Bulgarie : quel futur pour les villes nouvelles?

Le 25 août 2007, la ville de Dimitrovgrad, ville nouvelle de la période socialiste, a fêté le 60e anniversaire de sa création. Cet événement offre une opportunité de faire le point sur les villes nouvelles bulgares ainsi que d’avancer certaines idées relatives à leur avenir.


Situé sur l’axe majeur qui relie les civilisations Est-Ouest et Nord-Sud, le territoire de la Bulgarie a depuis toujours suscité un intérêt constant d’ordre géopolitique et géostratégique. Cette spécificité s’est traduite en termes d’aménagement du territoire par une trame urbaine dense et bien structurée. Créée dès l’Antiquité dans l’objectif de sédentariser les peuples qui ont transité dans la région, cette trame n’a que marginalement évolué dans ses grandes lignes depuis la période gréco-romaine. C’est le cas, en particulier, après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Dans le cadre des nouvelles réalités européennes après 1945, la Bulgarie s’aligne sur la nouvelle politique socialiste dont le centre désormais se situe à Moscou.

Reconstruction et industrialisation d’après-guerre

Peu après la guerre, les destructions massives et la pénurie de denrées alimentaires ont contraint le parti communiste bulgare au pouvoir à s’engager dans une politique de reconstruction accélérée. Et si, idéologiquement, cette reconstruction était basée sur un nouveau modèle de vie socialiste, sur le plan économique elle se traduisait par une industrialisation massive du pays. Au fur et à mesure que le programme de développement industriel prenait de la vigueur, la création des villes nouvelles devenait l’élément clé de cette politique. Créées après 1945 près des sources de matières premières, les villes nouvelles bulgares se sont donc développées en parallèle avec le programme d’industrialisation du pays. Dans ces conditions particulières naissent les villes de Dimitrovgrad, Madan, Roudozem, villes nouvelles dont la vocation principale est de servir de modèles industriels et urbains à la nouvelle société socialiste.

Une des spécificités des villes nouvelles bulgares créées après la Seconde Guerre mondiale est que chacune d’elles disposait d’un plan d’urbanisme selon lequel les logements, les infrastructures et les services étaient assurés à la population en même temps que la construction des entités industrielles avançait.

En ce qui concerne Dimitrovgrad, par décret du 8 juillet 1947, l’équipe de l’architecte et urbaniste Liouben Tonev a été chargée d’élaborer le projet d’urbanisme et le plan de régulation du bassin minier «Rakovski-Mariino» situé à une douzaine de kilomètres de la ville de Haskovo, dont le combinat chimique «Staline» (aujourd’hui Neohim PLC) était l’objectif industriel premier. Les villes nouvelles de Madan et de Roudozem ont été construites près des usines de flottation, spécialisées dans le traitement des gisements de plomb et de zinc extraits dans les montagnes des Rhodopes. Les trois villes nouvelles ont été créées sur des terrains vierges. Toutefois, des villages (Tchernokoniovo, Voulkan, Rakovski et Mariino dans le cas de Dimitrovgrad) et des hameaux (dans le cas de Madan et de Roudozem) ont été annexés aux territoires des villes nouvelles.

Depuis leur création jusqu’à la chute du Mur de Berlin, les villes nouvelles bulgares ont pleinement profité du support inconditionnel de certains leaders de premier rang du Parti communiste qui ont bâti leurs carrières politiques dans ces villes[1]. Depuis leur création, les villes nouvelles ont été le lieu de rassemblement de la jeunesse communiste qui, organisée en brigades, faisait couler les fondations d’immeubles de logements, d’usines, d’infrastructures, de parcs et de jardins publics. Et si les villes nouvelles bulgares se voulaient être des vitrines de l’aménagement du territoire et urbain correspondant à l’idéal socialiste de l’époque, l’année 1989 a mis fin à cette période de croissance soutenue par le Parti. En fait, les événements de la période postérieure à 1989 ont mis à l’épreuve ces créations ex- nihilo et leur raison d’être en tant que centres urbains à part entière.

Un contexte nouveau

La globalisation dans le domaine de la production industrielle et la concurrence sur les marchés internationaux ont testé le bien fondé ainsi que les capacités de survie des villes nouvelles bulgares. Après 1989, ces villes ont dû composer avec deux processus parallèles: la diminution de la demande, allant jusqu’à la fermeture de certaines entités de production, et, simultanément, l’achat des meilleures industries locales par des compagnies multinationales.

Les exemples de ce processus sont nombreux pour la seule ville de Dimitrovgrad. Le leader international Italcementi Group a racheté la compagnie Vulkan AD, principal producteur de ciment dans la région qui exporte la majeure partie de sa production en Espagne, en Italie, aux États-Unis et dans les pays d’Afrique. Pour sa part, la compagnie Neohim PLC a été vendue par l’Agence de privatisation aux compagnies Evro Fert PLC et Karifert International Offshore, compagnie libanaise. Neohim PLC produit des composantes chimiques de qualité pour l’agriculture, et plus spécialement des engrais.

Les changements substantiels survenus lors de la période de transition ont affecté largement la population active des villes nouvelles. Selon les données du recensement de la population de 2003 qui figurent dans le Plan de développement de la municipalité de Dimitrovgrad, la population de la commune est passée entre 1996 et 2003 de 53.000 à 43.000 habitants. Pour sa part, la commune de Roudozem a diminué de 12.027 habitants en 1985 à 11.117 habitants en 2004. Cette tendance à la diminution de la population est caractéristique aussi pour la commune de Madan qui, en 2005, ne compte que 14.287 habitants (population de plus de 16.000 habitants dans les années 1990). Le départ du personnel qualifié et des jeunes diplômés vers les grands centres urbains comme Plovdiv, Stara Zagora et Haskovo constitue un problème majeur pour l’administration des villes nouvelles.

Faisant face aux impacts de la transition, les villes nouvelles bulgares se sont dotées de plans municipaux de revitalisation. Le Plan de développement de la municipalité de Dimitrovgrad, qui couvre la période jusqu’en 2013, est un plan rationnel et pragmatique basé sur une approche qui se veut équilibrée entre ressources naturelles, potentiel économique et culturel, et ressources humaines disponibles dans la région[2]. Dans les plans de développement des municipalités de Madan et Roudozem, les priorités sont liées au renforcement du secteur privé, à la rénovation des infrastructures (principalement routières) et à la mise en place de mesures pour contrer le chômage au sein de la population active.

Les aides européennes, une opportunité

Situées exclusivement dans la partie méridionale de la Bulgarie, traditionnellement moins développée sur le plan économique que le nord du pays mais riche en matières premières pour l’industrie, les villes nouvelles n’ont jusqu’à maintenant qu’inégalement profité des programmes de développement offerts par les organisations internationales. Plusieurs exemples positifs peuvent être cités: la ville nouvelle de Roudozem a pris part au programme de l’Union européenne pour la création du passage transfrontalier «Ellidjé» entre la Bulgarie et la Grèce. La commune de Madan a bénéficié des programmes d’infrastructures financés par la Banque mondiale pour la construction d’une série de barrages sur la rivière Arda.

L’adhésion de la Bulgarie à l’Union européenne, le 1er janvier 2007, a ouvert la voie à de nouvelles opportunités pour le pays. Aujourd’hui, le statut de pays membre de l’UE permet aux administrations des villes nouvelles bulgares de profiter de la politique de cohésion régionale européenne. Celle-ci, qui vise à l’atténuation des disparités entre les régions, la mobilisation des potentiels inexploités et la concentration des ressources autour d’investissements générateurs de croissance, pourrait ouvrir aux villes nouvelles bulgares des possibilités jusqu’alors inexploitées de croissance et de développement. C’est une deuxième chance pour les régions en difficulté.

Dans ce nouveau contexte européen, les administrations des villes nouvelles bulgares annoncent dans leurs plans de développement des objectifs ambitieux, tout en identifiant les principaux défis comme le déclin démographique, la hausse des tarifs énergétiques, les changements climatiques et la polarisation sociale. C’est pourquoi, aujourd’hui, il semble clair que le futur des villes nouvelles va se jouer autour de la mise en valeur de leur réel potentiel de développement, soutenu par un cadre européen favorable à la croissance économique régionale. Dans ce sens, le rassemblement judicieux des synergies locales, nationales et européennes serait la clé de la réussite des villes nouvelles bulgares dans une perspective de court et moyen termes.

Bibliographie et sources d’information:
- Radian Gurov, Villes nouvelles créées après 1944: l’exemple de la Bulgarie, Thèse de doctorat, Institut d’urbanisme de Paris, Université Paris XII Val-de-Marne, 1993.
- Plan de développement de la municipalité de Dimitrovgrad:
-http://www.dimitrovgrad.bg/plan.aspx
- http://www.devco.government.bg/langen/public/portal/about_part.php
- http://ec.europa.eu/regional_policy/index_fr.htm
- http://www.arm-bg.org/Obshtini/madan_bg.html
- http://www.evroportal.bg/article_view.php?id=725874
- http://www.tova-e-bulgaria.com/Smolyan/Roudozem/RoudozemBG.html

[1] Les dirigeants du Parti ne sont pas les seuls à avoir profité de la publicité liée aux villes nouvelles. Les architectes et les urbanistes tels que Liouben Tonev, Pétar Tachev, Deltcho Sougarev et bien d’autres ont reçu les honneurs du Parti pour avoir pris part à la planification des villes nouvelles bulgares.
[2] Le Plan de développement de la municipalité de Dimitrovgrad est un document qui présente de façon claire les vrais enjeux auxquels est confrontée l’administration et propose des solutions pragmatiques qui visent la stabilisation de la commune.

* Radian GUROV est architecte urbaniste. Il a enseigné à l’université d’architecture, de génie civil et de géodésie de Sofia, à l’école d’architecture de Bordeaux et à l’université d’Ottawa. Il travaille actuellement à la Direction des bâtiments, au sein du ministère canadien des Ressources naturelles.