Baïkonour : un mythe en perdition?

Nous voici au cosmodrome de Baïkonour, à 45.9° N, 63.3° E au cœur des steppes de la République kazakhe. Le site est mythique. Mais, il pourrait bien disparaître sous la menace de Plessetsk, un rival en territoire russe.


Le géant kazakh, celui-là même qui vit partir le premier homme dans l'espace, souffre. La Russie vient pourtant de lui donner un nouveau coup de grâce. Le 25 février dernier, le pas de tir de Plessetsk, construit en 1966 au nord-ouest de la Russie, a été choisi par les autorités russes pour procéder au premier lancement spatial de l'année 2002.

Un geste hautement symbolique. Car la base est devenue depuis plusieurs années le point de mire d'une nouvelle politique spatiale fédérale.

Aux mains des Forces Militaires Spatiales russes, Plessetsk lance d'ores et déjà la totalité des satellites militaires russes. Mais, Moscou voit plus grand encore. Son objectif : développer le cosmodrome pour y effectuer, d'ici à 2005, l'ensemble des lancements spatiaux russes -navettes, fusées et missions. Pour ce faire, un nouveau lanceur baptisé Angara a été développé, et devrait être construit pour 2003. Une opération au budget vertigineux de 1,6 milliards de dollars. Si le Kremlin réussissait à réunir les fonds nécessaires, cela signerait l'arrêt de mort de Baïkonour.

Accès indépendant à l'espace

Construit dans les années 50, à des coordonnées longtemps tenues secrètes par l'Armée rouge, le plus grand cosmodrome du monde tombe aujourd'hui en ruine. Car, la chute de l'Union soviétique a, ici comme ailleurs, laissé des traces indélébiles. Dès 1991, le glorieux flambeau de l'épopée spatiale soviétique devient un fardeau de plus pour une industrie spatiale asphyxiée, au budget amputé de 80%. Snobée par les militaires, la base de lancement passe progressivement sous le contrôle civil de l'Agence spatiale russe, l'actuelle Rosaviacosmos.

Trois ans plus tard, en mars 1994, la Russie et le Kazakhstan parviennent à s'accorder sur le statut du cosmodrome. Les Russes obtiennent alors le contrôle de Baïkonour pour une durée de vingt ans, au prix d'un loyer annuel de 115 millions de dollars. Une somme astronomique que la Russie devait commencer à verser en 1999. La même année, le crash de deux fusées Proton sur le Kazakhstan pousse le gouvernement kazakh à augmenter la "note" russe d'une taxe supplémentaire sur chaque lancement commercial.

Irritée par le droit de regard des autorités kazakhes de plus en plus gourmandes, Moscou se conforte dans ses positions : il lui faut à tout prix posséder un accès indépendant à l'espace. Et si nécessaire, sacrifier Baïkonour aux latitudes pourtant idéales pour les lancements spatiaux.

Certaines des installations techniques kazakhes sont alors progressivement transférées vers les principaux sites spatiaux russes, à Plessetsk et Svobodny. A tel point qu'en 2000, il ne restait que 10% des installations militaires d'origine du centre spatial kazakh.

Nouvelle vie

Pourtant, Baïkonour, que certains avaient surnommé sans doute un peu vite "l'archéodrome", peut encore espérer.
La Russie elle-même n'est pas prête à l'abandonner totalement. A l'issue d'une réunion intergouvernementale kazakho-russe tenue mi-février à Moscou, la Russie a même affirmé vouloir investir quelques 16,2 millions de dollars dans la remise en état du site. Par nostalgie? Peut-être, mais davantage par clairvoyance. Car, la station lui rapporte encore quelques millions de dollars par an.

Et, même si les activités spatiales du cosmodrome ont été considérablement réduites depuis l'ère soviétique, Baïkonour demeure l'une des bases de lancement les plus actives du monde. Une nouvelle vie permise, en grande partie, par les accords signés avec l'aérospatiale occidentale.

Au milieu des constructions en ruine, des installations en parfait état de marche sont utilisées pour les lancements commerciaux et les missions habitées de l'International Space Station. L'arrivée de Starsem, l'entreprise française qui commercialise les fusées Soyouz, et celle de la société russo-occidentale International Launch Services, qui commercialise le lanceur Proton, ont également eu un impact économique indéniable sur le cosmodrome, comme sur la région. Starsem aurait ainsi investi près de 35 millions de dollars dans la rénovation d'un pas de tir et la construction de nouvelles infrastructures.

En 1999, ce serait au total près d'un milliard de dollars qui aurait été investi par des firmes occidentales et internationales dans le secteur spatial russe. Une poule aux œufs d'or dont Baïkonour pourrait bien profiter jusqu'à ses vieux jours.
Un bémol toutefois : le cosmodrome ne doit pas perdre de vue que le bail cédé par les Kazakhs expirera en 2014.

Par Célia CHAUFFOUR

244x78