Bulgarie : un parfum de rose et de lavande

En Europe, plusieurs pays se démarquent traditionnellement par l’importance et la qualité de leur production de plantes à parfum et aromatiques. Depuis la fin des années 2000, la Bulgarie a considérablement développé la culture de certaines essences, notamment celles de rose et de lavande.


Distillerie de lavande district de Dobritch (© S. Altasserre).Dimensionnée pendant plusieurs décennies pour répondre aux besoins spécifiques des pays du Conseil d’assistance économique mutuelle (CAEM), l’agriculture bulgare a dû s’adapter à la demande mondiale et se moderniser à la suite de la chute du régime socialiste. Pendant cette période de transition, elle a considérablement accru sa production de rose, ancrée depuis plusieurs siècles dans la tradition de ce pays, et a développé celle de lavande mais aussi, dans une moindre mesure, de plantes aromatiques. Traditionnellement, le centre et le nord-est du territoire produisaient ces cultures principalement destinées à l’exportation, après distillation et transformation en huiles essentielles. Au cours des dernières décennies, ces dernières ont gagné en popularité dans les sociétés occidentales. La Bulgarie a su tirer parti de ses avantages naturels pour satisfaire les nombreux consommateurs de ces produits de qualité.

Rose de Damas et lavande, les deux productions dominant un secteur diversifié

La Bulgarie est traditionnellement un pays producteur de plantes aromatiques et à parfum. En effet, une partie de ses régions centrales ou bordant la mer Noire bénéficie d’un climat ensoleillé et sec, ainsi que d’un sol particulièrement favorable à ce type de culture. La production qui a fait sa renommée internationale est celle de la rose de Damas, et en particulier la variété dite « rose de Kazanlak », cultivée depuis plus de 200 ans dans la Vallée des roses, autour des villes de Kazanlak, Karlovo et Klissoura (centre de la Bulgarie). Mais le pays exploite également d’autres plantes aromatiques telles que la mélisse, la camomille, la citronnelle, la menthe, l’achillée millefeuille ou l’hélichryse(1). Ces productions locales n’ont cependant pas toujours le potentiel pour répondre à la demande locale et ne possèdent pas non plus la qualité nécessaire que recherchent les clients étrangers. Tel n’est pas le cas de la rose de Damas et, depuis une quinzaine d’années, de la lavande cultivée localement et dont l’excellente qualité de la production permet la transformation en huiles essentielles par les distilleries du pays. Le nombre de ces infrastructures, une trentaine actuellement, s’est d’ailleurs fortement accru au cours des années 2000 pour répondre à de nouveaux besoins et à une hausse globale de la production(2). Si la culture de la rose est principalement implantée dans les régions de Plovdiv et de Stara Zagora (centre-sud de la Bulgarie), celle de la lavande, d’abord présente dans les zones traditionnelles de Stara Zagora et de Tchirpan (centre-sud également), s’est fortement développée dans les districts de Dobritch et Varna (Nord-Est, à proximité de la mer Noire) depuis 2010(3). Cette plante est, elle aussi, transformée en huile essentielle avant d’être exportée.

Quinze ans de forte hausse de la production de rose et de lavande

La culture de la lavande, devenue attractive pour les producteurs attirés par son prix de vente en forte croissance, s’est développée sur le territoire bulgare à partir de 2009. Les plantations dédiées à cet arbrisseau se sont alors multipliées, jusqu’à recouvrir 4 500ha à la fin des années 2010. La plupart des autres plantes aromatiques destinées à la distillation et à la transformation en huiles essentielles (mélisse, coriandre, fenouil, camomille, hysope, sauge, myrrhe…) ont connu la même évolution.

Cette expansion des cultures aromatiques et des plantes à parfum s’explique par un marché de la consommation s’élargissant d’année en année pour répondre à de nombreuses utilisations (pharmacopée, massage, aromathérapie…) et à une très forte demande internationale.

Le grand « boom » de la production de plantes aromatiques et d’huiles essentielles correspond à la période de 2016 à 2019(4). Les surfaces exploitées couvrent alors de 2 à 5 fois les superficies habituelles occupées auparavant par ce type culture. Cette évolution affecte même la traditionnelle culture de la rose, dont la surface agricole s’étend de 3 342ha en 2015 puis à 5 016ha en 2019. L’explication en est l’augmentation significative du prix d’achat de la fleur de rose, qui a atteint un pic en 2016 (4,8 levs/2,5 euros le kg), contexte qui a encouragé beaucoup d’agriculteurs, espérant des rendements floraux élevés et d’énormes profits, à planter massivement la fleur emblématique de Kazanlak dans leurs champs.

Un secteur orienté vers l’exportation

La production agricole des plantes à parfum, notamment en ce qui concerne l’essence de rose, est presque totalement orientée vers l’exportation et a enregistré en 2021 son pic de ventes à l’étranger (707 tonnes d’huiles essentielles)(5). Ces exportations ont triplé en une décennie, rapportant annuellement jusqu’à 200M$. Puis, elles ont diminué significativement à partir de 2022, année où seulement 528 tonnes ont été exportées. Cette filière agricole, qui fournit du travail à près de 20 000 exploitants, transformateurs, grossistes et revendeurs, est presque entièrement dépendante du marché international et des ventes à l’étranger.

La Bulgarie exporte de l’huile de rose et de lavande et plus de 75 % de sa production de produits cosmétiques et dérivés dans certains pays européens, tels que la France (principal concurrent pour la production de lavande), l’Allemagne, la Serbie, la Grande-Bretagne, la Grèce, la Suisse et l’Espagne. Les sociétés modernes et occidentale de consommations ont développé un insatiable appétit pour les produits naturels issus des plantes à parfums. Concernant l’essence de rose, les produits dont la qualité est la plus élevée sont utilisés par de grandes maisons de parfumeurs (Chanel, Nina Ricci, Christian Dior…) La plupart des autres entreprises étrangères qui achètent la production bulgare résident aux Etats-Unis ou dans certains pays asiatiques développés (Japon, Singapour…), dont les mœurs consuméristes et la qualité de vie sont similaires.

Distillerie de lavande district de Dobritch (© S. Altasserre).

Un secteur en difficulté

Le boom des années 2016/2019 a toutefois été suivi par l’effondrement de la production de la plupart des cultures médicinales et aromatiques destinées à l’exportation. Les signes annonciateurs de cette crise sectorielle ont été perçus à partir de 2017, alors que l’extension des cultures avait entraîné une surproduction puis une saturation du marché, menant au stockage d’une partie importante de la production. Cette surabondance a fait chuter les prix de vente des plantes pour les producteurs. Ainsi, le prix de la fleur de rose, après avoir atteint un pic à 4,8 levs le kg en 2016 est passé à 1,82 lev le kg en 2021, soit une chute de plus de 62 % qui s’apparente à une vente à perte. En réaction, les exploitants ont rapidement diminué les surfaces cultivées, mais les stocks de produits transformés étant conséquents, le marché a mis plusieurs années avant de se stabiliser et de nombreuses distilleries ont été mises en vente.

En 2023, la rentabilité unitaire de la fleur de rose, de même que le rendement de l’huile de rose ont sensiblement augmenté pour les producteurs et les commerçants. Toutefois, malgré l’amélioration de la conjoncture, nombre de terres dédiées à cette culture ont été abandonnées (de 5 016ha de champs de roses en 2019, on est passé à 4 374ha en 2023). Pour cette culture comme pour d’autres, telles que la lavande, les coûts de production demeurent importants et le secteur fait face à une pénurie de main-d’œuvre, même si des discussions bilatérales avec la Roumanie pourraient permettre de surmonter ce dernier défi. Le secteur agricole des plantes à parfums pourrait prendre plusieurs années à se remettre des conséquences du boom des années 2010.

Pour autant, les acteurs locaux, notamment l’association nationale bulgare des huiles essentielles, des parfums et des cosmétiques (BNAEMPK), ne restent pas inactifs. Au contraire, ils continuent à promouvoir les huiles essentielles et les cosmétiques bulgares(6). La création à Stara Zagora de l’association Destilirano v Balgariya (Distillé en Bulgarie) par onze grands producteurs d’huiles essentielles favorise par exemple le développement durable de l’industrie des essences de plantes aromatiques et aide les acteurs locaux à résoudre les problèmes. Désormais, la plupart des acteurs du marché conseillent surtout aux producteurs de se concentrer sur l’amélioration de la technologie d’exploitation et de transformation des cultures, ainsi que sur la qualité des huiles produites, au lieu de se focaliser sur l’augmentation de la superficie cultivée.

Notes :

(1) « Proizvovdstvo na eteritchno masleni kulturi i masla » (Production d’huiles essentielles et de beurres), InteliAgro, 2018.

(2) « Kogato lilavoto se otsveti v tcherveno » (Quand le violet devient rouge), InteliAgro, 14 août 2019.

(3) « Sastoyanie i tendentsii na eteritchnomaslenite kulturiv Balgariya. Vazmozhnosti za realizatsiya na proizvedenite masla na novi pazari » (Statut et tendances des cultures d'huiles essentielles en Bulgarie. Possibilités de vendre les huiles produites sur de nouveaux marchés), Direktsiya « Pazarni merki i organizatsiina proizvoditeli », Ministerstvo na Zemedelieto, xranite i gorite (ministère de l'Agriculture, de l'Alimentation et des Forêts), juillet 2018.

(4) « Prouchvane Pazaryt na eterichni masla v Balgariya otbelyazva spad » (Le marché des huiles essentielles en Bulgarie est en déclin), Economy.bg, 7 février 2024 ; Desislava Popova, « Pazarat na eterichni masla v Balgariya e prodalzhil da se sviva i prez 2023 » (le marché des huiles essentielles en Bulgarie a continué de se contracter en 2023), Investor.bg.

(5) « 11 proizvoditeli na eterichni masla se sdruzhiha v ‘Destilirano v Balgariya’ » (11 producteurs d’huiles essentielles ont uni leurs forces dans ‘Distillé en Bulgarie’), BG Fermer,  20 février 2022.

(6) Association nationale bulgare des huiles essentielles, des parfums et des cosmétiques (BNAEMPK), URL : https://www.bnaeopc.com/членове/етерични-масла/

 

Photos : Distillerie de lavande district de Dobritch (© S. Altasserre).

 

* Stéphan Altasserre est docteur en Études slaves, spécialiste des Balkans.

Pour citer cet article : Stéphan ALTASERRE (2025), « Bulgarie : un parfum de rose et de lavande », Regard sur l'Est, 28 avril.

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