pays candidats post-communistes n'avaient pas. C'est ce qu'écrit Jan Figel, secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères : "La voie slovaque vers les structures européennes et transatlantiques passe par la coopération de Visegrad. Il ne s'agit pas de sentiment ni d'une mise en avant des intérêts des pays voisins. C'est le besoin d'une orientation claire de la Slovaquie et de ses voisins pour que leurs relations créent une société cohérente d'Etats et de nations qui ont non seulement une histoire proche […] mais peuvent et souhaitent avoir un avenir commun"[5]. Conscient de l'importance de la Slovaquie pour la coopération de Visegrad et la région en général, il ajoute: "La Slovaquie, même si elle est le plus petit et le plus vulnérable état du V4, dispose d'un potentiel unique pour unir ou diviser cette société. Si elle l'unit, elle deviendra le pays le plus respecté, et le plus important, la clé de voûte de l'Europe centrale. Toute alternative est une mise au ban, mise au ban que nous avons connu ces quatre dernières années. "

Cet intérêt slovaque est partagé par ses trois voisins. On peut en trouver un exemple concret dans la mise en place d'une obligation de visa dans le cadre du système Schengen. Il est plus simple pour la Pologne et la Hongrie d'établir ce système frontalier uniquement aux frontières orientales avec l'Ukraine, que de le faire, en cas d'entrée plus rapide dans l'Union européenne, tout au long de la frontière slovaco-polonaise ou slovaco-hongroise.

La Slovaquie est liée territorialement avec chacun des autres membres du V4. Cet avantage fut patent pendant les opérations au Kosovo, lorsque le gouvernement slovaque agît comme un membre responsable de l'Alliance, et autorisa les transferts terrestres et aériens des forces armées de l'OTAN. Cette liaison territoriale revêt également une grande importance pour la Hongrie, enclave de l'OTAN à proximité immédiate des Balkans.

Elargir Visegrád ?

Dès le début, la question de l'élargissement du groupe de Visegrad fut posée. Plusieurs voisins du centre et du sud-est estimaient que l'idée de Visegrad était la marque d'une sorte d'exclusivité séparant les membres du V3 des autres Etats post-communistes. Lors de la session inaugurale de Budapest en 1991, le Premier ministre hongrois donna connaissance d'une lettre de son homologue roumain Petre Roman l'informant du souhait de la Roumanie de s'associer au groupe de Visegrad. Dans sa lettre, Roman qualifiait d'artificielle la division des anciens pays socialistes. Le président Havel fit remarquer que, dans le cas de la Roumanie et de la Bulgarie, il ne s'agissait pas d'une mise à l'écart, mais de la coopération de voisins ayant le même destin[6], ce qui a conduit quelques penseurs centre européens à parler de "Schicksalgemeinschaft". La phase ultérieure de transformation de Visegrad en CEFTA, élargissement politique à de nouveaux membres, conduisit non seulement à la perte de toute identité centre européenne unitaire, mais encore à un effet de "dilution" et à une perte d'effectivité du V4. Le Premier ministre slovaque V. Meciar a joué son rôle dans l'élargissement de la CEFTA aux dépens de son efficacité. Après avoir eu des problèmes avec les Tchèques et les Hongrois, il accueillit volontiers de nouveaux membres, soutiens potentiels.

La question de l'élargissement de Visegrad revint sur la table. Côté slovaque, un diplomate proposa, dans l'hebdomadaire de gauche Slovo, d'étendre le V4 à deux nouveaux pays: la Slovénie et l'Autriche. L'Autriche qui, sans doute, partageait une tradition culturelle et historique commune avec les pays de Visegrad, adopta, après la chute du communisme, une position assez ambiguë à l'égard du reste de l'Europe centrale. Il existait en effet, à l'époque de la séparation bipolaire et de l'existence de l'Autriche "dazwischen", quelques politiciens autrichiens qui rêvaient d'un "Projekt Mitteleuropa".

Cependant, après la chute du rideau de fer, ils commencèrent à considérer avec pragmatisme que l'admission dans l'UE serait plus rapide et plus facile s'ils évitaient de commencer à coopérer avec leurs voisins d'Europe centrale. Aujourd'hui, le "phénomène Haider" bloque tout reflexion sur l'élargissement de Visegrad à l'Autriche.

La Slovénie serait le partenaire le plus approprié du Club de Visegrad. Ses succès dans la transition politique et économique en font un partenaire sûr et important pour coopérer aux admissions dans l'UE comme dans l'OTAN ; la Slovaquie a en effet besoin, dans la perspective d'une deuxième vague d'intégration, d'autres candidatures sérieuses pour l'accompagner. Certains ont reconnu, presque officiellement, qu'ils envisageaient un statut de membre associé ou d'observateur pour la Slovénie, c'est-à-dire une sorte de V4 plus 1. Mais, dans ce cas, la Hongrie devrait donner des justifications à son voisin roumain de même que les Polonais auprès des Lituaniens.

Dernièrement, lors de sa visite en République tchèque en février, le président polonais Kwasniewski proposa, de manière surprenante, un projet d'admission immédiate de Visegrad à deux nouveaux membres : la Slovénie et l'Ukraine. La partie tchèque réagit avec une grande retenue[7]. La Pologne, qui fut le premier pays à reconnaître l'indépendance de l'Ukraine, a depuis longtemps sa propre "Ostpolitik". À plusieurs reprises néanmoins, elle a échoué dans sa quête de partenaires pour sa politique orientale, et ce, non seulement en Europe centrale, mais aussi en Europe occidentale (l'exception étant Washington).

Dans sa conception culturelle, politique et historique de l'Europe centrale (Evropa srodkowa), la Pologne a toujours envisagé l'Ukraine comme une banlieue naturelle, souvent même comme sa banlieue orientale. Elle entendait la vieille conception de l'entre-deux-guerres "Miedzimorzia" comme une hégémonie de la Baltique à la Mer Noire. L'Ukraine est cependant une "trop grosse bouchée" pour Visegrad. Il ne fait pas de doute que sa "rive droite", avec des vieilles villes centre européennes comme Uzhorod, Lvov, ou Czernovitz appartient culturellement à l'Europe centrale, mais la "rive gauche", avec son tropisme russe, n'a déjà plus rien de commun avec elle. Les autres problèmes ne sont pas uniquement liés à la taille de l'Ukraine, mais à ses problèmes de transition démocratique, ses grandes difficultés économiques ou son appartenance confessionnelle et culturelle au cercle oriental. En un mot, l'admission de l'Ukraine provoquerait la mort politique de Visegrad. Lors de sa dernière visite en Slovaquie en mars 2000, le ministre des Affaires étrangères polonais, Bronislaw Geremek, a d'ailleurs exclu la possibilité d'un élargissement et préfère que soit maintenue la configuration politique actuelle du V4.

La recherche d'un ordre du jour commun

Le groupe de Visegrad, hormis ses objectifs d'intégration, s'est efforcé de dresser la liste d'autres problèmes à résoudre. Lors de la rencontre de mai à Bratislava, un document, qui mentionnait les possibilités de coopération dans les domaines de la culture, de la science, de l'environnement et du développement de la coopération transfrontalière, fut adopté. Les chefs de gouvernement s'accordèrent sur la création d'un Fond Visegrad alimenté par chaque Etat-membre, à hauteur d'un million d'Euros; ce fond, dont le siège devrait être à Bratislava, est destiné à financer des projets culturels (éditions de revues, festivals de théâtre et de cinéma, échange de jeunes, etc).

Le Premier ministre hongrois V. Orban réfléchit à l'établissement d'une Académie diplomatique ou d'une Ecole d'administration communes. Une chaîne de télévision inspirée du modèle d'Arte pourrait être créée et lier le V4. L'organisation culturelle se dessine par la mise en place de bourses, de prix Visegrad (pour une contribution à la création littéraire) et de tournois sportifs. Dans le domaine de la science, où l'on souhaite éviter la fuite de cerveaux, des projets communs qui seraient financés par le 5e programme de l'UE pour la science et la technologie, sont en préparation. La recherche d'un ordre du jour commun et d'une plateforme de politique étrangère semblent être les plus problématiques: les partenaires du V4 n'ont même pas pu s'accorder sur l'attitude à adopter à l'égard de l'ex-Yougoslavie, l'Ukraine ou la Russie. Leurs intérêts de politique étrangères sont clairement distincts dans ces domaines. Il en va de même pour quelques questions de politique intérieure, comme le traitement de la question rom, qui n'a pas entraîné de réactions chez tous les partenaires et reste de la compétence des Etats.

Le rêve de quelques centre européens est que le V4, même après l'entrée dans l'UE, devienne l'équivalent de la Scandinavie ou des pays méditerranéens, et forme une sorte de lobby centre européen au sein de l'Union. Il faudrait pour cela intensifier la coordination et dépasser le stade actuel des déclarations d'intentions en leur substituant une réelle coopération, ce qui exigera encore beaucoup de travail. Pavol Lukac, Analyste au centre de recherche du SFPA.

Par Pavol LUKAC

Vignette : Château de Visegrad (Budapest, Hongrie). Photo libre de droits. Attribution non requise.

[1] Jaroslav SEDIVY, Cernínsky palác v roce nula (ze zákulisí polistopadové zahranicní politiky), Praha, 1997, pp.125-126.
[2] C'est dans ce château que descendirent, le 19 septembre 1335, le roi de Hongrie Charles-Robert d'Anjou, le roi de Pologne Kazimír et le souverain tchèque Jean de Luxembourg pour traiter des questions de la paix et de la coopération en Europe centrale. La rencontre de Visegrad pouvait se prévaloir d'un précédent historique convenable.
[3] Rudolf CHMEL, Moja madarská otázka, Kalligram, Bratislava, 1996, pp.64-67.
[4] Jiri Dienstbier: " Visegrád ", in Mezinárodní politika, n°2/1999, p. 6.
[5] Jan Figel, " Visegrád je nielen symbol, ale aj velmi vázna vyzva ", SME, 18 février 1999.
[6] CHMEL, précité, p. 67.
[7] Lidové noviny, 23 février 2000.

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