Depuis la chute de Mir et à l'heure des missions internationales, les moyens font plus que jamais défaut. Comment, sur fond de crise budgétaire, le programme spatial russe au passé si glorieux parvient-il à maintenir ses activités?
Un savoir-faire inégalé
"La Terre est le berceau de l'humanité, mais on ne passe pas sa vie au berceau", Tsiolkovsky. Konstantin Edouardovitch Tsiolkovsky (1857-1935) est le père fondateur de l'astronautique. Dans son ouvrage fondamental L'Exploration de l'espace cosmique par des engins à réaction publié en 1903, le physicien énonce le principe de propulsion à réaction et la théorie du moteur-fusée à propergol liquide. Ses recherches lui permettent de mettre au point le concept de fusée modulaire. Les aspirations spatiales de l'homme qui n'étaient restées jusqu'alors qu'au stade de simples suppositions et d'inventions littéraires (De la Terre à la Lune, Jules Verne) deviennent réalisables.
Pendant l'entre-deux-guerres, un plan quinquennal soviétique accordant des fonds importants pour le développement des recherches sur la propulsion par réaction est mis en place. Le laboratoire de dynamique des gaz sur la propulsion des moteurs-fusées et le groupe d'études de la propulsion par réaction (GIRD) entament des recherches qui aboutissent en 1933 au lancement de la première fusée à propergol liquide, la GIRD-09. Succès total malgré les moyens dérisoires dont disposent les scientifiques.
Il faut attendre le début de la guerre froide pour voir progresser la recherche astronautique. L'ordre mondial est renversé et dominé par les deux superpuissances rivales, les Etats-Unis et l'URSS. Pour asseoir leur puissance et soutenir leur politique étrangère, les deux Grands vont s'affronter à coup de première spatiale. C'est à celui qui ira le plus vite et le plus loin.
Ayant récupéré du trésor de guerre allemand, une centaine de fusées V2, ainsi qu'une usine de montage, les Américains ont pris l'avantage. Aussi, sous la pression d'une éventuelle offensive américaine, Nikita Khrouchtchev décide-t-il de donner une impulsion décisive au développement des missiles à longue portée. En 1957, la fusée intercontinentale R7, plus connue sous le nom de Zemiorka, effectue avec succès son premier vol.
La fin des années 1950 voit la lutte d'influence que se livrent Américains et Soviétiques s'étendre à l'espace. La course à la mise en orbite de satellites artificiels est lancée. Mais cette fois-ci, ce sont les Soviétiques qui vont prendre l'avantage grâce à la fusée R7. Transformée en fusée spatiale, elle sera chargée d'emporter dans l'espace le premier satellite artificiel. Composé d'une sphère d'aluminium de 83 kg et de deux émetteurs radio, Spoutnik est de conception simple. Ce choix stratégique permet aux Soviétiques de réaliser un exploit.
Le 4 octobre 1957, Spoutnik, lancé depuis le cosmodrome de Baïkonour au cœur de la steppe kazakh, inonde la Terre des premiers bips de l'espace. La conquête spatiale est née. Moins d'un mois plus tard, Spoutnik 2 embarque une chienne, Leika, qui devient le premier être vivant à atteindre l'espace. L'URSS vient à peine de confirmer son avance sur sa rivale outre-Atlantique, qu'elle rêve déjà d'envoyer des hommes dans l'espace.
En 1961, l'imminence d'un lancer américain remet un coup de fouet à l'astronautique soviétique. Décision est faite de programmer sans plus attendre le premier vol habité. Après avoir suivi un entraînement intensif, le jeune ouvrier Youri Gagarine est sélectionné pour être envoyé dans l'espace le 12 avril 1961. Ses 108 minutes passées à bord du vaisseau spatial Vostok font de lui le premier homme dans l'espace. A son retour, il est acclamé par le peuple soviétique, qui l'érige aussitôt en héros national. Motivés par ce succès retentissant, les Soviétiques lancent le programme Soyouz qui permet le 18 mars 1965, à Alekseï Leonov d'effectuer la première sortie dans l'espace.
En dépit de tous ces exploits, les cosmonautes soviétiques jaugent les progrès accomplis par les recherches américaines et prennent conscience que la conquête de la Lune leur a échappé. Le 20 juillet 1969, Neil Armstrong, un des membres de la mission Apollo 11, foule le sol lunaire. Ne pouvant s'engager dans un programme spatial lunaire trop coûteux, l'Union soviétique préfère se consacrer à un tout autre objectif: l'étude d'une station orbitale.
En 1971, deux ans après les exploits lunaires des astronautes de la NASA, les Soviétiques satellisent la première station orbitale, Saliout 1. Il faut pourtant attendre la deuxième génération de stations spatiales -Saliout 6 et 7- à l'habitabilité améliorée, pour que des séjours humains de longue durée dans l'espace soient pour la première fois envisagés. Le champ à de multiples recherches en situation de microgravité est ouvert. De leur engagement précoce dans le développement des stations spatiales, les Soviétiques acquièrent un savoir-faire qui leur permettent de s'atteler à la conception d'un nouveau complexe orbital modulaire à l'habitabilité permanente. Parallèlement pour les besoins de cette nouvelle station, un nouveau vaisseau spatial est conçu, le vaisseau Soyout TM. En 1986, après plusieurs vols du nouveau lanceur, Energia, la station Mir est mise en orbite. Changement de cap pour l'odyssée spatiale russe.
1986-2001, le voyage extraordinaire de Mir
Initialement programmé pour cinq ans, le complexe orbital Mir est resté quinze ans en orbite. Le choc avec un cargo de l'espace qui l'a heurté en 1997 mais surtout la crise russe ont décidé de son sort. Deux cent cinquante millions de dollars auraient été nécessaires pour la rénovation de Mir. Faute d'avoir trouvé les crédits nécessaires, les autorités russes ont donc finalement dû se résoudre, après maintes réparations, à abandonner ce dernier vestige de l'épopée spatiale soviétique. Après plus de 80 000 tours de la Terre, la station Mir s'est désintégrée dans l'atmosphère le 23 mars 2001. Au total, plus de soixante hommes et femmes d'une douzaine de pays ont habité dans la station, vingt-trois mille expériences y ont été réalisées et le cosmonaute Poliakov y a effectué le vol le plus long dans l'espace, 437 jours.
"L'époque de la course spatiale est terminée, la tendance est aujourd'hui à la coopération." Iouri Koptev.
Symbole de la nouvelle donne politique qui a changé au profit d'une coopération Est-Ouest, la Station Spatiale Internationale (ISS) était à l'origine prévue pour recycler des anciens projets nationaux -la station américaine Freedom et la station Mir 2- et renforcer les liens entre les Etats-Unis et la Russie. Mettant en coopération les agences spatiales de seize nationalités -Européens, Japonais, Canadiens, Russes et Américains-, la mission devrait être achevée d'ici à 2005. Mais l'intérêt de ce projet au budget considérable de cent milliards de dollars est totalement contesté par les scientifiques et les financiers. Seuls les industriels qui fabriquent le matériel nécessaire à sa construction y trouvent leur compte.
La Russie a pu préserver en partie son industrie spatiale grâce à quelques contrats en devises fortes. De son côté, Washington a voulu récupérer à bas prix certaines des technologies spatiales développées dans l'ancienne Union soviétique. L'ouverture du programme à la Russie a permis d'utiliser sur place des compétences avérées et économiques, mais aussi, d'occuper une partie du complexe militaro-industriel russe pour éviter qu'il ne joue les mercenaires.
D'une largeur équivalente à celle d'un terrain de football (108m × 88m) et de la hauteur d'un immeuble de quinze étages (44m), la station constituera le plus vaste complexe spatial jamais mis en orbite. Ce colosse réclamera, au total, l'envoi dans l'espace de plus de quarante véhicules de transport dont les navettes spatiales américaines, les fusées russes Soyouz et Proton.
Pour participer à cette aventure internationale, Moscou avait reçu en 1993 une allocation spéciale de quatre cents millions de dollars. Pourtant, les Russes ont dû réclamer des crédits supplémentaires aux Américains pour placer en juillet 2000 Zvezda, le troisième élément de l'ISS, qui n'est autre qu'une extrapolation des modules de Mir.
Financer le programme spatial russe
Le millionnaire américain Dennis Tito restera dans les mémoires comme le premier "touriste de l'espace", et ce, grâce aux Russes. Parti de Baïkonour le 28 avril 2001 à bord du vaisseau Soyouz, l'homme d'affaires est resté à bord de l'ISS pendant une semaine. Opération à but ouvertement lucratif. Le contrat signé avec le Californien aura rapporté la somme "astronomique" de vingt millions de dollars. Pour le directeur de l'Agence spatiale russe, Iouri Koptev, "c'est une grande étape vers la commercialisation des vols spatiaux", mais surtout, l'occasion de renflouer les caisses de l'Agence, au budget annuel de 145 millions de dollars et d'honorer ses engagements financiers envers l'ISS. Car, dans la Russie en crise, le responsable du programme de vol habité a le plus grand mal à convaincre le gouvernement et l'opinion publique de l'utilité de ce coûteux projet.
Malgré les tensions suscitées en avril dernier par l'envoi d'une personne extérieure au protocole de la mission internationale, les Etats-Unis et la Russie se sont accordés le vendredi 10 août pour permettre à d'autres "touristes de l'espace" de visiter l'ISS. Un document sur les conditions d'envoi des touristes dans l'espace doit être mis au point entre les Russes et leurs partenaires étrangers en septembre 2001. Les Russes auraient déjà prévu un nouveau candidat pour 2002, le millionnaire sud-africain Mark Shuttleworth. De quoi redonner un nouveau souffle au secteur spatial russe en crise!
Par Célia et Marie-Laure CHAUFFOUR
Chronologie de Mir
20 février 1986
Mise en orbite de Mir, station spatiale habitée de troisième génération.
13 mars 1986
Arrivée du premier équipage.
21 décembre 1988
Vladimir Titov et Moussa Manarov deviennent les premiers hommes à avoir passé plus d'un an en orbite.
15 mars 1995
Valeri Poliakov établit le record de durée d'un seul vol, avec 437 jours, soit plus de quatorze mois passés en orbite.
23 février 1997
Incendie à bord de la station.
25 juin 1997
Un vaisseau Progress percute et perce l'enveloppe du module Spektr.
6 avril-16 juin 2000
Sergueï Zaliotine et Alexandre Kaleri occupent une dernière fois Mir, qui depuis tourne à vide faute de fonds.
24 novembre 2000
Décision de détruire Mir.
18 mars 2001
Début des opérations de désorbitation.
20-23 mars 2001
Fin de Mir. Plus de cent personnes, dont les Français Jean-Loup Chrétien et Jean-Pierre Haigneré, auront volé à son bord.