Les scènes de liesse des manifestants de la place de l’Indépendance à Kiev et celles, plus anciennes, des partisans du tempétueux Mikhaïl Saakashvili en Géorgie en ont encouragé plus d’un parmi les partis d’opposition de plusieurs anciennes républiques soviétiques. Après la révolution des Roses à Tbilissi, puis la révolution orange à Kiev, on se met à rêver en Biélorussie, en Moldavie, au Kirghizstan ou encore au Kazakhstan, qui d’une « révolution du bleuet », qui d’une « révolution du raisin », qui encore d’une « révolution jaune ». Au grand dam des pouvoirs en place et de Moscou qui voient derrière les frémissements de ces sociétés civiles la main des Occidentaux.
La Moldavie, petite république coincée entre l’Ukraine et la Roumanie dirigée depuis 2001 par les communistes, se prépare aux élections parlementaires du 6 mars prochain. Selon l’agence d’informations russe Regnum, elle pourrait être le théâtre d’événements semblables à ceux qui se sont produits en Géorgie et en Ukraine. Des observateurs locaux évoqueraient déjà une « révolution du raisin ».
Deux partis d’opposition devraient se présenter : Moldavie démocratique, dirigé par Serafim Urechean - le maire de la capitale Chisinau, et les nationalistes radicaux du Parti populaire chrétien démocrate (PPCD), sous la direction de Iulie Rosca.
« La capitale soutient l’opposition qui possède la rue à Chisinau, commente l’agence Regnum. Fait caractéristique, le PPCD mène sa campagne sous la couleur orange, et Iulie Rosca lui-même a diffusé des documents de propagande politique sur lesquels il est photographié avec Victor Iouchtchenko. »
Rosca a prévenu en décembre 2004 : « La plus grande victoire aujourd’hui revient à l’Ukraine. Les prochains à suivre doivent nécessairement être la Moldavie et la Biélorussie. Ce n’est qu’une question de temps. Les dictatures ne peuvent exister plus longtemps. »
En Biélorussie, tenue d’une main de fer par Alexandre Loukachenko, les opposants tentent, difficilement, de se fédérer en vue des prochaines élections présidentielles. Selon le quotidien russe Kommersant, « leur succès est fortement mis en doute ».
Les résultats du référendum du 17 octobre dernier qui, bien qu’entaché de graves irrégularités, a permis au président biélorusse de modifier la Constitution et de briguer un troisième mandat, laissent en effet peu d’espoir à la victoire de la démocratie. Pourtant, comme l’indique Kommersant, la coalition d’opposition Biélorussie libre rêverait elle-aussi d’une « révolution du bleuet ».
En sous-main, les Etats-Unis ?
A plusieurs milliers de kilomètres de là, en Asie centrale, les opposants kirghizes s’activent également. Ils auraient de leur côté choisi le jaune, raconte le quotidien moscovite Nezavissimaïa Gazeta.
« Nouant des écharpes et des rubans jaune vif , ils ont manifesté [une semaine durant, dès le 7 janvier] sur la place centrale de Bichkek [capitale du Kirghizstan], exigeant la démission du président et de son gouvernement. »
La réaction du président kirghize Askar Akaïev ne s’est pas faite attendre : « Les forces politiques occidentales ont encore quelques pays sur leur liste », a-t-il déclaré, ajoutant avec virulence que le Kirghizstan n’accepterait pas l’exportation dans le pays de « révolutions de velours ». « Le plus dangereux dans l’histoire, c’est que nos provocateurs locaux possèdent à présent des coachs qualifiés, capables d’allumer le feu de la révolution, quelle qu’en soit la couleur », a-t-il lancé.
Le danger pour le président kirghize est réel, selon Nezavissimaïa Gazeta. « Il existe aujourd’hui au Kirghizstan les mêmes prémisses qui ont mené l’Ukraine à la révolution de velours », explique le quotidien. « La population est complètement écœurée par l’indétrônable élite dirigeante : Askar Akaïev est à son poste depuis 15 ans. Il existe une « contre-élite » suffisamment influente dans le pays et en Occident, une pléiade de personnalités publiques de l’opposition de premier rang. Il existe aussi un réseau très ramifié de médias d’opposition et une expérience des luttes de rues. Enfin, il y a un leader charismatique, Félix Koulov, qui est pour l’instant en prison et que l’Occident considère comme un prisonnier politique. »
« A en juger ses déclarations, le pouvoir kirghize a terriblement peur des événements ukrainiens et fera tout ce qui est possible pour neutraliser et détruire la structure de l’opposition, estime le directeur du Centre russe de recherches stratégiques Andreï Piontkovski. Mais reste à savoir jusqu’où ce processus peut aller. La tentative de répression peut s’avérer efficace. Comme elle peut, aussi, se révéler contre-productive et pousser ce processus encore plus loin. »
Au Kazakhstan, les trois principaux partis d’opposition se sont unis récemment au sein du Conseil de coordination des forces démocratiques. Les jeunes commencent à montrer des signes d’activisme politique.
En décembre dernier, une vague de mécontentement de la jeunesse a mené à la démission du ministre de l’Education. « Les Etats-Unis ont aussi des intérêts dans cette république : ce sont les investisseurs américains qui travaillent en majorité dans le secteur du pétrole et du gaz, constate toujours Nezavissimaïa Gazeta ». Et justement, aux Etats-Unis ont lieu des auditions de justice pour l’affaire du « Kazakhgate », sur la remise de pots-de-vin par les fonctionnaires américains au président [Noursoultan Nazerbaïev], pour obtenir des avantages sur les contrats pétroliers. La presse américaine surnomme de plus en plus souvent Nazerbaïev « le dictateur asiatique ».
Tous ces bouleversements pourraient avoir pour Moscou des « conséquences notables », conclut le quotidien. « La Russie peut se retrouver au milieu d’Etats, qui non seulement cesseront d’être nos principaux alliés, mais se dirigeront vers une voie de développement totalement opposée. L’expérience de l’Ukraine et de la Géorgie montre que les tentatives arrogantes de Moscou d’empêcher la réalisation de tels scénarios conduisent au résultat inverse ».
Photo : révolution des roses de Tbilissi, Zaraza (CC BY-S1 3.0)