Arskoe ou le renouveau de la foi orthodoxe

En périphérie d’Oulianovsk, ville natale de Lénine sur la Volga, un village d’une centaine d’habitants connaît aujourd’hui une recrudescence d’activités autour d’un centre spirituel orthodoxe. Vers Arskoe convergent chaque année des milliers de pèlerins, ainsi que de hauts dirigeants qui y demandent la bénédiction du père Alexeï. Dans ce village touché par le chômage et l'alcoolisme, le projet du prêtre qui est aussi architecte, porte le nom évocateur de «réhabilitation de l'orthodoxie». Reportage au sein de cette communauté qui s’est donné pour mission sociale de «réinsérer d'anciens alcooliques en leur montrant le droit chemin».


En s’approchant du village, on aperçoit d’abord un immense portail blanc au sommet duquel flotte un drapeau à l’effigie du Christ. Derrière la muraille immaculée se dressent deux églises. La plus récente, Xénia la Bienheureuse, a été construite en 2005 afin d’assurer la célébration de l’office au village, en attendant la restauration de l’église de l’Epiphanie. Cette dernière a été érigée en 1654 par des Cosaques envoyés pour peupler la région. Elle avait été quasiment détruite par les bolcheviques qui ont fusillé les prêtres en 1926 pour «activité anti-soviétique». Le père Alexeï se souvient du piteux état dans lequel il l’a découverte il y a dix ans: «Elle avait été transformée en entrepôt et sa croix avait été à moitié arrachée.»

Le gîte et le couvert pour tous à une condition: travailler

«L’aventure a commencé en 2002, raconte le prêtre, quand l’archevêque de Simbirsk m’a nommé pour m’occuper de la restauration.» Il a alors eu l’idée de «réhabiliter les victimes des guerres et conflits locaux », en fait, d’anciens soldats, en les faisant travailler sur les chantiers de construction en échange d’un hébergement complet. « Mais ça n’a pas coulé de source», affirme le prêtre. Il a fallu trouver des fonds, convaincre des hommes alcooliques, voire toxicomanes - le père Alexeï a reçu plusieurs menaces de mort de la part des villageois. «Au début, on n’avait pas un kopek pour les travaux, donc on est allé récupérer les matériaux, les pierres qu’on trouvait, dans les usines désaffectées après la crise», se souvient Serioja, un fidèle compagnon. Depuis, les donations ont afflué, ce qui a non seulement accéléré le chantier, mais l’a aussi élargi. On a d’abord construit des habitations annexes pour les travailleurs, une école paroissiale, une infirmerie, une étable, des potagers, etc. C’est ainsi qu’est née la communauté.

Sous le regard attentif de Galina Stepanovna, chacun vaque à ses occupations, les femmes entre les fourneaux et les tâches ménagères, tandis que les hommes scient du bois, transportent des briques et restaurent minutieusement l’ancienne église. Tous sont tenus de travailler, y compris les enfants qui viennent avec leur mère ou leur grand-mère pendant les vacances. «Sans Galina Stepanovna, le complexe n’en serait pas là, confie Fedia en entassant le bois qu’il vient de couper, dès qu’elle nous voit en train de faire une pause, elle nous engueule, alors on est obligé de se remettre au travail tout de suite. Et si on a terminé, elle nous trouve toujours quelque chose à faire.»

Retour aux traditions sans exclure la modernité

La communauté semble vivre dans un autre temps. Exemple de ce retour aux sources, le prêtre revendique son respect des rites grecs anciens et prononce des mots en vieux slave pendant les cérémonies. On travaille dur, environ douze heures par jour. Grâce aux animaux qu’ils élèvent et aux légumes qu’ils font pousser, les résidents vivent quasiment en autarcie. «On vit à l’ancienne», avertit Lena, une des cuisinières, en indiquant avec un sourire gêné les seuls toilettes du complexe. Il s’agit d’un trou dans une cabane, d’où se dégage une odeur difficile à supporter. Se laver? Oui, une fois par semaine à la bania, le sauna russe. «Mais, explique Galina Stepanovna, nous allons aux fonds baptismaux chaque jour pour nous purifier. Il faut plonger la tête trois fois dans l'eau glacée en se signant. Cela nous protège des maladies».

Toutefois, Arskoe est loin d'être coupé du monde moderne. Beaucoup ont un téléphone portable qui leur permet de communiquer entre eux sur le territoire éclaté en trois zones (l'école paroissiale et les champs sont en dehors des murs). Quant au père Alexeï, il a un ordinateur portable et a même créé un site web[1]. Pour lui, «la foi orthodoxe fait partie intégrante de la culture russe» et c'est ce qu'il essaye de transmettre aux gens. Parmi les habitants de la Fédération de Russie, environ 60% se disent croyants, et 8,5% sont pratiquants, d'après les données de l'agence Interfax. Ces chiffres sont en constante augmentation. Aujourd’hui, une vingtaine d’ouvriers travaillent sur les chantiers. Certains jeunes en apprentissage viennent pendant l’été y acquérir une formation. Un premier chantier de volontaires internationaux a vu le jour en 2007, suivi d’un second en 2008.

Ce qui se passe en Russie n’est pas tant renaissance de la foi, qui n’avait de fait pas disparu pendant la période soviétique - une époque où l’on cachait les icônes sous les lits et où des enfants étaient baptisés clandestinement - mais plutôt une volonté d’affirmer une identité culturelle propre. Une chose est cependant frappante, c’est le sentiment de patriotisme très présent à Arskoe. Le père Alexeï explique qu’il bénit les militaires «pour qu’ils défendent le territoire». Ainsi, pour lui, la guerre en Tchétchénie menée par l’armée russe en 1999 «a été une bonne chose». Et de rajouter, «nous pouvons faire confiance à Monsieur Poutine pour protéger l’intérêt du peuple russe en cas de guerre avec un pays ennemi.» Le message est relayé par le reste de la communauté qui vit dans l’idée qu’«une prochaine guerre n’est pas impossible». Le père Alexeï prône la paix sur la terre pendant les offices mais, en fin de compte, cette paix est bien relative.

[1] www.arskoe.ru

* Piera BASSIS est journaliste indépendante

Photos: © Piera Bassis