Bélarus : le retrait des sanctions redéfinit les relations avec l’Union européenne

Le 15 février 2016, les 28 ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne ont abrogé les sanctions européennes contre le Bélarus. Même si l'embargo sur le commerce des armes demeure , cette décision entérine une suspension provisoire décidée le 29 octobre 2015 après la réélection du président Loukachenka.


Mises en place en 1998 par le Conseil de l'Union européenne (UE), ces sanctions diplomatiques et économiques visaient trois entreprises et 170 personnalités de l’État qui voyaient leur droit d'entrée sur le territoire européen restreint et leurs avoirs en Europe gelés. Elles avaient été régulièrement assouplies ou renforcées, notamment en 2010 lorsque, au moment de la réélection du président Alexandra Loukachenka, des manifestations populaires avaient été sévèrement réprimées par les autorités.

Que signifie concrètement cette abrogation pour les rapports entre l'Union européenne et le Bélarus et pour la géopolitique régionale ?

Une récompense pour les efforts du Bélarus

La décision finale de l'UE[1] récompense ce qu'elle a perçu comme des efforts consentis par le gouvernement biélorusse au cours des derniers mois: la libération par décret présidentiel de six prisonniers politiques au mois d'août 2015 et l'octroi d'un temps de parole égalitaire aux candidats de l'opposition durant la campagne des élections présidentielles. Les observateurs de l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) estiment « respectable » ce temps de parole mais qualifient l'élection, remportée par Loukachenka avec 83,5 % des suffrages, de non compétitive car elle ne remplit pas les critères d'un scrutin démocratique. Toutefois, l'Union européenne (UE) avait choisi de faire un geste en direction du Bélarus en suspendant les sanctions quelques jours après l'annonce des résultats.

Ce retrait définitif des sanctions prend également acte l'implication du Bélarus dans la crise ukrainienne. En effet, en septembre 2014 et en février 2015, la capitale biélorusse, Minsk, a accueilli des négociations entre la Russie, l'Ukraine, la France et l'Allemagne. Le président Loukachenka s'est montré très impliqué et réellement concerné par la situation en Ukraine. Ses positions conciliatrices sur ce dossier lui permettent d'apparaître comme un élément stabilisateur dans la région.

Un changement de la politique européenne envers le Bélarus

La levée définitive des sanctions en février 2016 marque l’amorce d'une nouvelle stratégie européenne envers le Bélarus. Les 28 pays de l'UE ont décidé de passer d'une stratégie coercitive, dont ils ont pu observer les limites, à une stratégie de responsabilisation du gouvernement de Loukachenka. Selon Kamil Kłysiński, expert à l'OSW (Centre pour les Études orientales, Pologne), il faut voir dans le retrait des sanctions, non pas « une réaction aux actions symboliquement démocratiques des autorités biélorusses, mais un choix politique »[2].

L’abrogation des sanctions est un choix politique fort car les efforts de démocratisation du Bélarus sont loin d'être convaincants. Les élections présidentielles ont été jugées non compétitives, l'opposition est toujours inaudible et la justice biélorusse a condamné le 16 février 2016 un homme à la peine capitale[3], alors que le sujet de la peine de mort demeure une pomme de discorde avec l'UE.
L'annonce du retrait des sanctions ne signifie pas que le gouvernement dispose à présent d'une caution européenne pour la conduite de sa politique générale, bien au contraire. Lors de son annonce du retrait des sanctions, le Conseil de l’Union européenne a fourni une série de recommandations au Bélarus[1], notamment sur les Droits de l'Homme : « Le Conseil demande instamment aux autorités biélorusses de supprimer tous les obstacles à la liberté et à l'indépendance des médias, y compris en permettant l'enregistrement de nouveaux médias et l'accréditation des journalistes » et exprimé son espoir d'abolition de la peine de mort au Bélarus : « Le Conseil attend avec intérêt les prochaines réunions d'experts et manifestations publiques consacrées à la peine de mort qui doivent se tenir en 2016 ».
Les 28 attendent désormais des efforts concrets de la part des autorités biélorusses, notamment sur le plan intérieur, sous peine de lui retirer sa confiance.

Une incitation à prendre quelques distances avec la Russie ?

L'abrogation des sanctions peut être également interprétée comme une tentative de l'UE d’éloigner le Bélarus de la Russie. La réserve affichée par le président Loukachenka concernant l'annexion de la Crimée n'a pas échappé à l'UE. En effet, le président biélorusse n'a pas hésité à se démarquer du Kremlin et à prendre des distances vis-à-vis de son homologue russe Vladimir Poutine, tout en se montrant prudent sur la situation politique de l'Ukraine.
De plus, on a pu récemment observer que les négociations pour l'installation d'une base militaire russe dans la ville biélorusse de Babrouïsk sont au point mort, alors que ce projet devait être inauguré en janvier 2016. Il s'agit peut-être d'une condition européenne au retrait des sanctions. La perspective d'installation d'une telle base n'est sûrement pas du goût de l'UE et encore moins de l'OTAN.

Par ailleurs, les sanctions européennes avaient conduit à un repli du régime et à un resserrement des liens avec la Russie. Avec le nouveau contexte ukrainien, l'Europe tente d'isoler la Russie sur la scène internationale et a ainsi mis en place des sanctions économiques pour condamner l’annexion de la Crimée et le soutien russe aux séparatistes du Donbass. Ces sanctions ont contribué à la récession russe de 2015 (-3,7 % de croissance) mais ont également mis en difficulté le Bélarus, les deux économies étant très liées. L'opportunité d'une ouverture vers l'Europe et d'une reprise des échanges commerciaux peut être l'occasion d'un rapprochement du Bélarus avec les 28, en particulier avec les pays limitrophes (Pologne, États baltes).

Une opportunité pour le pays

La nouvelle page qui s'ouvre est une réelle opportunité politique et économique pour le Bélarus. Les économistes et acteurs de l'économie biélorusse espèrent que ce retrait des sanctions va marquer une reprise de l'activité pour le pays. Le Bélarus va de nouveau pouvoir emprunter pour financer les mesures que le gouvernement souhaite mettre en place. De plus, les investisseurs vont peut-être être attirés vers le pays maintenant que les contraintes européennes ont été levées[4].
On peut voir un signe encourageant dans la tenue, le 23 février 2016, d'un forum italo-biélorusse à Minsk en présence de la vice-ministre biélorusse des Affaires étrangères, Elena Kouptchina, du sous-secrétaire d'État italien aux Affaires étrangères et à la Coopération internationale, Benedetto Della Vedova, ainsi que de l'ambassadeur italien au Bélarus, Stefano Bianchi. Ce genre d'initiatives pourrait se multiplier afin de relancer l'économie biélorusse et développer les partenariats avec les pays européens.

Les regards se tournent maintenant vers les États-Unis dont le Département du Trésor dispose encore d'un mécanisme de sanction contre le Bélarus[5]. L'administration américaine doit se prononcer dans les semaines à venir sur le maintien ou non de ces restrictions. Un tel retrait pourrait signifier une nouvelle donne dans les relations diplomatiques mais aussi économiques entre le Bélarus et les États-Unis.
Dans cette perspective, une conférence était organisée le 4 mars 2016 à Washington par le centre Woodrow Wilson[6]. Intitulée « Bélarus : entre marteau et enclume », celle-ci a accueilli notamment Oleg Manaev, fondateur du NIPECI (Institut indépendant d'études socio-politiques) qui a expliqué que le Bélarus avait peur d'être la prochaine cible sur la route du « monde russe » mais craignait également une baisse des aides russes accordées au Bélarus. Également présent, Valery Kovalevski, expert à la Belarusian American Association (Washington), est lui aussi resté réservé sur un quelconque changement du système biélorusse qui, selon lui, n'est pas prêt pour la réforme. Il ne voit pas ce que changerait le retrait des sanctions si des efforts conséquents n'étaient pas réalisés par le gouvernement biélorusse[7].

L'opposition pro-UE se sent trahie

L'opposition biélorusse a largement réagi, et plutôt négativement, au retrait des sanctions européennes[8]. Elle se sent abandonnée par l'UE et voit derrière le retrait des sanctions une caution apportée à la politique de Loukachenka.
Mikola Statkiévitch ancien candidat à l'élection présidentielle biélorusse estime que l'UE joue un jeu dangereux car l'annulation des sanctions permettrait à l’État d'emprunter pour se financer et, selon lui, accroître la répression dans le pays. Il estime par ailleurs que si la crise sociale s'aggrave malgré tout, d'éventuelles manifestations pourraient mener une opposition pro-russe au pouvoir, laissant entrevoir un scénario à l'ukrainienne.
De son côté, Anatol Liabiedzka, leader du Parti civil uni du Bélarus, voit dans ce retrait un mauvais message adressé au gouvernement biélorusse, car ce retrait « décourage le pouvoir de changer les règles du jeu, au moins avant la campagne parlementaire » (prévue en septembre 2016), mais également à l'opposition pro-européenne du pays qui se voit quelque peu délaissée par ce revirement européen.

Notes :
[1] « Conclusions du Conseil sur la Biélorussie », communiqué de presse du Conseil de l'Union européenne, 15 février 2016.
[2] Kamil Kłysiński, « Political stability over values: EU’s decision to lift sanctions isn’t about Belarus’ democratization », EuroBelarus, 22 février 2016.
[3] « Biélorussie : un homme condamné à la peine capitale », Le Figaro, 16 février 2016.
[4] Sergei Musiyenko « The abolition of sanctions will help Belarus develop economic cooperation with the EU », Belarus News, 16 février 2016.
[5] Site du Département du Trésor américain.
[6] Kenneth Yalowitz, « Belarus: Between a Rock and a Hard Place », entretien radiophonique avec Grigory Ioffe et Oleg Manaev, Wilson Center, 4 mars 2016.
[7] « Otmeniat li SChA vsled za Evrosoïouzom sanktsii protiv ofitsialnogo Minska », Belorousskie Novosti, 6 mars 2016.
[8] « Oppozitsia : rechenie ES o sniatii sankciï ochibotchno », Belorousskie Novosti, 15 février 2016.

Vignette : Minsk, Place Lénine, septembre 2014 (© Samuel Diraison).

* Samuel DIRAISON est diplômé de l'IFG (Paris) et de la RGGU (Moscou).

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