Construite il y a 30 ans principalement pour loger le personnel de la centrale nucléaire d’Ignalina, cette petite ville de 30 000 habitants a vu son activité se diversifier au fil des années. Pourtant, elle reste encore très dépendante de la centrale. La fermeture du deuxième et dernier bloc, en 2009, risque d’avoir des conséquences tragiques sur la petite ville, malgré le grand nombre de mesures prises actuellement.
L’arrivée à Visaginas par le train ne diffère en rien de l’arrivée dans un autre petit village lituanien. La gare et son unique voie de chemin de fer sont perdues dans la forêt. Dans la ville aussi, partout les arbres sont visibles. Construite au fin fond de la Lituanie, tout à l’est, aux frontières de la Lettonie, de la Biélorussie et de la Russie, Visaginas est nichée dans une région de lacs et de forêts. Un paradis pour le tourisme vert que la Lituanie encourage tant par ailleurs. Construite bien à l’écart de la ville, la centrale nucléaire ne se fait même pas remarquer, alors qu’elle est pourtant la raison d’être de Visaginas. Elle reste la dernière centrale du même type que celle de Tchernobyl qui a explosé, il y a tout juste 20 ans cette année, mais ici personne ne la craint. L’habitude de vivre à ses côtés depuis de bien longues années a vaincu toutes les réticences. «Mon mari travaille à la protection de la centrale, j’ai l’habitude, je n’ai pas peur», explique Jolanta, la quarantaine, résumant le sentiment de nombreux habitants de Visaginas.
Le spectre de la centrale
Si la centrale nucléaire fait peur, c’est pour une toute autre raison. En négociant son adhésion à l’Union européenne, la Lituanie s’est engagée à la fermer. Le premier bloc ne fonctionnait déjà plus dès le début de l’année 2005 et le second doit être arrêté à la fin 2009. Ce qui signifie la perte d’une source d’électricité bon marché, mais surtout celle d’une source indépendante. Ce qui signifie aussi une vague de licenciements, synonymes pour les plus pessimistes de la faillite de la ville de Visaginas.
«Actuellement, 3 300 personnes travaillent à la centrale, explique Viktor Sevaldin, son directeur, vers 2010, il faudra en licencier 1 300». Dans la ville, plus de la moitié des emplois sont liés directement ou indirectement à l’activité de la centrale.
«Aujourd’hui, comme le dit le maire de la ville, les habitants se partagent entre pessimistes et optimistes». Les premiers croient que la ville va sombrer lorsque la centrale nucléaire fermera définitivement ses portes. D’ailleurs, dès que cette décision politique a été précise, les scénarios catastrophes présentés dans la presse semblaient leur donner raison. Le taux de chômage allait croître dans des proportions affolantes et Visaginas se transformerait en un deuxième Didziasalis, ville toute proche dont la population sombre dans l’alcoolisme et ne vit que grâce aux aides sociales, depuis que la grande briqueterie a fermé. Les optimistes savent, eux, que Visaginas trouvera un moyen de se reconvertir. Quelques signes leur donnent déjà des raisons d’espérer.
Un bilan plutôt positif
Pourtant aujourd’hui, à peine plus d’un an après la fermeture du premier bloc de la centrale, aucun des pronostics ne s’est encore réalisé. Le taux de chômage dans la ville est de 6%, le taux national est, lui, de 8,3%. Visaginas est aussi une des villes les plus jeunes de Lituanie et connaît une croissance positive. Jusqu’à présent, les départs de la centrale étaient ceux de jeunes retraités ou de volontaires. La municipalité s’était aussi préparée. Dès que la fermeture de la centrale a été sue, elle a initié la création de la région administrative de la centrale d’Ignalina, ce qui lui a permis de recevoir des moyens plus importants de la part de l’État. Ainsi, elle a pu mener à bien des projets d’infrastructures et financer la création de PME, jusqu’à environ 60 000 euros. Des entreprises de service ou de fabrication de produits manufacturés ont été créées et elles cherchent désormais des marchés dans toute la Lituanie. La région, considérée comme à problèmes, attire aussi les grands investisseurs puisqu’ils peuvent recevoir plus de moyens s’ils y créent des emplois. Ainsi, l’un des plus grands fabricants de meubles en Lituanie devrait ouvrir, en juin, une usine employant 200 personnes. D’ici deux à trois ans, leur nombre devrait passer à 700. Selon une enquête menée auprès des chefs d’entreprise de Visaginas en 2004, 40% d’entre eux considéraient que la ville n’avait pas d’avenir. En 2002, ils étaient 80%. D’ailleurs, pour le gouvernement, tout semble aller bien à Visaginas, puisque la ville n’est plus considérée comme à problèmes pour l’obtention des fonds structurels européens de 2007 à 2013.
Impression trompeuse
Pourtant, avec la fermeture du second bloc, début 2010, la situation changera radicalement. Si entre 2005 et 2010, seulement 200 personnes par an sont licenciés, en 2010, elles seront 1 300 d’un coup. Et les autorités ne semblent pas vouloir mettre en place de véritables stratégies, autres que celles élaborées il y a quelques années, offrant aux employés de la centrale licenciés une possibilité de formation et des aides aux entreprises les employant.
D’ailleurs, l’agence locale pour l’emploi souligne, que même si les gens se plaignent de ne pas trouver du travail et craignent la crise, ils ne sont pas encore très intéressés par toutes les propositions de formation. Et pourtant, cette institution en propose de plus en plus en prévision de 2010.
Mais le cœur du problème et le point de départ de toute reconversion est la connaissance de la langue lituanienne. En effet, le personnel venu travailler pour la centrale nucléaire d’Ignalina, il y a trente ans, était originaire de toutes les républiques soviétiques et parlait donc la lingua franca d’alors, le russe. Vivant en vase clos, ce personnel n’éprouvait pas le besoin de parler lituanien et l’usage du russe s’est ainsi perpétué jusqu’à l’indépendance de la Lituanie. Aujourd’hui, 80% de la population de Visaginas parle russe. Quatre écoles dispensent leurs cours en russe et deux en lituanien. Mais le frein le plus important à la future embauche est donc la méconnaissance du lituanien. Le centre national des langues propose déjà des cours gratuits, mais l’agence locale pour l’emploi prévoit également d’en donner afin d’accélérer la maîtrise du lituanien et de favoriser la recherche d’emploi. Un micro-trottoir dans la ville, confirme cette impression : près de 8 personnes interrogées sur 10 n’est capable de répondre qu’en russe.
Futur
L’avenir de Visaginas semble encore incertain. Le maire regrette parfois les voix parfois un peu trop fortes des pessimistes qui, parvenant jusqu’aux oreilles du gouvernement, paraissent le décourager. Et même le signe positif de la construction d’une nouvelle centrale nucléaire, très probable, n’est pas un bon signe pour tout le monde. Cette nouvelle centrale n’arrivera-t-elle pas trop tard ? se demande-t-on en Lituanie.
* Marielle VITUREAU est journaliste dans les Etats baltes