Construira, construira pas ? Une centrale pour les Etats baltes

À partir de 2015, les Etats baltes devraient faire face à un manque d’énergie. Mais auparavant, c’est la Lituanie qui sera la plus durement touchée puisqu’elle devra fermer la centrale nucléaire d’Ignalina, perdant ainsi une source d’énergie bon marché et indépendante. Vilnius fait donc pression sur Tallinn et Riga en vue de construire, ensemble, une nouvelle centrale.


RigaPour devenir membre de l’Union européenne, la Lituanie a dû s’engager à fermer les deux réacteurs de type RMBK de la centrale nucléaire d’Ignalina. C’est chose faite pour le premier bloc depuis le 31 décembre 2004. Le second arrêtera de produire de l’électricité en décembre 2009. La Lituanie perdra alors une source d’électricité bon marché et abondante ainsi que des revenus non négligeables, puisque 30 % de la production sont exportés. Tributaire des importations, le pays pourrait, comme pour le gaz et le pétrole, devenir dépendant de la Russie.

En effet, à cette date, seul le câble électrique entre l’Estonie et la Finlande d’une puissance de 350 MW sera construit. La Lituanie l’ayant financé à 25 %, elle pourra donc l’utiliser à hauteur d’un quart de sa capacité. Le câble électrique qui devrait relier la Pologne à la Lituanie et dont on parle depuis 10 ans, ne sera certainement pas encore construit. Le projet plus concret de câble électrique sous-marin entre un des pays baltes et la Suède, ne sera pas encore achevé. Le conflit sur le prix du gaz qui a opposé, en janvier 2006, l’Ukraine et la Russie, n’a fait que renforcer ces craintes. Et dernière ombre au tableau, comme le souligne Arturas Dainius, secrétaire d’Etat au ministère lituanien de l’Economie, «de nombreuses études indiquent qu’au vu des capacités de production actuelles, les trois pays baltes feront face à un manque d’électricité vers 2015».

Le nucléaire, la solution miracle pour la Lituanie

Pour la Lituanie, il n’y a pas d’autre choix, donc, que de rester un producteur d’énergie nucléaire. Depuis quelques années, la question fait l’objet de nombreux débats. Chercheurs et universitaires s’opposent régulièrement dans la presse quant à l’opportunité de construire une nouvelle centrale et à quelle date. Au-dessus de la mêlée s’élèvent la voix du Président, qui s’est dit à plusieurs reprises favorable au nucléaire lituanien, et celle des députés qui ont adopté de nombreuses résolutions et déclarations allant dans le même sens. Des encouragements pressants proviennent aussi des milieux industriels. «Nous avons la main d’œuvre, le site et l’expertise», avance-t-on fréquemment. La nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre joue aussi. Au-delà des aspects économiques, la Lituanie profite également du fait qu’elle n’aura pas non plus à demander l’accord à sa population : selon les sondages effectués pour le compte de la Commission européenne, 60 % des Lituaniens sont favorables à l’énergie nucléaire.

Regards tournés vers la Lettonie et l’Estonie

La Lituanie presse donc ses voisines, la Lettonie et l’Estonie, de s’associer à son projet car, sans elles, il serait loin d’être aussi rentable et risquerait de bien moins séduire les investisseurs étrangers. Si aujourd’hui ces deux pays doivent, eux aussi, importer de l’électricité et sont donc potentiellement intéressés par une centrale nucléaire, leur situation énergétique n’est pas aussi aiguë que dans le cas lituanien. La Lettonie, surtout, exprime des réticences, notamment par la voix des écologistes. Construire une centrale nucléaire signifie également prendre en charge les déchets radioactifs, souligne-t-on au ministère letton de l’Environnement.

Quant à l’Estonie, «elle s’intéresse à la construction d’une nouvelle centrale nucléaire en Lituanie, par l’intermédiaire de la compagnie nationale d’électricité», explique Einari Kisel, directeur du Département de l’énergie au ministère estonien de l’Economie : «l’Estonie considère l’énergie nucléaire comme une des alternatives pour l’approvisionnement en électricité et nous comptons bien être un partenaire à part entière». Pour accroître ses capacités de financement et d’exportations, la Lituanie discute de sa participation également avec la Pologne. Mais Varsovie a annoncé son intention de se doter d’une centrale vers 2020.

Du concret

L’appel du pied de Vilnius semble avoir suscité une réaction. Après un premier séminaire, fin janvier 2006, jugé plutôt vain, car l’accord de principe tant souhaité par la Lituanie ne fut pas signé, la situation a depuis pris une autre tournure. Le 27 février, les Premiers ministres des trois Etats baltes réunis à Trakai, la capitale historique de la Lituanie, ont signé un communiqué commun dans lequel leurs gouvernements respectifs s’engagent à soutenir la construction d’une nouvelle centrale nucléaire en Lituanie. Une décision qui a fait du bruit en Estonie, où de nombreux partis ont demandé à ce qu’un référendum soit tenu sur cette question. Même si ce projet reste privé, les trois Etats baltes pourraient revendiquer une part de cette nouvelle centrale, précisément afin d’en assurer l’indépendance.

Quelques jours plus tard, sur le lieu de la centrale nucléaire d’Ignalina même, les directeurs des trois compagnies nationales d’énergie se sont solennellement mis d’accord pour mener en commun une étude de faisabilité concernant la nouvelle centrale. Une étude qui devrait être achevée le 1er novembre 2006. Les Lituaniens discuteront entre temps de leur stratégie nationale énergétique, de même que les Lettons. Une stratégie balte de l’énergie sera également en discussion et une décision politique pourrait alors être prise. C’est ce qu’avait souhaité Kestutis Dauksys, le ministre lituanien de l’Economie, lors de ses vœux à la presse.

En attendant, la Lituanie, par la voix de son Premier ministre l’Economie ou même du parlement, a régulièrement évoque la prolongation de la vie du second réacteur d’Ignalina, jusqu’à la construction du nouveau bloc. «Ce serait une sage solution», estime pour sa part le directeur de la centrale nucléaire. Mais, lors de sa visite à Vilnius en décembre dernier, le Letton Andris Piebalgs, Commissaire européen à l’énergie, a catégoriquement rejeté cette hypothèse que le ministre lituanien de l’économie vient lui aussi de rejeter fin mars. La date de la fermeture de la centrale est inscrite dans les obligations internationales de la Lituanie, a-t-il alors déclaré. Il demande donc au parlement d’abandonner son projet de loi de prolongation de vie de la centrale.

 

 

* Marielle VITUREAU est journaliste dans les Etats baltes.

Photo : Riga - tirée de www.ltn.lv