Akademia, le phalanstère russe du 21e siècle ?

Comme la plupart des grandes villes de Russie, Ekaterinbourg, capitale industrielle de l'Oural depuis le 18e siècle, connaît un développement urbain impressionnant. La construction d'une ville nouvelle située à 7 km du centre de la métropole et pouvant accueillir 350 000 habitants est emblématique de l’essor économique et des mutations sociétales actuelles.


Sur un terrain vierge de 1.300 hectares, au cœur d'une forêt sauvage traversée par une rivière, la Patrouchka, va s'élever d'ici 2030 un nouveau quartier, moderne, au service du citadin. Les architectes français Valode & Pistre ont dessiné un parc de 20 hectares, autour duquel s'agencera cette cité du 21e siècle, avec ses écoles, ses centres commerciaux, médicaux, diplomatiques, universitaires, sociaux et culturels. Un large réseau de transports en commun permettra de parcourir les 35 km de rues du district et de rejoindre rapidement le centre d'Ekaterinbourg. De quoi attirer les investisseurs, russes ou étrangers, à développer leurs activités sur place. Un «développement urbain intégré» (DUI), comme l'appelle Renova StroyGroup, filiale du consortium Renova, promoteur et maître d’ouvrage privé, qui marque le saut dans l'urbanisme moderne des villes industrielles post-soviétiques. Innovation? Pas si sûr ...

Une ville «nouvelle» de presque trois siècles

Ekaterinbourg se développe, à partir de 1723, autour du complexe industriel naissant d'exploitation des minerais de l'Oural. La forteresse, qui deviendra ville en 1781, porte le nom de l’impératrice Catherine I, épouse de Pierre le Grand, et de Sainte Catherine, protectrice des montagnes. Le plan de la ville est orthogonal et centré sur le kremlin. A la croisée de l’Europe et de l’Asie, l'expansion de la cité se poursuit au 19e siècle, au rythme de la révolution industrielle et de l'exode rural.

Après la révolution d'octobre, l'idéologie communiste s'inscrit dans les artères de la ville. Ekaterinbourg devient Sverdlovsk en novembre 1924, du nom d'un héros bolchevique proche de Lénine. La nouvelle ville communiste doit répondre aux standards idéologiques de simplicité, de rationalité et de confort pour les travailleurs, toujours plus nombreux, attirés par la croissance de la région. Dans les années 1930, des maisons d'un nouveau type, dites communales, inspirées des idées fouriéristes, sont à l'honneur. Le quartier des Tchékistes, dans le centre de Sverdlovsk, illustre parfaitement cette vision urbaine, de même que le district d'Ouralmach.

La guerre interrompt cet élan; les usines du centre et du nord de la Russie sont déplacées vers l'Oural, drainant avec elles une main d'œuvre nombreuse. De petites maisons individuelles en bois sont construites à la va-vite, au nord de la ville.

Dans les années 1950, pour faire face aux besoins grandissants de logements, les habitats en série apparaissent. L'agglomération de Sverdlovsk se transforme en une accumulation de lieux d'habitations, les micro-raïons. La ville s’étend au sud dans les années 1960, où se dessinent des immeubles de logements de 5, puis 9 voire 16 étages. En théorie, chaque quartier est pourvu de centres commerciaux, d'infrastructures socioculturelles, de jardins et d'hôpitaux, de transports qui permettent de les relier entre eux. En réalité, l'environnement urbain est peu développé et de mauvaise qualité. En 1980, la pénurie de logements persiste, malgré la planification qui répond au slogan «A chaque famille, un appartement!». Peu de différences avec le Plan Fédéral Prioritaire du Logement actuel: plus d'un milliard de mètres carrés sont encore nécessaires, aujourd’hui, pour répondre aux besoins du pays[1].


Le plan d’Akademia © Renova Stroygroup

Un projet au cœur des préoccupations contemporaines

C'est dans ce cadre, ou plutôt dans cette lignée, que s'inscrit le projet Akadémia. Cette extension de la capitale de l’Oural, «mini-ville dans la ville», fait partie intégrante de la politique du logement impulsée par le Kremlin, qui prévoit la construction de 10 à 20 millions de mètres carrés par an jusqu’en 2010 dans toutes les régions de Russie, dont la Sibérie.

Akademia est certainement un projet innovant, voire «pilote», en Russie, par sa structure financière, qui implique une forme de partenariat public-privé entre l’Etat fédéral, la région de Sverdlovsk, la ville d’Ekaterinbourg et le groupe Renova.<br<
Plus d’ailleurs que par son plan d'urbanisme, composé à 95% d’immeubles de 6 à 40 niveaux. Les «town-houses», ou maisons individuelles de luxe, constitueront 1% de l'ensemble. Peu de différences, en somme, avec les projets des années 1970-1980. La véritable nouveauté résidera sans doute dans les lignes architecturales et dans les matériaux utilisés qui devraient permettre de mieux respecter l’environnement. L’une des ambitions du projet est de sensibiliser le citoyen russe aux économies d'énergie (chacun payant ce qu’il consomme réellement).

L’écologie est une préoccupation récente dans cette région, pourtant la plus polluée de Russie. En 1957, un accident eut lieu dans une centrale nucléaire située près de Tcheliabinsk; les retombées du nuage radioactif ont eu des conséquences sur trois générations. Puis, en 1979, un autre accident, dans un laboratoire médico-militaire d’Ekaterinbourg, provoqua une épidémie de charbon. Ces deux événements, bien que tabous jusque récemment, ont marqué les consciences autant que la démographie.

Un environnement sain, dans la région de Sverdlovsk, c’est pouvoir bénéficier d'une eau potable à domicile et d’électricité, sans interruption. C’est aussi avoir un réseau de traitement des déchets efficace. Et de grands espaces verts –héritage soviétique fort appréciable et indispensable. L’écologie, la grande bataille mondiale de ce siècle, est au cœur du projet Akadémia et l’ancre dans la modernité.

Paradoxe typiquement russe, une voie rapide de 2 fois 3 voies, destinée à «prévenir les bouchons» [sic!], reliera néanmoins Akademia et le centre-ville. Il n’est pas question, pour les promoteurs, de brider la consommation d’une société qui aspire à vivre dans l’opulence et le confort moderne. La voiture en fait partie. A priori, la piste cyclable qui la longera risque d’être détournée de ses fonctions ou de devenir un vague symbole «écolo» plus qu’une véritable alternative pour se déplacer.

Cette ville nouvelle semble ainsi répondre à la demande de la société russe du 21e siècle, celle d’une classe moyenne qui souhaite bénéficier de ce que le communisme n'a pas pu offrir aux générations précédentes: un lieu de vie, de travail et de loisirs, situé en pleine nature et facilement accessible. Une sorte de phalanstère contemporain à la mode russe, en somme.

[1] « Dostoupnoe jilio: ojidania i realnost» («Logement accessible: attentes et réalité»), Ekonomika Rossii – 21 vek, n° 21, juin 2006, http://www.ruseconomy.ru/nomer21_200606/ec08.html

 

Par Géraldine PAVLOV
Source Photo : Renova Stroygroup