Donald Tusk : des recettes pour revitaliser l’Union européenne?

D’après le Polonais Donald Tusk, l'Union européenne est la seule solution d'avenir pour le continent. Le nouveau président du Conseil européen l’a annoncé d’emblée : il compte mettre toute son énergie et son expérience politique au service des institutions européennes afin de leur redonner du sens.


Le 30 août 2014, les dirigeants des pays membres de l'Union européenne ont élu Donald Tusk, Premier ministre polonais et leader du parti Plateforme civique (Plateforma Obywatelska), au poste du président du Conseil européen. Ce choix revêt une symbolique particulière pour la Pologne car il survient très exactement vingt-cinq ans après les premières élections libres dans ce pays. Celles-ci avaient permis, pour la première fois, la formation d’un gouvernement composé de membres de l'opposition démocratique. Certains d’entre eux avaient même obtenu des postes clés, comme Tadeusz Mazowiecki, nommé Premier ministre.

L’élection de D. Tusk s'inscrit dans une chaîne d'événements cruciaux pour la Pologne : 1980 et la naissance du syndicat libre et indépendant Solidarność, 1989 et la fin du régime communiste, enfin 2004 et l’adhésion du pays à l'UE. Mais l’ascension récente de l’ex-Premier ministre polonais suscite de nombreuses questions quant à son parcours personnel et à la politique qu'il souhaite défendre une fois installé à Bruxelles.

L'ascension d'un ancien opposant polonais au sommet du pouvoir européen

Malgré sa nouvelle notoriété, D. Tusk reste mal connu de l'ensemble des Européens qui l’ont découvert avec étonnement au lendemain de son élection. Le grand quotidien polonais Gazeta Wyborcza établissait ainsi un parallèle entre l'évolution de la Pologne et le chemin personnel de son Premier ministre. En effet, rien ne prédestinait ce petit « bowke » (petit galopin en patois kachoube) de Gdańsk à accéder aux plus hautes fonctions de l'État polonais, et encore moins à celles de l'Union européenne. Issu d'un milieu plutôt modeste, il est élevé par sa mère, qui occupe un poste de secrétaire à la faculté de médecine. Diplômé de la faculté d'histoire, il s'engage en politique aux côtés de « l'opposition constructive » au tout début des années 1980, collabore avec les Syndicats libres du littoral (Wolne Związki Zawodowe Wybrzeża) et participe à la création du comité d'étudiants de Solidarność. Ces années, marquées par les actions du futur syndicat, permettent tous les espoirs, comme la naissance d’une société civile ainsi qu’une effervescence libertaire et indépendantiste. Le jeune homme rejoint le syndicat libre et indépendant Solidarność après la signature des accords entre ouvriers et communistes du mois d'août 1980, et il fonde l'association indépendante des étudiants de l'Université de Gdańsk (Niezależne Zrzesznie Studentów). Après l’instauration de la loi martiale en décembre 1981, D. Tusk se voit priver du droit de travailler par les autorités communistes. Il crée alors, avec d'autres opposants, la coopérative Świetlik qui se fixe pour mission de fournir un emploi aux personnes liées à l'opposition ou au syndicat libre et de ce fait interdites de travail, comme lui. Les principales activités de cette coopérative se portent sur l'entretien et sur la rénovation d’installations industrielles.

La fin des années 1980 marque le retour de D. Tusk en politique. En 1988, il instaure en effet le Congrès des libéraux (Kongres Liberałów) qui se transforme en 1989 en Congrès libéral-démocrate (Kongres Liberalno-Demokratyczny). La première consécration ne se fait pas attendre: deux ans plus tard, le jeune homme entre à la Diète après la victoire de son parti, aux premières élections d'octobre 1991. Sa formation décroche au total 37 sièges sur 460. Mais la mauvaise situation économique du pays, conjuguée à l’affairisme d’hommes politiques accusés de corruption, entraîne la dissolution de l’Assemblée nationale en 1992. Puis, à l'issue des élections anticipées de 1993, la formation de D.Tusk est désavouée par les électeurs qui signent ainsi la fin du Congrès libéral-démocrate. Il revient sur le devant de la scène en 1997, à la tête du nouveau parti Union pour la liberté (Unia Wolnośsi). Il est alors élu sénateur et nommé vice-président du Sénat. Lors du scrutin suivant, en 2001, l’Union pour la liberté n’atteint pas le seuil minimum lui permettant d’entre au Parlement. On lui reproche en effet de n’avoir pas tenu une seule de ses promesses électorales. Après avoir perdu contre Bronisław Geremek[1] dans la course à la présidence du parti, D. Tusk le quitte et crée une nouvelle formation, la Plateforme civique (Platforma Obywatelska). C'est finalement celle-ci qui l'élèvera aux plus hautes fonctions de l'État polonais, après sa victoire aux élections législatives de 2007. Il devient alors Premier ministre et le restera pendant sept ans, ce qui est une performance dans le contexte polonais mais aussi à l'échelle européenne (seule Angela Merkel a fait mieux).

Des compromis politiques, de la rigueur économique et de la foi

Son parcours personnel et son activité dans l'opposition anti-communiste jusqu’en 1989 ont certainement beaucoup influencé sa façon d'agir en politique par la suite. Il a pu se frotter à la transition économique d’un système centralement planifié vers une économie de marché et à la compétition sous ses formes les plus âpres ; il y a découvert l'importance de l'économie dans la vie des individus. En dépit de l'opportunisme dont il est régulièrement taxé par ses rivaux, il est indéniable que D. Tusk possède de nombreuses qualités aussi bien comme organisateur que comme homme politique. Même si son bilan en tant que chef du gouvernement est vivement critiqué par la droite conservatrice polonaise, représentée par le parti de Jarosław Kaczyński Droit et justice (Prawo i Sprawiedliwość, PiS), il n’en reste pas moins que, grâce à son action, la Pologne a connu une période de stabilité sans précédent, très appréciée des investisseurs et des marchés économiques. Certains lui reprochent certes d’avoir reporté les réformes structurelles jugées pourtant nécessaires dans le domaine des finances publiques, mais force est de reconnaître que, durant son mandat, la Pologne a pu échapper à la crise financière et économique qui sévit depuis 2008, en Europe notamment. Forçant l’admiration, voire l’envie, de ses voisins, le pays n'a en effet connu ni récession, ni ralentissement de son économie. Le PIB polonais a augmenté de 20 % entre 2004 et 2014, ce qui constitue incontestablement le meilleur résultat en Europe, et la croissance annuelle dépasse les 5 % depuis le début de la crise. Les échanges commerciaux réalisés par la Pologne avec ses partenaires de l’Union européenne ont même triplé en dix ans, la plaçant au premier rang des pays exportateurs parmi les nouveaux États membres, en 2013.

Dans une Union rongée par le doute, où le nombre d’eurosceptiques ne cesse d’augmenter, menacée par des défections, comme celle du Royaume-Uni, et en proie à une crise d’ordre aussi bien structurel, qu’économique ou identitaire, les qualités attachées à la personnalité de D. Tusk, leader profondément pro-européen, semblent donc précieuses. Par ailleurs, nombreux sont ceux qui s’attendent à une inflexion de la politique européenne à l’égard du voisin russe: en effet, le fait que le nouveau président du Conseil soit issu d’un pays anciennement communiste ne sera sans doute pas sans incidence sur l’approche que l’Union va adopter dans les mois qui viennent à l’égard de la Russie. La coopération établie par la Pologne avec l'Ukraine depuis les débuts de la crise, en 2013 (Varsovie a, dès les premiers mois, défendu les intérêts ukrainiens[2]), venue confirmer son rôle lors de la Révolution orange en 2004-2005, peut laisser présager un durcissement du discours face à la politique du président russe Vladimir Poutine.

Lors de la conférence de presse[3] qui a suivi son élection, le nouveau président du Conseil européen a souligné que l’euro ne devait pas être vu seulement comme un problème économique mais aussi comme une monnaie concentrant l’espoir d'une Europe unie. Le deuxième point abordé fut la stabilité économique qu’il pense pouvoir atteindre grâce à la rigueur fiscale et à la croissance. À l’appui de l’exemple polonais, il a voulu démontrer que ces deux éléments ne sont pas contradictoires et a déclaré qu'il soutiendrait une politique de croissance dans le cadre de la discipline et de la responsabilité économiques. Enfin, les événements dramatiques qui se déroulent en Ukraine, en Syrie ou encore en Libye constituent, pour D. Tusk, un socle pour la construction d’une politique étrangère commune: l'Europe gagnerait, pour aider ses voisins directs, à parler d'une seule voix, solidaire et consensuelle.

Le dernier point évoqué par l'homme d'État polonais a fait référence aux tensions internes au sein de l'Union. En écho aux dernières déclarations des dirigeants britanniques, notamment, il a assuré que ces propositions de réformes (comme la restriction de la libre circulation de la main-d'œuvre) seront certes étudiées. Mais il s’est refusé à imaginer la sortie d’un seul État membre de l’Union. De façon très globale, le dirigeant polonais a tenu à rappeler que la force même de l'Union repose dans son unité et dans sa capacité à établir des compromis pour un avenir meilleur. Reste maintenant à voir comment ces vœux pourront se concrétiser.

Notes :
[1] Bronislaw Geremek (6 mars 1932 - 13 juillet 2008) fut opposant au pouvoir communiste, puis ministre des Affaires étrangères du 31 octobre 1997 au 30 juin 2000.
[2] Edyta Skora, « La Pologne, l'avocat des intérêts ukrainiens »Regard sur l'Est, 17 mars 2014.
[3] Premier discours de Donald Tusk lors de la conférence de presse après l'annonce officielle de son élection au poste du président du Conseil européen, Gazeta Wyborcza, 30 août 2014.

Vignette : Conférence de presse du Premier ministre polonais Donald Tusk, le 30 août 2014 à Bruxelles, en présence du président sortant du Conseil européen, Herman Van Rompuy (photo : Conseil européen).

* Edyta SKORA est étudiante de Master 2, Inalco.

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