Election présidentielle en République tchèque : à la recherche de l’anti-Klaus

Le 8 février 2008, les Tchèques éliront leur Président pour les cinq années à venir. Contrairement à l’élection présidentielle aux Etats-Unis ou en France, cet événement ne fait la Une des journaux tchèques que depuis quelques semaines. Rien d’étonnant à cela, puisque le chef de l’Etat est élu par le Parlement. La population tchèque, elle, est réduite au rôle de spectateur.


Deux candidats s’affronteront lors de ce duel: le Président actuel Vaclav Klaus (66 ans), ancien chef du Parti civique démocrate (ODS), majoritaire au Parlement; et Jan Svejnar (55 ans), professeur d’économie, citoyen américain et tchèque, candidat de l’opposition – Parti social-démocrate (CSSD).

Le système institutionnel tchèque est à cheval entre régime présidentiel et parlementaire: le Président a moins de pouvoirs que son homologue français mais plus que le président allemand. Aujourd’hui, le chef de l’Etat est élu par les deux chambres du Parlement et le futur Président doit obtenir plus de la moitié des voix des députés et des sénateurs. Si ce n’est pas le cas, ces derniers départagent lors d’un deuxième tour les deux candidats ayant obtenu le plus grand nombre de voix. En cas d’échec, un troisième tour est organisé: il suffit que le candidat rassemble la moitié des voix des députés et sénateurs confondus.

L’affrontement des économistes

Le grand paradoxe de cette élection est qu’elle n’offre pas d’alternative politique, car les deux candidats sont de droite. Jan Svejnar a caractérisé leurs principales différences ainsi: «Je suis plus jeune, (…) j’ai beaucoup vécu à l’étranger et puis je suis beaucoup plus pro-européen.»

Vaclav Klaus, le Président de la transition économique
Les deux candidats ont fait des études d’économie et ont ensuite mené une carrière d’économiste. Avec une différence fondamentale: Vaclav Klaus a passé toute sa vie en Tchécoslovaquie, puis en République tchèque. Dans les années 1970-1980, il a travaillé à la Banque nationale tchécoslovaque. La chute du régime communiste l’a mené à la vie politique. Il a d’abord fondé le Parti civique démocrate (1991) puis occupé le poste de Premier ministre (1992-1997). Il fut l’artisan, en 1993, de la séparation tchécoslovaque et des réformes économiques des années 1990, dont le bilan est mitigé. Elu chef de l’Etat en 2003, il a succédé au Président-philosophe Vaclav Havel et a donné à cette fonction une dimension plus pragmatique.

Pendant les cinq années de cette présidence, certains propos de Vaclav Klaus ont fait des vagues au sein de la communauté internationale. «Les voyages à l’étranger durant lesquels le président Klaus a raconté que l’adhésion à l’Union européenne nous a privés de liberté ou encore (…) ses déclarations selon lesquelles le réchauffement climatique serait un faux mythe ne servent pas les intérêts de notre pays», critique Jan Svejnar.

Jan Svejnar, le Président du 21e siècle ?
Il y a quelques mois encore, le nom de Jan Svejnar était inconnu des Tchèques. Il est né à Prague mais a émigré aux Etats-Unis à l’âge de 17 ans. Dans les années 1980, il a travaillé comme conseiller auprès de l’OCDE et de la Banque mondiale, tout en poursuivant sa carrière universitaire aux Etats-Unis. Après la Révolution de velours, il a partagé sa vie entre les Etats-Unis et la République tchèque: il a fondé plusieurs instituts économiques à Prague mais ses propositions de transition économique sont restées lettre morte.

En dépit de ses convictions libérales, Jan Svejnar a réussi à obtenir le soutien du Parti social-démocrate, actuellement dans l’opposition. Ce dernier considère en effet qu’il a plus de chances de remporter la victoire qu’un candidat de gauche. C’est pourquoi la campagne électorale est parfois qualifiée de «la recherche de l’anti-Klaus».

Si Vaclav Klaus, dont les convictions politiques sont bien connues, ne ressent pas le besoin de mener une campagne pré-électorale, en revanche Jan Svejnar insiste sur ses différences et centre sa campagne sur sa politique pro-européenne: «Je vais montrer que la défense de nos intérêts nationaux peut s’accompagner d’une politique pro-européenne.» Il se présente également comme celui qui mettra fin à la transition politique et économique entamée par son rival dans les années 1990. Certains voient donc en lui l’incarnation du président du 21e siècle: «Il nous faut du sang nouveau et de nouvelles impulsions», a déclaré en son soutien l’ancien Président Vaclav Havel[1].

Le champ d’affrontement : l’économie

Les deux candidats débattent essentiellement sur la transition économique des années 1990. «Sur son site américain[2], Svejnar se présente comme l’un des principaux architectes des réformes économiques du début des années 1990. Mais il n’a en rien participé à cette transition», a mis en garde V.Klaus. J.Svejnar a immédiatement réagi: «L’expression ‘architect of reforms’ veut dire ‘créateur idéologique’, et pas ‘exécutant’.»

En ce qui concerne l’avenir du pays, les deux candidats se focalisent également sur l’économie: J.Svejnar préconise de suivre l’exemple des économies occidentales et de réformer les finances publiques. D’après lui, la République tchèque pourrait adopter l’euro avant 2010. Vaclav Klaus, lui, reste dans ce domaine fidèle à sa vision eurosceptique: «Il faut arrêter de croire que l’euro signifie le salut. (…) J’ai toujours été partisan de l’intégration européenne. Mais je m’opposerai à une centralisation excessive.»

Quelle évolution de l’institution présidentielle?

Depuis la naissance de la Tchécoslovaquie en 1918, le pays n’a connu que dix présidents, dont certains concentraient largement plus de pouvoirs que ceux attribués par la Constitution. En conséquence, le Président jouit aujourd’hui d’une grande autorité auprès de la population.

Du président-philosophe au président-économiste
Les Tchèques n’ont pas d’institution dédiée à la formation des futurs présidents, comme la France avec l’ENA. Ils ont donc créé leur propre profil-type du chef de l’Etat:

- Les Présidents-philosophes: Thomas Garrigue Masaryk[3] (1918-1935) et Vaclav Havel (1989-2003);
- Les Présidents-diplomates (devenus diplomates par la force des choses): Thomas Garrigue Masaryk et Edvard Benes (1935-1938 et 1945-1948);
- Les «Présidents du peuple», entre 1948 et 1989: la fonction suprême a alors été exercée par un menuisier, un tailleur de pierre et un serrurier.

Dans le cas des Présidents philosophes et diplomates, l’histoire a voulu que la fonction de chef d’Etat se méritât. Thomas Garrigue Masaryk a accédé à la fonction suprême en 1918 après s’être battu, avec Benes à ses côtés, pour la création d’une Tchécoslovaquie indépendante. Edvard Benes de même est redevenu Président en 1945 après son retour d’exil à Londres. De la même façon, l’élection de Vaclav Havel fin décembre 1989 est apparue comme un aboutissement naturel de sa longue lutte contre le communisme. L’élection de Vaclav Klaus en 2003 a marqué une rupture dans cette tradition: l’ère des Présidents-combattants pour la liberté était terminée. Le scrutin de 2008 pose donc la question de l’évolution de l’institution présidentielle au 21e siècle.

Les Tchèques sont-ils prêts à élire un candidat issu de l’émigration?
Jusqu’en 1948, l’élection d’un candidat ayant vécu à l’étranger était une constante de la politique tchécoslovaque. Mais la période communiste a profondément transformé la mentalité tchèque: ceux qui partaient à l’étranger étaient accusés d’avoir trahi leur patrie. Ceux qui sont retournés dans le pays après 1989 ont donc souvent été accueillis avec méfiance[4].

Par conséquent, les débuts n’ont pas été faciles pour Jan Svejnar. Détenteur de la nationalité américaine, il a d’abord dû convaincre les hommes politiques de ses attaches à son pays d’origine: «J’ai beaucoup d’activités ici: je fais les courses, je prends le métro, j’ai mon dentiste ici et j’ai acheté un appartement!» a-t-il affirmé. Après avoir présenté son programme électoral dans plusieurs villes tchèques, J.Svejnar a finalement décidé de donner une autre preuve de sa loyauté: il a promis, s’il est élu, de renoncer à sa nationalité américaine.

La question du suffrage direct revient en jeu

A l’approche du scrutin, le débat sur l’élection présidentielle au suffrage direct a resurgi. Il n’est pas nouveau: déjà, avant l’élection de 2003, les hommes politiques promettaient ce changement revendiqué par la population qui y voit un renforcement de la démocratie. Une question reste cependant à résoudre, qui divise la scène politique tchèque: faut-il renforcer les pouvoirs du Président?

«Le changement de mode de scrutin (…) doit être parfaitement préparé», précise le chef du Parti communiste Vojtech Filip. D’autres adversaires soulignent la facile manipulation des électeurs: «Si le suffrage direct avait eu lieu il y a cinq ans, un directeur de télévision aurait été élu Président», ironise Pavel Severa, membre du Parti chrétien-démocrate.

Le résultat du scrutin à venir pourrait avoir un impact sur ce débat. Selon les sondages, le nombre de Tchèques favorables à l’élection de J.Svejnar a doublé entre novembre 2007 et janvier 2008, passant de 25% à 52%. Cependant, la répartition des sièges au Parlement joue en sa défaveur: le Parti civique démocrate de Vaclav Klaus a la majorité. Tout dépendra donc de la capacité des partis d’opposition –le Parti social-démocrate, le Parti communiste, le Parti chrétien-démocrate et les Verts– à trouver une voix commune pour soutenir contre leur gré un candidat de droite.

[1] Il faut rappeler que Jan Svejnar exerçait au début des années 1990 les fonctions de conseiller économique de Vaclav Havel.
[2] http://sitemaker.umich.edu/svejnar/home
[3] T.G.Masaryk a voulu introduire en Tchécoslovaquie un régime présidentiel. Cette tentative a échoué mais il a tout de même réussi à créer au Château un centre de pouvoir influent, d’où l’expression accolée à sa «Politique du château».
[4] En tchèque, le terme «émigrant» est péjoratif. Les Tchèques distinguent l’«émigré» -celui qui a quitté son pays pour tenter une vie meilleure à l’étranger - de l’«exilé» -celui qui a été obligé de s’exiler mais qui s’est battu pour pouvoir rentrer dans un pays libéré.

* Zuzana LOUBET DEL BAYLE est diplômée d’Histoire et de Relations internationales.