Azazel, où l’on fait la connaissance d’Eraste Fandorine…

Eraste Petrovich Fandorine est "régistrateur" de collège de quatorzième classe à la direction de la police judiciaire de Moscou, autant dire qu'il occupe un obscur rang de gratte-papier.


Dès les premières pages de Azazel, le personnage s'apparente à un anti-héros: jeune homme au passé douloureux, il est orphelin à l'âge de dix-neuf ans et héritier des très nombreuses dettes de son père. Contraint de "gagner son pain", il abandonne ses études et entre dans la police criminelle où il est méprisé par ses supérieurs -qui considèrent qu'il n'y a pas grand chose à attendre de lui, car il est "bien trop sensible, bien trop raffiné"[2]. Aussi n'hésitent-ils pas d'emblée à lui imposer les dossiers les plus difficiles: trois semaines à peine après sa prise de fonction, il doit ainsi rendre visite au témoin d'un suicide dans un jardin public de Moscou[3]. Le héros se retrouve alors au cœur d'une mystérieuse histoire de groupes nihilistes, et aux prises avec une association dénommée Azazel, du nom de l'ange déchu de la Bible, dont les activités ne sont pas sans inquiéter l'Empire tsariste (du temps d'Alexandre II).

Eraste Fandorine, conformément au mythe qu'il incarne, se révèle rapidement un enquêteur exceptionnel pourvu de qualités de déduction impressionnantes qui vont l'aider à résoudre une énigme mettant en cause une partie de la jeunesse dorée moscovite. Nous sommes en mai 1876. Pour Fandorine, c'est le début d'une grande carrière qui va le conduire à travers de nombreuses aventures. Douze au total. En effet, l'idée de l'auteur, Boris Akounine, est de nous promener à travers l'histoire russe de la fin du XIXème siècle, et de nous conduire jusqu'à l'un des événements majeurs du début du siècle passé: la Révolution de 1917[4].

L'auteur -de son vrai nom Grigori Chalvovich Tchkhartichvili- a déjà écrit sept tomes que les Presses de la Cité publieront en traduction régulièrement. Inconnu en France avant ce début d'année, il est considéré en Russie selon Nikolaï Alexandrov, critique de la radio Echo de Moscou, comme "un phénomène de la littérature russe" et "un auteur unique en son genre"[5]. C'est que "Akounine raconte l'histoire de la Russie du XIXème siècle, mais c'est une histoire reflétée par la littérature. Il nous tient en haleine avec une histoire policière, tout en faisant preuve d'une grande liberté de narration. Il satisfait donc tous les publics et cela explique son succès"[6].

 

 

 

[1]Eraste Fandorine est le héros récurrent de Boris Akounine que l'on découvre pour la première fois dans Azazel, publié aux Editions des Presses de la Cité en 2001, et traduit du russe par Odette Chevalot (320 pages].
[2]Azazel, p. 13.
[3 La scène du suicide par laquelle débute l'Azazel de Akounine n'est pas sans rappeler le célèbre roman Le Maître et Marguerite de Mikhaïl Boulgakov. Il semble en effet que l'auteur y ait puisé, pour une part, son inspiration. En fait, pour être exact, le lecteur averti verra dans la succession des aventures d'Eraste Fandorine un palimpseste de la littérature russe aussi bien classique que moderne.
[4]Le Gambit turc, également traduit par Odette Chevalot aux Editions des Presses de la Cité, 2001, 304 pages, paru au même moment que Azazel. Le troisième tome, Le Léviathan, est à paraître en septembre 2001 chez le même éditeur.
[5]Il est en effet très célèbre en Russie, où il a publié une suite à la pièce de Tchékhov La Mouette, ainsi que deux autres séries:l'une met en scène Pélagie, l'autre le petit-fils d'Eraste Fandorine dans la Russie contemporaine.
[6]Propos recueillis par Jean-Pierre Thibaudat à Moscou pour Libération, 8 mars 2001.

Par Aurélie GAUTHIER