Communautarisme et politique sur l’échiquier régional russe : l’exemple de la pénétration tatare à Saratov

Rencontre avec Rinat Khalikov, inspecteur fédéral pour l'oblast de Saratov : au cœur de l'administration fédérale russe en région.


Rinat Khalikov nous reçoit dans son bureau, au gouvernement de l'oblast {Unité régionale de la Fédération de Russie, NDRL} de Saratov. Au mur et sur les étagères, des photos de Vladimir Poutine, des trophées et une série de clichés immortlisant des rencontres avec des officiels russes ou étrangers.

Inutile de chercher, vous ne trouverez aucun signe indiquant l'appartenance ethnique de R.Khalikov. Ce haut fonctionnaire est pourtant tatar.

En charge des domaines de l'industrie, l'énergie, l'agriculture, mais aussi des sphères sociale et commerciale inhérentes à la région de Saratov en moyenne-Volga, il est l'une des figures les plus importantes de la communauté tatare.

C'est avec une fierté certaine qu'il tient à se démarquer par ses compétences politiques et techniques. Justifier son accession à l'un des plus hauts grades de l'administration fédérale régionale par son appartenance ethnique ? Il le refuse. Son gouverneur ne l'a nommé que pour ses compétences. Il est vrai que R.Khalikov n'arbore aucun symbole identitaire. Au détour d'une réponse, il précise même avoir inscrit sa fille à l'école française, au gymnase numéro 2 {gymnase : enseignement primaire et secondaire, NDRL}.

Interrogé sur le poids politique des Tatars sur la région de Saratov, connue pour sa multiethnicité, R.Khalikov modifie pourtant rapidement son discours, parfaitement rôdé pour les journalistes venus l'interviewer. Pour preuve, il passe incognito du ''ils'' au ''nous'' pour désigner les Tatars de la région. Le discours politiquement correct virant ainsi en faveur de la cause nationaliste. En toute modération, bien entendu.

En relation étroite avec l'élite tatare, religieuse, politique, économique et intellectuelle, l'inspecteur fédéral est un proche de Kamil Abliazov, figure économique et supposée mafieuse. K.Abliazov n'étant autre que le représentant du centre culturel bachkiro-tatar de Saratov. Signe distinctif majeur pour les Tatars, puisqu'ils ont été les premiers à se doter d'une telle représentation, suivis rapidement des Géorgiens et des Arméniens. Signe également de l'imbrication inéluctable des sphères culturelles et économiques.

Les Tatars représentent 2% de la population de la région. Ils y forment la 4e nationalité la plus représentée après les Russes, les Ukrainiens et les Kazakhes. ''Bien entendu, les politiques ne sont pas choisis pour leur appartenance ethnique mais pour leur qualité professionnelle. L'influence régionale de la communauté tatare est significative, dans de nombreux domaines, qu'il s'agisse de l'éducation, de la politique, de l'administration. Moi-même, je revendique des origines tatares, à l'image de notre gouverneur. Plusieurs représentants d'entreprises, d'associations ou membres d'université sont également tatars. Notre communauté participe activement à toutes les sphères politico-économiques du territoire saratovien, et plus globalement russe'', précise R.Khalikov.

L'une des plus grandes entreprises de la région, NARAT -spécialisée dans l'exploitation du bois et en situation de monopole sur ce pan économique- est effectivement dirigée par un Tatar. Mais peut-on affirmer ou même s'interroger sur l'existence d'un politique régionale ouvertement pro-tatare ? Pour R.Khalikov, la réponse est évidente. D'après la loi constitutionnelle russe, chaque nationalité a le droit d'avoir une école. ''Si les nationalités considèrent qu'il faut développer l'éducation en conformité avec leur nationalité, c'est possible'', argue-t-il.

Le système de financement de l'école tatare est identique aux autres établissements d'éducation classiques, dépendant du système fédéral et sans enveloppe budgétaire spécifiquement dédiée. Un bémol toutefois : des membres influentes de la communauté tatare participent activement au renflouement des caisses de l'école.

Intégrée, la communauté tatare s'affirme en parfaite adéquation avec les données régionales, qu'elles soient religieuses, politiques ou ethniques. A bien y regarder, aucun différend entre les communautés religieuses et le pouvoir politique dans la région n'a jamais émergé sur la scène publique.

Pour R.Kahlikov, ''les relations entre musulmans et le pouvoir sont stables et consensuelles. Pour obtenir l'autorisation de construction de notre grande mosquée, nous n'avons rencontré aucune difficulté''. Plus que le résultat de bonnes relations, la grande mosquée est le signe d'une entente politique évidente, le gouvernement ayant directement participé à la construction, allant même jusqu'à offrir le lustre central colossal de la salle de prière, d'une valeur de plusieurs milliers de dollars.

De confession islamique, les Tatars défendent donc également les intérêts des quelques 350.000 musulmans qui peuplent la région de Saratov. Un avantage certain quand il s'agit d'enjeux politiques sérieux : ''Nous sommes capables de fédérer toutes les communautés musulmanes et de les sensibiliser à un sujet donné. De sorte que de nombreux représentants politiques, religieux ou économiques seront de notre coté si nécessaire. L'influence politique tatare est véritable sur 90% des personnes de confession musulmane''. Un atout de taille à abattre lors des élections législatives ou présidentielles.

Quant à l'avenir des Tatars, l'inspecteur fédéral ne s'en soucie pas. Comme il aime à le rappeler, ''les Tatares sont par tradition un peuple de guerriers et d'ardents défenseurs de leur terre. La place des Tatars dans le conflit germano-soviètique est révélatrice : ils occupent la 4e place en tant que héros de la nation soviétique. Nous avons la fibre patriotique. Tant que les Tatars seront en vie, nous serons toujours présents dans les arcanes du pouvoir''. Et de conclure, le sourire aux lèvres : ''Dans les veines de tous les Russes, coule du sang tatar''

Par Célia CHAUFFOUR