Pas moins de neuf candidats feront face au Président sortant lors du scrutin du 19 décembre 2010. Cette fois-ci, les spéculations vont bon train sur l'avenir de «la dernière dictature d'Europe».
Un automne de démocratie
En octobre, l'étape du recueil de signatures avait déjà donné lieu à un spectacle inattendu: la présence de dizaines de drapeaux de l'opposition dans le centre de Minsk et la tenue de plusieurs manifestations sans intervention de la police. Près des tables des candidats, les gens s'arrêtaient pour signer et les discussions étaient vives entre partisans du pouvoir et de l'opposition. Le Président, lui, a plutôt récolté des signatures dans les usines et les bureaux, où les travailleurs, parfois, n’ont eu d’autre choix que de se prononcer pour sa candidature[1]. Après avoir largement dépassé le million de signatures, il a candidement demandé à ses responsables de campagne d'arrêter la collecte.
Des seize candidats potentiels à la succession de Loukachenka, neuf ont réussi à réunir les 100.000 signatures nécessaires. Le 19 décembre prochain, pas moins de 10 noms apparaîtront donc sur les bulletins de vote. Depuis l'enregistrement officiel des candidats, le 18 novembre, la campagne officielle a débuté. Du temps d'antenne a même été alloué à chacun, sur les ondes de la télévision et de la radio publiques et deux débats sont d'ores et déjà programmés. Il s'agit d'une chance unique pour les candidats, qui n'ont que rarement accès aux médias gouvernementaux contrôlant l'information. En effet, beaucoup de Bélarussiens ne connaissent même pas le nom des candidats de l'opposition. Le seul qui ne profite pas de ces possibilités, c'est Alexander Loukachenka, déjà omniprésent dans les médias. Pour assurer ses chances de réélection, il mise plutôt sur l’augmentation des retraites et des salaires de ces derniers mois. L’actuel Président jouit d'ailleurs toujours d'une certaine popularité, difficile à quantifier. Si les sondages gouvernementaux lui donnent plus de 70% d'opinions favorables, une enquête indépendante les établit plutôt à 48%[2].
Les interventions sur les ondes publiques ont permis aux candidats de se présenter aux électeurs, qui disposent d’un accès limité aux médias indépendants ou à Internet. Certaines interventions ont retenu l'attention du public. Ainsi, le candidat des chrétiens-démocrates a déchiré des photos de Staline et de Hitler en direct à la télévision pour signifier son refus de la dictature. Visiblement intimidé par les caméras, le leader du mouvement Pour la modernisation, Ales Mihalévitch, cherchait ses mots et bégayait. Quant au candidat indépendant Dimitri Ous, il n'a occupé que sept minutes de la demi-heure accordée sans même lever les yeux de son texte! Les meneurs de l'opposition, on le constate, manquent d'expérience avec les médias.
Une opposition divisée
L’un des problèmes récurrents de l'opposition au régime de Loukachenka est son manque d'unité. Si, en 2006, dans une situation sans espoir, les rangs s'étaient resserrés derrière un candidat unique, Alexander Milinkiévitch, c’est le contraire qui se produit dans le cadre de la campagne actuelle. A.Loukachenka paraît plus faible que jamais et les perspectives de succès semblent attiser les ambitions politiques plutôt que de pousser au rassemblement. Chacun croit en ses chances et personne ne veut reculer. Une certaine méfiance règne, même si le mot d'ordre de ne pas s'attaquer aux autres candidats de l'opposition est généralement respecté.
Parmi les candidats de l'opposition, quatre se démarquent particulièrement. Le premier, Andreï Sannikau, est le meneur du mouvement Pour un Bélarus européen et un vétéran de l'opposition. Diplomate de carrière, il fut l'un des co-fondateurs du mouvement dissident Charte 97. Le mouvement Pour un Bélarus européen existe depuis 2008 et considère l'intégration dans l'Union européenne comme «un besoin vital et le seul chemin efficace pour le Bélarus»[3].
Le deuxième est un nouveau venu de la politique, le poète Ouladzimir Niaklaïev, qui a lancé en 2010 le mouvement Dis la vérité! et compense son manque d'expérience par des actions d'éclat. Il a notamment installé une tente sur le principal boulevard de Minsk et placé des urnes transparentes dans la rue, les proposant même au pouvoir. Il a le mérite d'être connu du grand public pour ses écrits. Certains le critiquent cependant pour ses déclarations pro-russes.
L'économiste Yaraslav Ramantchouk mène, de son côté, une bonne campagne électorale à la tête du Parti civil uni. Sa prise de position radicale contre le régime actuel ainsi que son expérience d'économiste lui confère une légitimité certaine. «Nous allons construire du neuf et garder le meilleur!» est son slogan, et il promet un million d'emplois dans le cadre de ses réformes économiques.
Le candidat chrétien-démocrate, Vitali Rymacheuski, est un nouveau venu de la politique bélarussienne, tout comme son parti. S'inspirant des partis chrétiens-démocrates d'Europe, il compte mener une politique qui remettrait les valeurs chrétiennes au centre de la société. Son style intransigeant et son programme nationaliste chrétien lui ont valu une attention certaine. Il s'impose comme un futur acteur de la politique du Bélarus, tout comme son parti, très actif sur le terrain.
«Pour un Bélarus pacifique!» (affiche de propagande du régime).
© André Kapsas (2010)
Le facteur russe
La dernière élection présidentielle, en 2006, avait été entachée d'irrégularités et ni l'Union européenne, ni les États-Unis n’avaient reconnu sa validité. Le monde avait vu des images de l'opposition se faisant matraquer et toute tentative d'organiser une révolution de couleur (comme en Géorgie ou en Ukraine) avait été tuée dans l'œuf. Fort du soutien de la Russie, A.Loukachenka pouvait alors se permettre d'ignorer l'Occident. Mais qu'en est-il aujourd'hui?
Compte tenu de la situation stratégique du Bélarus, situé entre Russie et Union européenne, la campagne intéresse les voisins. Alors que, traditionnellement, la politique étrangère bélarussienne reposait presque entièrement sur ses liens privilégiés avec la Russie, cet équilibre a été bouleversé ces derniers temps. Les crises entre les deux pays se sont succédé depuis 2008 et les relations sont actuellement glaciales. A.Loukachenka accepte mal que la Russie cesse de fournir au pays du gaz et du pétrole à bas prix et exige désormais qu’il paie aux prix du marché. Le Kremlin, en retour, lui reproche son ingratitude pour toutes ces années de soutien économique et politique. Les médias russes se déchaînent contre lui, notamment dans une série de documentaires chocs, intitulée Le Parrain et diffusée depuis l'été sur la chaîne russe pro-gouvernementale NTV. Le président bélarussien y est directement accusé d’être à l’origine de la disparition d’opposants et de détourner des millions de dollars. Le dernier épisode porte un nom provocateur: «Le dernier automne». Dans l’une de ses publications vidéo sur son blog personnel, le président russe Dmitri Medvedev conseille à A.Loukachenka d'éclaircir les circonstances des disparitions d’opposants. Et ce dernier de répliquer que le pays ne se laissera pas faire par l’impérialisme russe. La politique pro-russe d’union fraternelle ne semble plus être à l'ordre du jour à Minsk et le régime met de plus en plus l’accent sur l’indépendance politique et énergétique. Ainsi, de récents accords avec le Venezuela ont été bruyamment fêtés par le pouvoir comme la fin de la dépendance aux ressources russes.
Ironiquement, les candidats au poste de Président tentent presque tous de se présenter comme des amis de la Russie. En effet, les relations avec la Russie sont considérées comme extrêmement importantes par la population et la traditionnelle russophobie de l’opposition n’avait jamais trouvé beaucoup d’écho au sein de l’opinion publique. Néanmoins, l'orientation de la politique extérieure n’est pas le facteur déterminant de la campagne. Les candidats ne se distinguent d'ailleurs pas beaucoup les uns des autres sur cette question, assurant leur volonté d'être autant des partenaires de l'Occident que du Kremlin.
Enjeu international
La fin des relations fraternelles avec la Russie oblige A.Loukachenka à réorienter sa politique extérieure. C’est dans cette optique que plusieurs experts ont analysé les efforts actuels de faire passer l’élection pour démocratique. Malgré ses liens avec quelques régimes isolés comme l’Iran, le Venezuela ou Cuba, A.Loukachenka se retrouve en effet bien seul sur la scène internationale et l’économie bélarussienne se porte mal. S’il réussissait à faire reconnaître sa réélection comme démocratique, il pourrait enfin se réconcilier avec l’Occident et redevenir fréquentable. Qu’en pensent les gouvernements des pays démocratiques? Les récentes visites de la présidente lituanienne, Dalia Grybauskaité, et des ministres polonais et allemand des Affaires étrangères donnent à penser que l’Union européenne serait prête à renouer avec Minsk. L’opposition bélarussienne s’en inquiète et crie déjà à la trahison. De fait, les propos que D.Grybauskaité a tenus au cours d’une réunion avec les ambassadeurs européens à Vilnius semblent confirmer leurs craintes. Elle aurait déclaré que la réélection d’A.Loukachenka serait souhaitable, car il est le garant de la stabilité au Bélarus et sa victoire empêcherait que ce pays ne se transforme en une «seconde Russie»[4]. Si la présidente lituanienne a depuis démenti, il n'est reste pas moins que la tentation est forte pour l’UE et les Etats-Unis: si A.Loukachenka leur tend la main, le Bélarus pourrait, à son tour, échapper à la sphère d’influence russe. Que se passera-t-il, alors, si la présidentielle s’avère plus ou moins acceptable? L'Occident fermera-t-il les yeux pour défendre ses intérêts?
Les spéculations vont bon train sur les réactions internationales à une éventuelle victoire d’A.Loukachenka, avec ou sans fraudes massives. Dernièrement, le consul russe à Minsk déclarait que la Russie, tout autant que l’UE et les Etats-Unis, s’attendait à une victoire du Président sortant. Plusieurs rencontres ont eu lieu entre la Russie et les pays occidentaux, notamment lors du sommet de l’OTAN. Il se peut bien que les parties se soient entendues et qu’aucun grand bouleversement géopolitique n’ait lieu. Comme A.Loukachenka est connu pour ses sautes d’humeur et ses volte-face, une chaleureuse réconciliation pourrait bientôt succéder au froid actuel. D’ailleurs, le Kremlin semble jusqu’à présent s’abstenir de soutenir l’opposition bélarussienne qui le courtise pourtant.
«Toujours à côté» (affiche de propagande du régime). © André Kapsas (2010).
Un dénouement dans la rue?
À l'occasion de l'élection, un millier d'observateurs internationaux de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et de la Communauté des États indépendants (CEI) seront présents. Craignant les manipulations, les candidats demandent à la population de ne pas se rendre au vote par anticipation. En effet, dans les cinq jours précédant la date fixée, les électeurs peuvent déjà voter et les autorités profitent souvent de ce vote pour gonfler la participation et faire du bourrage d'urnes en faveur du Président actuel. Le vote par anticipation avait d'ailleurs été annulé en Ukraine et en Géorgie après les révolutions de couleur, car il était considéré comme un instrument de falsification. Au sein des commissions électorales locales, moins d'1% des responsables font partie d'organisations de l'opposition, le régime ayant plutôt choisi des personnes de confiance. Dans ces conditions, garantir l'honnêteté du résultat paraît presque impossible.
Sachant qu'elle ne peut compter sur un soutien extérieur, l'opposition bélarussienne se prépare déjà à une mobilisation de masse. Tous s'attendent à des fraudes et appellent la population à se retrouver sur la Place d'Octobre le soir du scrutin. C'est là que l'opposition s'était rassemblée en 2006 avant d'être délogée de force par la police. Le 24 novembre 2010, plus d'un millier de citoyens s’y sont réunis, à l'appel de candidats de l'opposition, pour manifester contre le pouvoir, et ce malgré l'interdiction des autorités. Le tout s'est déroulé pacifiquement lors de cette «répétition», mais qu'en sera-t-il le soir du vote? Comment réagira la communauté internationale? Et, surtout, quel que soit le résultat, quelle sera la réaction de l'opposition et comment le régime fera-t-il face aux éventuelles manifestations?
[1] Charter 97: «Signatures of medical staff were collected with violations», http://charter97.org/en/news/2010/10/5/32720/. En 1997, inspirés par la Charte 77 des dissidents tchécoslovaques, une centaine de personnalités du monde politique, culturel et journalistique bélarussien publièrent la Charte 97 dénonçant la montée du totalitarisme sous la présidence d'Alexander Loukachenka. 100.000 Bélarussiens signèrent alors ce texte. Par la suite, le mouvement donna naissance au site d'information dissident du même nom: http://charter97.org. Parmi les auteurs de la charte, on retrouve les dissidents Andreï Sannikau et Alexander Milinkiévitch.
[2] http://netblya.ru/5157/, «Aleg Manaeu: Miane urajvae dynamika rostu reïtingu Niaklaïeva», Naviny Belarusi, 13 novembre 2010.
[3] http://www.europeanbelarus.org/?c=sp&i=1, Site officiel de la campagne Pour un Bélarus européen, «Pra Kampaniu».
[4] Telegraf.by: «Lithuanian President Considers Lukashenko Victory at Election as Advantageous to EU», http://telegraf.by/2010/11/lithuanian-president-considers-lukashenko-victory-at-election-as-advantageous-to-eu.html.
* André KAPSAS est titulaire d'une Licence en Histoire de l’Europe centrale et orientale (Québec).
Photographie de vignette: Place d'Octobre, Minsk, 2010 (© André Kapsas).