Karosta, du militaire au culturel

Base navale soviétique de la mer Baltique jusqu’aux années 1990, le quartier de Karosta, situé à 4 km au nord de Liepaja (3e ville de Lettonie), doté d’un patrimoine architectural et historique exceptionnel, est aujourd’hui en décrépitude. Le maire de Liepaja, Uldis Sesks, expliquait en 2003 que les priorités pour Karosta étaient la formation de zones industrielles pour obtenir des fonds de l’Union européenne, le développement des activités à caractère militaire dans le cadre de l’Otan, la construction de logements (en réhabilitation ou en neuf), et la dépollution du port (canal de Karosta). Que s’est-il réellement passé depuis?


La ville nouvelle militaire sort de terre entre 1895 et 1900 suite à la décision du tsar Alexandre III, dont elle portera tout d’abord le nom. Elle s’inscrit dans le prolongement du développement urbain et industriel de Liepaja vers le nord depuis l’arrivée du chemin de fer en 1871 (le nombre d’habitants passe alors de 10.000 en 1860 à 100.000 à la veille de la Première Guerre mondiale). Elle constitue le cœur du système de fortifications construit à la même époque (forts, batteries, canaux) sur un rayon de 6 kilomètres tout autour de la ville. Le nom Kara Osta, ou Karosta (port de guerre en letton) sera adopté à partir de la première indépendance de la Lettonie dans les années 1920.


Piestatnes iela @Eric Le Bourhis

Avec la cathédrale orthodoxe St Nicolas (1903) et les barres d’habitation de l’époque brejnévienne, le centre monumental de Karosta est un résumé caricatural de la présence russe en Lettonie. 42% des 85.000 habitants de Liepaja sont en effet Russes, Biélorusses ou Ukrainiens (contre 10% en 1911, 4% en 1943 et 56% en 1989). Le quartier et la base navale de Karosta se développent, durant presque tout le 20e siècle, au rythme et selon les intérêts stratégiques du grand voisin russe. En octobre 1939, lorsque l’Union soviétique impose la présence de l’Armée rouge dans les pays baltes, les habitants sont expulsés et ce port libre de glace devient un des principaux appuis de l’Union dans la région, avec 15.000 soldats. Après la guerre, Karosta devient une base navale essentielle pour l’Armée rouge en mer Baltique. Jusqu’en 1994, date du départ des dernières troupes, le port militaire est le plus grand employeur de Liepaja.


Les chantiers navals de Tosmare depuis Zemitana iela @Eric Le Bourhis

Le port est au cœur de la régénération économique projetée par les autorités locales et nationales. En 1997, le Parlement letton décrétait la création d’une zone économique spéciale comprenant le port et tout le quartier de Karosta pour leur attribuer des fonctions civiles et non plus militaires. Karosta est même, selon les autorités locales, le quartier potentiellement le plus attractif de la ville en termes de développement économique et social (le plan de développement date de 2001). Les premiers investisseurs étrangers se sont manifestés en 2005 et la ville espère voir le quartier se développer d’ici à 2025. Néanmoins, il faut rappeler le principal obstacle à cette évolution: les ruines et la pollution, héritage direct des usages de la période soviétique. En effet, la destruction des dizaines de constructions qui ne sont pas réutilisables et la dépollution des terrains et du port constitue un préalable très coûteux à toute valorisation des terrains. La ville engage les démolitions depuis la fin de l'année 2001 et reçoit des financements du ministère de l’Environnement et de l’Union européenne pour la dépollution et la déconstruction des navires abandonnés. La seule dépollution du canal du port est estimée à 14 millions de lats (20 millions d’euros), à comparer au budget de la ville de 67 millions de lats (96 millions d’euros) en 2008.


Vive les héros – les sous-mariniers de la Baltique, Zemgales iela @Eric Le Bourhis

En 1967, du fait des intérêts militaires, les activités commerciales du port sont arrêtées et Liepaja devient la plus grande ville fermée de Lettonie. L'Armée rouge y possédait une base de 30 sous-marins. Les structures militaires ont, durant tout le 20e siècle, influencé le développement de Karosta et même de la ville, et on peut dire aujourd’hui que le plan de développement de 2001, en conservant la possibilité d’une mixité des fonctions militaires et civiles, ne perdait pas de vue l’adhésion à l’Otan (effective en 2004) et la possibilité d’obtenir des financements pour la création d’un nouveau port militaire par exemple (coût estimé à 8 millions de lats, soit 11,5 millions d’euros). Ce projet en cours d’extension s’est pour l’instant arrêté à la création du Centre d’entraînement des forces navales de Lettonie et du Centre militaire de plongée des Etats baltes.


Arrêt de bus, Generala Baloza iela @Eric Le Bourhis

Plus de la moitié des immeubles de logement de Karosta sont aujourd’hui abandonnés ou démolis. Le quartier ne compte plus que 7.000 habitants contre au moins cinq fois plus durant l’époque soviétique. La ville a été désertée entre 1989 et 1994. De fait, Liepaja est aujourd’hui, à l’échelle du pays, la ville à la plus grande surface habitable par habitant. Karosta est actuellement une zone d’habitat social et d’habitat dégradé. La ville se refuse en particulier à privatiser certains logements de l’époque soviétique qui constituent une grande part du parc de logement et préfère les démolir: d’une part du fait de leur vétusté, et d’autre part dans l’idée de créer une nouvelle voie de circulation. Karosta reste néanmoins le quartier où la municipalité projette de construire le plus de logements.


Prison de Karosta, ancien hôpital militaire, aujourd’hui musée (Invalidu iela) @Eric Le Bourhis

La culture reste aujourd’hui l’élément le plus visible du renouveau du quartier. Reconnu en Lettonie comme un lieu important de l’histoire et de la culture nationale, et dans la région comme un des principaux sites touristiques (pour son architecture et son originalité), il attire un relativement grand nombre de visiteurs. Au-delà de l’inventaire du patrimoine bâti réalisé par la ville et de la réhabilitation par l’Etat de certains édifices particuliers, deux initiatives reflètent cette évolution. D’une part l’Association pour la protection de Karosta (Karostas Glabsanas Biedriba, KGB) qui assure l’entretien et les visites du musée de la Prison de Karosta et des forts abandonnés qui ceinturent le quartier, et d’autre part le centre culturel K@2, créé en 2001, membre du réseau international Artfactories qui se veut à la fois un lieu d’intégration sociale dans le quartier et de création artistique contemporaine.

 

Par Eric LE BOURHIS

Sources principales: liepaja.lv, Latvijas Avize, ec.europa.eu, delfi.lv, csb.lv, artfactories.net