A Saint-Pétersbourg, les touristes sont aux Anges

Après les festivités liées au tricentenaire de la ville, durant l’été 2003, Saint-Pétersbourg a connu en 2004 un afflux important de touristes. Les autorités locales n’ont pu que déplorer la baisse de fréquentation en 2005 et se sont depuis attelées à la tâche : le Sommet du G8, organisé dans leur ville en juillet 2006, est l’occasion de faire savoir au monde que Saint-Pétersbourg est une ville attirante. Et qui veille sur la sécurité de ses visiteurs.


Selon les évaluations de l’Onu, Saint-Pétersbourg se situerait en 8e position sur la liste des villes les plus attractives du monde pour le tourisme. Cumulant un patrimoine architectural unique, des musées d’une valeur inestimable, une situation géographique étonnante, propice aux nuits blanches de juin comme aux hivers glacés des rives de la Baltique, dotée d’une histoire littéraire qui en a fait un véritable mythe, la ville de Pierre sait que son potentiel touristique reste encore largement sous-exploité.

Moins de touristes, plus d’hommes d’affaires

En 2002, selon les données officielles fournies par le gouvernement local, 2,6 millions de touristes étrangers et plus de 800.000 touristes russes ont séjourné dans la capitale du Nord. Après un afflux record en 2004 (avec plus de 3 millions de visiteurs), dû aux retombées des festivités du tricentenaire de juin 2003, Saint-Pétersbourg a enregistré en 2005 un afflux plus modeste, et surtout a commencé à perdre ses touristes «traditionnels», à savoir les retraités européens : en 2005, ils auraient été entre 25 et 30% moins nombreux que l’année précédente. Qui plus est, ceux-ci ne se sont pas contentés de se faire plus rares, ils sont aussi restés moins longtemps (la durée moyenne d’un séjour touristique dans la ville est de 2,7 jours) et ont dépensé moins d’argent. Cette chute aurait toutefois été en partie compensée par l’augmentation des visites d’hommes d’affaires, qui, à cet égard, se révèlent beaucoup plus intéressants : si un touriste dépense en moyenne 100 à 150 dollars par jour, un homme d’affaires va jusqu’à 500 dollars.

Les voyagistes ont fait des pronostics peu encourageants pour l’année 2006 : ils s’attendent, au mieux à des chiffres équivalents à ceux de 2005, au pire à une poursuite de la chute. Et ce malgré la présence de compagnies aériennes low cost qui, depuis qu’elles desservent la ville, font espérer une croissance des segments jeunes et familles, très attentifs au coût d’un voyage qui est, généralement, en grande partie imputable au billet d’avion.

Le directeur du département pour le Nord-Ouest de l’Union russe de l’industrie touristique reste, lui, plus optimiste[1] : Sergueï Korneev affirme en effet que la ville peut s’enorgueillir d’avoir su contenir les prix d’hôtel et d’entrée dans les musées. Selon lui, le coût total d’un séjour à Saint-Pétersbourg pour la saison 2006 non seulement n’augmentera pas comparé à la saison précédente, mais pourrait même baisser un peu. L’idée générale est de maintenir des prix qualifiés d’«européens» pour une qualité de services accrue.

A la recherche du touriste russe

Les Russes eux-mêmes voyagent peu vers Saint-Pétersbourg, révèle un sondage réalisé en juin 2006 par le VTsIOM (Centre de recherche sur l’opinion publique) : 56% des personnes interrogées ont affirmé n’avoir pas vu la capitale culturelle depuis au moins dix ans. Le taux est certes plus faible parmi les habitants des régions Centre et Nord-Ouest, où seules 28% des personnes interrogées affirment qu’elles ne sont allées ni à Moscou ni à Saint-Pétersbourg depuis 1996. La différence se fait sentir à mesure que l’on s’éloigne : 1/5e seulement de la population d’Extrême-Orient et de Sibérie s’est rendu dans la capitale du Nord sur cette période. Les habitants de la Russie méridionale, de l’Oural et de la Volga ne semblent attirés par aucune des deux capitales russes : ils sont plus de 73% à avoir répondu par la négative.

Ces résultats ne sont pas sans étonner les responsables du département pour le Nord-Ouest de l’Union russe de l’industrie touristique qui, au contraire, constatent depuis quelques années un regain de tourisme national : à Saint-Pétersbourg, même si le tourisme a chuté en 2005, la proportion de touristes russes a augmenté. D’autres voix notent que le coût d’un séjour à Saint-Pétersbourg est dissuasif : il est bien souvent plus économique, pour les Russes, de faire du tourisme sur certaines destinations européennes que de venir dans la capitale aristocratique qui continue, malgré ses efforts, de proposer une qualité de services qui laisse à désirer, à moins de passer directement dans la catégorie luxe. Igor Mazoulov, le directeur général de Petrotour service, agence basée à Saint-Pétersbourg, s’inquiète même : «Seuls les gens très riches peuvent voyager à Saint-Pétersbourg actuellement. Et c’est une tendance dangereuse. Les enfants russes vont bientôt connaître Rome, Paris et Prague mais ils pourraient cesser de voyager à Pétersbourg très bientôt.»[2]

L’«effet G8» ?

Si les cérémonies liées au tricentenaire ont permis aux autorités locales de braquer les yeux du monde vers leur ville, les représentants de l’administration espèrent bien que le Sommet du G8, en juillet 2006, aura lui aussi des retombées positives sur l’image de la ville et donc sur le tourisme. Ce qui devrait se ressentir lors de la saison 2007. En attendant, le Sommet aura plutôt été néfaste à l’année 2006 : d’abord parce que les autorités locales et fédérales ont tardé à informer les voyagistes des dates précises de «fermeture» de la ville. Ensuite parce que, comme en 2003, les restrictions ont été sensibles : fermeture totale, du 13 au 15 juillet, de l’aéroport de Poulkovo réservé à l’accueil des délégations officielles, interdiction faite aux bateaux, jusqu’au 17, d’accoster sur les rives de la Neva et du golfe de Finlande… Durant ces quelques jours, les touristes motivés se sont vu offrir la possibilité d’atterrir à Helsinki et Tallinn et de traverser la frontière russe par voie terrestre, avec promesse de simplification des procédures douanières aux postes frontière d’Ivangorod et de Torfianovka.

De leur côté, les organisateurs du contre-Sommet avaient bien prévu qu’il serait difficile pour les participants de se rendre à Saint-Pétersbourg : le voyage était trop onéreux, trop long et trop compliqué ; et la Russie est réputée pour n’être pas une destination très sécurisante. Ils ont donc tablé sur la participation de 700 altermondialistes locaux, 300 en provenance d’autres villes russes, 200 délégués de pays de la CEI et 300 à 400 en provenance d’Europe occidentale. Etablis, avec l’accord des autorités locales, dans le stade Kirov, sur l’île de Krestovski, ils ne se sont bien sûr pas cantonnés dans cette périphérie de la ville. Outre le forum alternatif, dont le programme a suivi celui, officiel, du G8, ils ont organisé diverses manifestations, dont la pérégrination d’un tramway, destiné à conduire les manifestants dans une promenade intitulée «Le Pétersbourg qui disparaît», traversant sites historiques et espaces voués à la destruction sous l’effet de l’extension des projets à finalité commerciale.

Les Anges de Saint-Pétersbourg

Mais les autorités locales avouent à demi-mots que la véritable entrave au développement du tourisme dans la ville serait la peur. Celle d’une criminalité réelle ou fantasmée qui retient les touristes, en particulier étrangers. En 2005, parallèlement à la baisse du nombre de touristes, on a constaté une hausse de la criminalité les touchant : 792 agressions ont été commises contre des citoyens étrangers non ressortissants de la CEI, dont 79 actes seulement ont été élucidés. C’est 397 crimes de plus qu’en 2004. Ces statistiques sont à prendre avec précaution toutefois, puisque les unités de la police commencent en fait tout juste à répertorier systématiquement les agressions commises à l’encontre de touristes étrangers, et qu’elles répertorient tout, y compris la perte déclarée de papiers, pas toujours élucidée par un vol. La tâche des policiers est rendue difficile à la fois par la barrière linguistique et par la faible durée passée dans la ville par les touristes. Ces derniers, quand ils viennent déclarer une agression à la police, le font souvent en vue d’être remboursés par leur assurance, pas dans l’espoir de voir l’affaire élucidée.

Le gouvernement local, soucieux de changer cette image et cet état de fait, entend assurer désormais un accueil sûr pour les touristes. Ainsi, la municipalité a lancé récemment une vaste opération marketing, inédite en Russie : le 26 juin dernier, elle a en effet inauguré les patrouilles de «Service des Anges», placées aux points stratégiques (centre-ville et principaux lieux touristiques) de Saint-Pétersbourg. Vêtus de tee-shirts blancs sur lesquels est prosaïquement inscrit un «Can I help ?» de lettres rouges, les Anges, âgés au maximum de 25 ans, vont par deux , avec pour mission de rassurer et d’orienter le touriste, qu’il soit Russe ou étranger : ils savent lui expliquer comment se rendre sur telle place, dans tel musée, vers tel pont ou canal, comment organiser une excursion, quel mode de transport choisir, mais aussi… que faire en cas d’urgence. Les Anges n’ont pas un rôle préventif, mais ils peuvent expliquer au touriste éconduit où se trouve le commissariat le plus proche, voire l’aider à expliquer sa mésaventure au fonctionnaire de police. Les Anges sont actuellement une quarantaine à arpenter les perspectives et les rues pétersbourgeoises, recrutés après un examen linguistique (la maîtrise de deux langues étrangères est requise) et de connaissance de l’histoire de la ville. Equipés de téléphones portables, en cas de défaillance de leurs connaissances, ils peuvent se faire souffler la solution. Ils distribuent aussi de la documentation touristique. Pour le moment, ils opèrent de 10 h à 22 h mais la municipalité aimerait étendre ce service d’informations gratuites 24h/24.

Le «Service des Anges» s’inscrit dans le cadre du Plan de développement touristique 2005-2010 aux termes duquel la municipalité souhaite atteindre le nombre de cinq millions de visiteurs annuels. Cette «opération séduction» doit contribuer à alimenter l’image de Saint-Pétersbourg définie par l’administration locale comme une «mégapole européenne civilisée et accueillante»[3]. On retrouve là les termes régulièrement employés par Valentina Matvienko, depuis son élection au poste de gouverneur de Saint-Pétersbourg.

A celui qui s’interrogerait sur la référence angélique de ces patrouilles de charme, on précisera que leur nom a été naturellement choisi en référence au symbole le plus haut de la ville : l’ange doré qui survole la flèche de la Cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul a toujours été considéré comme le protecteur de la ville. Et on invitera le touriste à venir voir !

 

[1] Kommersant Sankt-Peterburg, 6 avril 2006.
[2] The Saint-Petersburg Times, 13 juin 2006.
[3] Novo News, 23 juin 2006.

 

* Photo : Saint-Petersburg Times (www.sptimes.ru)

Par Céline BAYOU

 

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