D #23 : Edito

Lviv, à l'image de nombreuses villes d'Europe centrale, a présenté au fil des siècles deux visages antagonistes. Entrée dans l'histoire comme ville centre européenne, carrefour de multiples identités nationales, elle s'est ensuite illustrée comme ville symbole du renouveau de l'identité ukrainienne et de son expression politique.

Du passé multinational, il ne reste aujourd'hui que des traces, tandis que le nationalisme reste présent dans les esprits. Lviv se veut toujours le fer de lance de l'indépendance de l'Ukraine, comme en témoigne l'aide financière accordée par les autorités régionales pour le remplacement du marteau et de la faucille par le trident ukrainien sur le fronton de la rada à Kiev.

Pourtant, il semble qu'après s'être construites l'une contre l'autre, ces deux identités, européenne et nationale, soient en cours de réconciliation. A l'heure de la redéfinition de la place de l'Ukraine entre Est et Ouest, Lviv a la possibilité de se donner une nouvelle identité.

Partant de ce constat -le poids lancinant du passé et des forces nationalistes- ce dossier tente de mettre en lumière les atouts dont dispose Lviv pour devenir la chance européenne de l'Ukraine : sa position frontalière, la vitalité de la vie intellectuelle et culturelle, les initiatives économiques individuelles, etc.

Si l'avenir de Lviv est lié à l'évolution de l'Ukraine, l'histoire a montré que la capitale de la Galicie a été appelée, à plusieurs reprises, à peser de façon significative sur l'évolution des mentalités des élites et de la population ukrainienne, ainsi que sur les choix de l'Etat ukrainien. Après avoir joué un rôle clef lors de l'indépendance en 1991, Lviv est aujourd'hui à la recherche d'une nouvelle vocation au sein de l'Ukraine indépendante, future marche d'une Union européenne élargie. Face à ce destin irréversible, mais aussi chargé d'incertitudes, Lviv s'interroge sur la place qu'elle pourrait occuper dans cet espace recomposé.

Ses habitants ont, certains seraient tentés de dire "à nouveau", fait le choix de l'Europe. Le volume des échanges économiques avec les pays frontaliers et l'importance des migrations pendulaires en témoignent. Renouant avec son passé centre européen, la Galicie se tourne vers l'Ouest. Qu'adviendra-t-il le jour où l'on exigera un visa pour se rendre en Pologne ? Le jour où les flux seront plus limités ? La remise en cause de ce choix européen pourrait dès lors déboucher sur un repli sur soi -fâcheuse tendance trop souvent porteuse de haine et de violence dans cette région berceau du nationalisme ukrainien. Lviv et la Galicie, dont le passé vécu sur le mode émotionnel menace de resurgir chez une population à l'identité nationale surdéveloppée, pourrait se voir rattrapée par ses vieux démons.

Entre ouverture et repli sur soi, la capitale de la Galicie n'a pas encore fait de choix définitifs. Pétrie de contradictions, à l'image de son histoire et de ses ruelles au tracé sinueux, Lviv est aujourd'hui une ville en devenir.

Vignette : monument pour Taras Shevchenko à Lviv (Photo Credit: dungodung Flickr via Compfight cc)