A Theorem : théatres de l’Est et de l’Ouest

L'association Theorem a vu le jour en 1999 à l'initiative des organisateurs du festival d'Avignon. Cette plateforme regroupant des festivals et des théâtres ouest-européens cherche à développer la production et la diffusion de spectacles d'Europe de centrale et orientale. Le premier programme triennal vient de s'achever. Bilan.


Theorem réunit des directeurs de théâtre et de festival - tous originaires à l'origine d'Europe de l'Ouest - autour d'un intérêt commun pour la création théâtrale à l'Est. Dès le début des années 90, la guerre en ex-Yougoslavie avait soulevé un fort militantisme dans le milieu théâtral français. L'association "Sarajevo, capitale culturelle européenne", s'était créée en 1994 pour venir en aide aux théâtres de Sarajevo. De nombreux artistes avaient été invités au festival d'Avignon pour présenter leurs pièces, preuve d'un engagement politique fort. La prise de conscience de l'état de crise des théâtres d'Europe de l'Est consécutive à l'effondrement du régime communiste s'est accrue encore à l'occasion de la saison russe organisée au festival d'Avignon en 1997 . Créée en 1999 pour donner une forme concrète à la nouvelle Europe de la Culture, Theorem est l'aboutissement de ce long processus de mobilisation.

Le rôle de Theorem

Theorem est avant tout une association de personnes, constituée autour de personnalités comme Nele Hertling alors directrice du Hebbel Theater à Berlin, Myriam De Clopper directrice des spectacles deSingel à Anvers, Chris Torch directeur artistique d'Intercult en Suède, Monique Veaute, directrice du Roma Europa Festival en Italie, Dieter Jaenicke, directeur artistique du festival d'Aarhus au Danemark et du festival international d'été de Hambourg de 1996 à 2000, et bien d'autres. La création de l'association leur a permis de bénéficier de fonds européens auxquels les troupes indépendantes, faute de structure institutionnelle suffisamment stable pour répondre aux critères de la Commission, ne peuvent généralement prétendre. Theorem, se pose ainsi en intermédiaire pour les artistes de l'Est qui bien que potentiels bénéficiaires de ces financements en sont le plus souvent écartés de facto. L'association se charge de recueillir les fonds, et de les redistribuer ensuite au cas par cas selon l'intérêt qu'un ou plusieurs de ses membres porte à un projet particulier. A noter que ce sont bien les membres de l'association qui restent responsables de la coproduction. Theorem apporte une contribution financière mais ne finance jamais entièrement les spectacles sélectionnés.

En trois ans, l'association aura ainsi soutenu une vingtaine de spectacles comme Nexxt, Frau plastic Chicken Show de Arpad Schilling (Hongrie), Cuska de Viesturs Kairiss (Lettonie), ou encore Villa dei Misteri et Bleu du Ciel d'Ivan Stanev (d'origine bulgare et directeur d'un théâtre berlinois), Songe d'une nuit d'été monté par Korsunovas (Lituanie).

Comment les projets sont sélectionnés ?

Le programme s'intéresse non pas aux répertoires des grands théâtres nationaux mais aux formes nouvelles de spectacle vivant. C'est pourquoi l'association s'adresse directement aux artistes, et non aux institutions dont ils dépendent. Chaque projet est soutenu au cas par cas sans plus d'engagement pour le futur. Le seul critère est qualitatif. Aucune unanimité n'est requise et le soutien déterminé de deux ou trois membres peut suffire pour obtenir un financement. Les engagements de Theorem sont toutefois limités. Les spectacles sont avant tout destinés au public du pays dans lequel ils sont montés et sont joués dans la langue locale. Ce n'est qu'exceptionnellement, lorsqu'une opportunité se présente que Theorem est amené à organiser des tournées internationales.

Les contraintes des structures institutionnelles à l'Est

Dans les pays d'Europe de l'Est, les troupes indépendantes font encore figure d'exception. Les artistes et les metteurs en scène sont le plus souvent salariés dans un théâtre. Les théâtres de répertoires sont des machines extrêmement lourdes. La saison théâtrale se compose de pièces jouées en alternance pendant toute la saison, ce qui n'aide guère à la circulation des spectacles. Les théâtres ne sont pas incités à inviter des projets extérieurs puisqu'ils rémunèrent déjà leurs propres artistes toute l'année. Et, réciproquement, la mobilité des artistes engagés toute l'année dans leur théâtre se trouve très réduite. Seuls les mois d'été offrent une fenêtre d'opportunité pour faire tourner les pièces à l'étranger. Mais les comédiens profitent alors de la fermeture des théâtres pour se mettre en vacances !

Plus grave, la création théâtrale se trouve elle-même affectée par ce mode de fonctionnement. Il est rare par exemple de présenter des monologues, puisqu'on est tenté de faire jouer tous ou presque tous les comédiens afin de les " rentabiliser ". Quant aux décors, conçus exclusivement pour la salle du théâtre, il s'agit le plus souvent d'installations lourdes, coûteuses à déplacer et souvent inadaptées à de nouvelles scènes.

Il faut toutefois nuancer ce portrait peut-être un peu trop sombre du théâtre est-européen. Chaque système comporte en réalité ses avantages et ses inconvénients. En France, les scènes nationales, sauf exception, n'ont plus de comédiens permanents. La structure théâtrale qui incite à une grande mobilité des spectacles et des artistes intermittents aboutit à la création de spectacles de moindre coût. Chaque metteur en scène, selon ses besoins et son projet, peut toujours faire appel à de nouveaux comédiens pour une courte période. Mais, en contrepartie, "la troupe" unie autour d'un metteur en scène nourrie de ses méthodes de travail a disparue, tandis qu'à l'Est, il existe encore de véritables familles artistiques homogènes liées à une personnalité forte.

La fin d'un statut ?

En Europe de l'Est aujourd'hui on observe cependant que de nombreux jeunes artistes ne veulent plus entrer dans les structures nationales et souhaitent conserver leur indépendance. Parmi tous les metteurs en scène qui ont été amenés à collaborer avec Theorem, plusieurs avaient refusé préalablement des directions de théâtre dans leur pays d'origine. L'aspiration à une plus grande liberté artistique prime de plus en plus sur le confort du statut. Cette évolution notable s'observe notamment en Lituanie où les plus grands metteurs en scène du pays ont quitté les institutions subventionnées pour essayer de travailler en indépendant. Oskaras Korsunovas par exemple a créé son propre théâtre, prétendument le plus moderne du pays. Gintaras Varna travaille lui, comme metteur en scène indépendant dans les théâtres lituaniens et étrangers. Il est vrai que de fortes relations se sont nouées entre certains metteurs en scène lituaniens, le public, et les professionnels de l'Ouest. A tel point que ces metteurs en scène tournant fréquemment en Europe s'interrogent aujourd'hui sur l'impact de cette exposition internationale sur leur production. L'ouverture sur le marché met à l'épreuve la force créative de chaque metteur en scène.

Les effets du financement de Theorem sur la scène théâtrale

Theorem alloue environ 15 000 euros à chacun des projets. Ceci peut paraître chiche au regard des critères ouest-européens, mais lorsque l'association a commencé ses activités en Europe de l'Est, les troupes étaient beaucoup moins nombreuses qu'en Europe de l'Ouest et les budgets culturels très limités. L'action de Theorem s'est donc faite rapidement ressentir. Un cercle vertueux s'est même mis en place, les compagnies soutenues par l'association recevant - grâces à leurs succès d'audience - un soutien accru des ministères de la Culture. En cinq ans, certains artistes liés à Theorem sont devenus ainsi de véritables stars nationales. L'association et ses membres doivent donc veiller à se renouveler pour ne pas favoriser des artistes déjà reconnus au détriment des jeunes créateurs.

L'effet boule de neige

A la demande de responsables de projets dans les pays de l'Est, l'association organise des séminaires de formation pour le personnel administratif et technique. En effet l'essor de l'activité théâtrale s'est accompagné d'une demande de formation en management culturel, ou plus simplement d'échange de savoir-faire. L'organisation régulière de séminaires offre l'opportunité à une vingtaine de professionnels présélectionnés d'échanger leurs expériences, de se rencontrer et de tisser des liens souvent durables, comme le font également à leur niveau… les différents membres de Theorem.

Au-delà de l'apport logistique et de l'évaluation des compétences réciproques, ces rencontres s'avèrent précieuses pour le développement des échanges artistiques. Et ce surtout depuis le désengagement de la fondation Soros en Europe de l'Est. En effet, depuis plus d'un an maintenant, cette fondation qui subventionnait "la société civile" a décidé de se retirer de la région au motif que la démocratie y était désormais chose acquise. Ce retrait subit produit des effets très néfastes sur la vie culturelle des pays de l'Est, notamment en matière théâtrale où les subventions gouvernementales restent très limitées. Comme nous le faisait remarquer l'un des membres de Theorem, lorsqu'un metteur en scène désire promouvoir un spectacle en Europe de l'Ouest, il peut s'adresser aux institutions gouvernementales de cet état présentes dans son pays (ambassade, centre culturel etc).

Mais s'il souhaite en revanche promouvoir son travail dans un autre état d'Europe centrale, il ne trouvera aucune structure susceptible de lui apporter un quelconque soutien. Jusqu'à présent, ce rôle était rempli précisément par la fondation Soros. Son désengagement constitue donc un événement fort dommageable pour les échanges Est-Est. Force est de constater qu'aujourd'hui les artistes de l'Est ont - paradoxalement - une meilleure connaissance et de plus grandes relations avec l'Europe de l'Ouest qu'avec leurs propres voisins.

L'exil des artistes ?

En dix ans de nombreux artistes ont plié bagage et sont partis s'installer en Europe de l'Ouest ou en Amérique du nord. En finançant des projets locaux sans imposer de contrainte de diffusion, une des ambitions de Theorem était de fixer sur place une partie au moins des artistes en leur offrant des ressources. Le théâtre pose d'ailleurs de façon tout à fait particulière la question de la mobilité internationale des artistes. Contrairement aux musiciens dont l'art est sans doute le plus universel ou aux cinéastes qui peuvent s'installer à l'étranger et ne retournent au pays que pour le tournage de leurs films, les metteurs en scène ne peuvent s'éloigner durablement de leur théâtre. Le théâtre est une aventure quotidienne, réticente à l'exil. Pour preuve, l'Académie des Arts de Berlin délivrant des bourses aux artistes étrangers souhaitant résider un an en Allemagne a dû fermer sa section prévue pour les metteurs en scène faute de candidats.

Et pour le futur ?

Considérant que son soutien est encore nécessaire Theorem commence un second programme triennal en Europe de l'Est. Pour autant, ses animateurs reconnaissent que l'association est vouée à disparaître. A terme, les troupes de cette région seront invitées dans les théâtres ouest-européens au même titre que les autres et réciproquement. Il sera alors possible de parler d'intégration.

Pour des informations complémentaires, consulter le site de Theorem : www.asso-theorem.co

Par Aurore CHAIGNEAU