Pologne : les mineurs de Silésie

La Voïvodie de Katowice, est un centre industriel vieux de deux siècles. Avec une trentaine de mines en activité, cette région représente le centre charbonnier et industriel le plus important de toute la Pologne, voire d'Europe centrale.


La Haute Silésie est néanmoins la région la plus dégradée de Pologne. Les conditions écologiques sont déplorables. Et pour preuve, la surconcentration industrielle est à l'origine de nombreux dysfonctionnements environnementaux et humains. Le taux de mortalité y est largement supérieur à la moyenne nationale et serait cinq fois plus élevé qu'en Europe de l'Ouest.

La reconversion des grands sites industriels de la région a entraîné une hausse significative du taux de chômage. De 1989 à 1998, le nombre total de mineurs est passé de 415 000 à 251 000, malgré des grèves massives à l'appel du syndicat Solidarnosc. A l'heure actuelle, l'arrêt total de l'activité minière n'est pourtant pas envisagée bien que les conditions d'extraction soient très difficiles (charbon en profondeur dans des veines étroites). Rappelons que la Pologne était en 1989 le 4ème producteur et exportateur mondial de charbon.

La reconversion des bassins houillers s'annonce donc difficile pour les mineurs de cette région. Pour une grande partie de la population minière, le changement de régime politique signifie aujourd'hui la perte de la dignité et de la valorisation de soi par le travail, situation comparable sur ce plan à celle des bassins houillers de l'Europe de l'Ouest des années 80.

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Entretien avec une famille de mineurs - Nov 1998

Le travail de mineurs

Les mineurs polonais ont commencé le travail dans les mines au début du siècle dans des conditions extrêmement difficiles. Ils creusaient dans des couloirs très étroits où le charbon était friable. Pour se déplacer, ils rampaient sur les genoux et leurs têtes cognaient contre les poutres scellées à la roche.

Dans les années soixante, les mines polonaises ont commencé à se moderniser grâce à une mécanisation intensive. Les mineurs se souviennent au début avoir travaillé à la main, avec quelques outils, et avoir été payés au rendement, au mètre creusé. Les systèmes de sécurité, de protection des couloirs et des tunnels, ont été renforcés progressivement. Les armatures en bois ont été remplacé par d'autres plus solides, en métal. Néanmoins, sous le régime communiste, les mineurs affirment que la rentabilité était privilégiée au détriment de la sécurité.

Le fils de Gustaw Wesolek travaille depuis six ans à la mine. Il a commencé à l'âge de 19 ans.

Andrzej Wesolek 25 ans : "J'ai d'abord fait des études dans un lycée professionnel où l'on forme les mineurs. Puis je suis rentré à la mine. Tout en travaillant à la mine, j'ai repris mes études. Après mon bac, j'ai rejoint une école supérieure pour suivre une formation commerciale. Je me suis alors rendu compte que je ne voulais plus travailler dans la mine. Je peux trouver mieux ailleurs, même si je ne sais pas encore très précisément ce que je veux faire".

Le travail dans la mine permet à Andrzej de payer ses études et de suivre les cours du week-end. La mine ne lui permet pas de s'épanouir, d'autant plus qu'il n'y a pas de perspectives d'avenir. D'ici quinze à vingt ans, de nombreuses mines auront fermé.

Andrzej Wesolek : "Au sein de la mine, il y a des services très différents. Grâce à mes études, je pourrai changer de poste et évoluer dans l'administration. Mais, je n'abandonnerai mon poste actuel que lorsque je serai sûr d'avoir trouvé autre chose ailleurs. Je préfère rester à la mine plutôt que de me retrouver au chômage. Ici, comme beaucoup de jeunes, je 'assiste à des cours du soir dans le cadre d'une reconversion".

Les syndicats - Vie familiale

A l'heure actuelle, on compte en Pologne une dizaine de syndicats dans la plupart des complexes miniers ... et même s'il n'y a pas de statistiques précises, le nombre de mineurs syndiqués approcherait les 80 %.

Gustaw Wesolek 50 ans (mineur) : "Quand j'ai commencé le travail dans la mine, j'ai participé à plusieurs grèves. La direction nous payait parfois les journées de grève. Une situation qui a bien changé. Aujourd'hui, les mineurs ne manifestent plus. Ils ont peur de perdre de l'argent. S'ils veulent une augmentation de salaire, une commission se réunit et les syndicats discutent avec la direction. Les syndicats ont encore beaucoup de pouvoir. On peut même dire que dans certaines mines, les syndicats sont plus puissants que la direction, sûrement parce que Solidarnosc possède des députés au parlement ...".

En général, il n'y a aucune division entre les mineurs sur un même lieu de travail. Même s'ils ne sont pas dans les mêmes syndicats, partis politiques ou groupes religieux, ils restent très solidaires entre eux. Lorsqu'un accident se produit au fond de la mine, les mineurs restent auprès des blessés jusqu'à l'arrivée des secours. Ils refusent même de sortir sous la pression de la direction.

Pawel Wesolek 80 ans, père de Gustaw, mineur à la retraite : "De tous les métiers exercés au monde, j'ai l'impression que c'est dans la mine que l'on voit la plus forte solidarité".

Avant la chute du communisme, le travail, la famille et l'Eglise occupaient une place primordiale dans la vie quotidienne des mineurs polonais. Ils ne voyaient que les avantages que leur offrait la mine : les mineurs payaient un loyer très modeste, ils pouvaient profiter d'un jardin et faire des provisions pour l'hiver.

Chaque administration minière donnait aux familles des vacances à la montagne ou au bord de la mer, dans des maisons d'accueil, ou des appartements collectifs. Les vacances pour les enfants étaient aussi très bien organisées. Les enfants partaient à l'étranger, très souvent en Russie, en Bulgarie, au bord de la mer Noire, près d'Odessa, ou en Crimée.

La mine représentait la sécurité de l'emploi et les aides sociales. Des magasins étaient réservés aux mineurs. Ils pouvaient y acheter des équipements ménagers, ou d'autres produits que l'on trouvait très difficilement ailleurs. Ils étaient privilégiés.

Les mines étant devenues la base de l'industrie en Pologne, l'Etat donnait tout aux mineurs en échange de leur travail. C'était la priorité nationale. Aujourd'hui, la mine est beaucoup moins avantageuse. Tout le monde a accès à la consommation.

Environnement

Gustaw Wesolek 50 ans, mineur à la retraite : "La pollution est importante dans la région de Katowice. Mais, ce n'est pas la mine qui pollue, ce sont les usines de transformation du charbon. Le travail du mineur est lié à la nature. Je n'allais donc pas travailler en pensant que mon activité polluait l'environnement. Je me souviens, il n'y a pas très longtemps - dix ans peut-être, un groupe d'usines venait juste de s'implanter et les habitants des villages alentour s'apercevaient du changement de l'air immédiatement. Les écologistes ont eu beaucoup de mal à lutter contre ces usines ...".

Les traditions et la religion catholique

Les traditions religieuses sont encore très ancrées dans la culture des mineurs polonais. Avant de descendre dans la mine, même les athées saluent Sainte Barbara, la patronne des mineurs. Le 4 décembre, jour de la Sainte Barbara, les mineurs vont à l'église pour prier : des messes sont organisées spécialement pour eux.

Andrzej Wesolek 25 ans : "La majorité des mineurs est catholique. Il existe aussi des protestants et des orthodoxes, mais tous les mineurs rejoignent la tradition du culte de Sainte Barbara. Mais, je pense que la plupart des mineurs ne croit pas vraiment au pouvoir de protection de Sainte Barbara. Je vois ça plutôt comme une tradition ... mais peut-être que certains y croient vraiment. Je pense que nous avons changé d'époque de façon radicale, et ces traditions ne correspondent plus vraiment à ce que nous vivons à présent".

Ewa Wesolek, 22 ans fille de mineur (père mineur) : "Mon père rentrait toujours à 22h30, et s'il n'était pas à la maison à l'heure précise, ma mère commençait à s'inquiéter. Elle transmettait son inquiétude à chacun de nous; on la partageait ensemble. La peur qu'il ne revienne pas était forte parce qu'on entendait parler très souvent d'accidents dans la mine. Les mines où mon père travaillait étaient vieilles et dangereuses. En cherchant du charbon de plus en plus bas, les constructions constituées d'armatures en bois se sont fragilisées, des étages entiers se sont effondrés à certains endroits de la mine.

Durant toutes ces années, je ne me suis jamais endormie avant qu'il ne rentre. Je guettais le moment de son arrivée, et dès qu'il ouvrait la porte, je pouvais m'endormir. Je ne me souviens que de ses retours ; j'étais contente quand il était à la maison ... je ne vivais pas avec ses problèmes, il n'en parlait pas".

Par Max HUREAU
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