L’Eglise pour contrer les sectes?

Le gouvernement russe choisit de renforcer la place de l'orthodoxie pour freiner la proloifération des sectes.


Le 29 mars 2004, le tribunal du quartier Golovinskiy à Moscou rendait un jugement interdisant les sectes des témoins de Jéhovah en Russie. Au même moment, les orthodoxes moscovites entraient en guerre contre l'édification d'un grand temple dédié à Krishna.

Les autorités municipales venaient en effet d'accorder gratuitement aux adeptes de Krishna un terrain de 1, 2 hectares dans le quartier de Khodynskoe Pole pour y construire un immense centre de la culture hindoue. Début mars 2003, le conseil interconfessionnel de Russie avait pourtant refusé de soutenir le projet malgré une demande expresse émanant des dix principaux chefs religieux hindous du sous-continent indien. Un exemple parmi d'autres témoignant des difficultés que rencontrent aujourd'hui les autorités civiles et religieuses dans la lutte contre la prolifération sectaire.

La Russie compterait de 300 à 500 sectes, qu'elles soient religieuses, néo-paiennes proches des organisations fascistes et sataniques. "Un million de russes sont membres d'une organisation religieuse occulte, 70% des adeptes sont des jeunes entre 18 et 27 ans" a déclaré Alexandre Dvorkine, chargé de la lutte contre les sectes près du patriarcat, lors d'une table ronde se tenant à Moscou sur "les sectes totalitaires - armes de destruction massive" tenue fin octobre 2003.

Selon l'association mondiale des psychiatres, la Russie occupe la troisième place dans le monde pour le nombre d'organisations pseudo-religieuses. Les cultes les plus répandus sont ceux importés d'occident : Témoins de Jéhovah, Mormons, Eglise de scientologie, ou encore mouvements néo-charismatiques. Mais on rencontre également les grandes sectes orientales : Moon, Aoum, Hare Krishna, Saraya Yogi.

Tapis rouge pour les sectes

La Douma a voté en 1990 une loi sur la liberté religieuse qui stipule que toutes les religions sont égales. L'enseignement religieux est interdit dans les écoles publiques. Toute organisation religieuse qui compte au mois dix adeptes accède à une personnalité juridique.

Dans l'euphorie de le Perestroïka, la première vague sectaire déferle alors sur le pays. Les sectes sont accueillies à bras ouvert. En 1990, le gourou de la secte Moon, Sun Myung est l'invité personnel de Gorbatchev. Shoko Ashara, gourou de la secte AOUM, est reçu par Rouslan Khasboulatov, porte-parole de la douma.

Les scientologues arrivent en 1991 avec le "Narkonom" (programme de lutte contre la drogue) et ouvrent un centre de "dianétique". En 1992, la faculté de journalisme de l'université de Moscou décerne un doctorat posthume à Ron Hubbard (fondateur de la scientologie) et donne son nom à une salle de lecture.

Une fois installées, les sectes délimitent leurs zones d'influence et échangent les informations stratégiques.

Les effets néfastes de l'action des sectes ne tardent pas à se faire sentir. Les médecins sont les premiers à se manifester. En 1994, ils font interdire le programme de désintoxication des scientologues. Parallèlement, les directeurs d'écoles répercutent devant les tribunaux les plaintes de parents et des professeurs confrontés au prosélytisme des sectes.

Le 26 septembre 1997, la Douma adopte, à la quasi-unanimité, une nouvelle loi fédérale. Cette dernière reconnaît la liberté de conscience et de religion pour tous les citoyens et résidents de la Fédération de Russie. Si elle réaffirme la séparation de l'Eglise et de l'Etat, elle souligne "le rôle particulier de l'orthodoxie dans le développement de la nation russe et de sa culture".

Concernant les sectes, la législation distingue les religions traditionnelles des autres. Celles qui sont présentes sur le territoire russe depuis moins de 15 ans doivent chaque année déposer une demande d'enregistrement. Elles sont par ailleurs soumises à diverses contraintes (article 27 alinéa 3). En vain. La prolifération des sectes se poursuit.

Elles contournent la loi en créeant des filiales ou en inscrivant leurs activités dans le cadre des lois existantes. "Nous assistons à l'heure actuelle à une activation des anciennes sectes (scientologie, Mormons, Témoins de Jéhovah, Moon, Krishna) et à l'apparition de nouvelles organisations religieuses en particulier celles qui participent à la mouvance néo-Charismatique" déclare Alexandre Dvorkine.

L'Eglise partenaire du gouvernement

Il n'existe pour toute la Russie qu'un seul centre laïque de réhabilitation des victimes des sectes. Tous les autres centres sont religieux, et plus généralement orthodoxes.

Car si la nouvelle loi n'a pas eu d'impact sur le développement de sectes, elle a néanmoins conforté la position de l'Eglise orthodoxe, faisant d'elle un partenaire du gouvernement. "Nous sommes en présence de deux processus croisés, de sécularisation de la politique et de politisation de la religion. Le pouvoir a compris le rôle "fédérateur" que pouvait avoir l'Eglise, cette dernière a compris l'intérêt de la politique pour mener à bien son action" souligne le Père Doudko, le porte-parole du patriarcat.

En décembre 2002, au cours d'une conférence internationale sur les sectes à Ekatarinbourg, le Patriarche Alexi II a lancé une mise en garde : "Nous appelons tous les organes du pouvoir à lutter contre les sectes car ces dernières menacent la sécurité de l'Etat et en premier lieu celle de l'Eglise en tant que fondement moral et spirituel de notre société" a-t-il clamé.

La lutte contre les sectes s'inscrit dans un vaste programme de "sécurité spirituelle". "La sécurité spirituelle est la clé de la sécurité nationale ; c'est un bouclier contre "une cinquième colonne" c'est la principale protection de notre culture et de notre civilisation ainsi que la garantie d'une identité stable" a déclaré le président du comité pour les organisations publiques et religieuses de la Douma.

Réformer la législation

Début février 2004, Serge Glaziev, président du parti Rodina a quant à lui déposé un projet de loi visant à instaurer un partenariat social entre le gouvernement et les religions traditionnelles. A l'automne dernier, au cours d'une table ronde organisée à l'université de Saint Pétersbourg, le Père Georgi Ioffe, qui dirige le centre antisecte de la ville, a plaidé pour une révision de la loi :"il faut une nouvelle loi qui renforce les contrôles sur l'activité des sectes" a-t-il déclaré et d'ajouter "nous devrions prendre exemple sur les pays européens, la France et l'Allemagne".

Au cours d'une interview accordée à la télévision le 6 novembre 2003, Alexandre Dvorkine a également critiqué la législation. "La liberté de conscience est un droit individuel, ce n'est pas le droit d'un groupe" et de conclure "la meilleure arme contre les sectes demeure l'orthodoxie".

Par Nathalie OUVAROFF