Espoir pour les enfants de Tchernobyl: les vacances de récupération à l’étranger

Depuis la catastrophe de Tchernobyl, dont les conséquences désastreuses n’ont pas fini de se faire sentir, les enfants du Bélarus bénéficient d’un programme leur permettant de partir en vacances de récupération à l’étranger. Chaque année, certains d’entre eux sont accueillis dans des familles vivant principalement dans l’espace méditerranéen. Leur séjour, dans un cadre si différent, contribue à améliorer leur santé.


Le 26 avril 1986, l’unité 4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl, une petite ville située alors dans la République ukrainienne d'Union soviétique, connaissait un incident qui marqua l’histoire de l'industrie nucléaire et celle des hommes en général. Les explosions qui brisèrent le bâtiment du réacteur, et l’incendie qui dévasta le complexe durant près de dix jours se traduisirent par la libération de grandes quantités de matières radioactives[1]. La catastrophe eut des répercussions dramatiques sur l’environnement et coûta aussitôt la vie à plus de 4.000 personnes[2].

Ses conséquences sur la santé continuent à se faire sentir. Au Bélarus, en Ukraine et dans la Fédération de Russie, près de 5.000 cas de cancer de la thyroïde ont été recensés à ce jour chez les enfants âgés de moins de 18 ans au moment de l'accident. Quant aux autres personnes ayant été exposées aux radiations, elles connaissent un taux de mortalité supérieur lié à l’augmentation du nombre de cancers. La catastrophe de Tchernobyl a aussi provoqué une augmentation de l'incidence de la cataracte, une multiplication des maladies cardiovasculaires et a laissé de nombreuses séquelles tant psychologiques que psychiatriques, compte tenu des déplacements de populations qui s’en suivirent, de la perte de la stabilité économique pour les personnes vivant dans la région, et des menaces à long terme pesant désormais sur leur santé ou celle des générations futures[3].

Les vacances de récupération à l’étranger

C’est à la lumière de ce contexte particulièrement difficile que l’idée d’instaurer des vacances de récupération à l’étranger prend tout son sens. Chaque année, à l’approche de l’été, de nombreux enfants et adolescents bélarusses se préparent à un voyage dont ils espèrent qu’il aura un impact positif sur leur santé et qu’il changera leur vie. Beaucoup d’entre eux sont en rémission d'un cancer ou souffrent de maladies chroniques telles que l'épilepsie ou le diabète; d’autres ont besoin de soins préventifs. En prenant part à ces voyages de récupération à l’étranger, tous profiteront du nouvel environnement dans lequel ils seront plongés, de l’air plus pur et aussi de l’hospitalité d’une famille qui leur fera découvrir une autre langue, une autre culture et des traditions qui sont bien différentes des leurs.

Ces voyages de récupération à l’étranger font partie d’un programme d’aide aux enfants ukrainiens, russes et bélarusses résidant dans les zones à risque situées à proximité de Tchernobyl. Ils leur permettent d’être accueillis par des familles vivant en France, en Italie, en Espagne, voire au Royaume-Uni pour une durée variable durant l’été (un ou deux mois, quarante jours dans certains cas). Ces enfants, qui ont généralement entre 8 et 16 ans, peuvent être invités chaque année par les mêmes familles ou rencontrer de nouveaux hôtes à chaque voyage. Ils finissent par passer la plupart de leurs vacances estivales à l’étranger. Tout cela est principalement coordonné pour des ONG, sur la base du volontariat.

Ces séjours, qui ont été lancés au début des années 1990, améliorent sensiblement leur état de santé général, augmentent leur espérance de vie et diminuent le risque qu’ils contractent une maladie grave à l’avenir. L’air pur (particulièrement celui de la mer) et une alimentation plus riche en potassium et en protéines peuvent faire des merveilles. Mais ce n’est pas tout. Les avantages de ce genre de programmes ne se cantonnent pas à améliorer la qualité de vie des enfants bénéficiant du programme. Ils sont en mesure de transformer des vies de l’intérieur. Les amitiés et les relations interpersonnelles plus profondes que ces enfants nouent lors de ces voyages de récupération, de l’aveu même des participants au programme, en sont l’illustration la plus révélatrice[4].

Le témoignage des enfants. Je suis allé en Espagne!

Hanna, 27 ans, née à Vitsebsk, au Bélarus, habite maintenant aux États-Unis. Elle y a étudié à l’université puis a déménagé définitivement à Washington, où elle travaille désormais, et s’est mariée à un Américain. Elle raconte qu’elle a séjourné trois fois en Espagne, dans un tout petit village de la province de Cordoba, en Andalousie. Ses séjours, chacun d’un mois, ont eu lieu quand elle avait 10, 11 et 13 ans, toujours au sein de la même famille, les Díaz. Pour elle, c’était une occasion rêvée pour découvrir une nouvelle culture et une nouvelle langue au sein d’une famille qu’elle s’est peu à peu aussi mise à considérer comme sienne.

«Quand je suis arrivée en Espagne pour la première fois», explique-t-elle, «je ne connaissais pas l’espagnol du tout. Tout ce que je pouvais dire était no comprendo. Je suis sûre que c’était drôle pour la famille Díaz. J’imitais tout. C’est seulement après mon retour de mes premières vacances de récupération que j’ai commencé à étudier l’espagnol à l’école. Bien sûr, j’étais avantagée par rapport à mes camarades de classe.» Sur le plan culturel, Hanna assure que c’était une expérience très enrichissante pour tous. «Il est difficile de décrire ma première impression en tant que telle. Je n’avais que dix ans, et tout était nouveau et exotique pour moi. Je sais bien que, comme presque tout le monde, les Espagnols connaissent peu le Bélarus, et c’était donc amusant de leur apporter un petit peu de ma propre culture».

Anastasia, de Minsk, est elle aussi allée en Andalousie en 1997, dans le petit village de Sabiote (près de Grenade). Elle avait 14 ans la première fois, et elle y est retournée encore deux fois par la suite. Aujourd’hui mariée, elle raconte combien cette expérience lui a servi en tant que psychologue pour enfants:
«Je pense que ces programmes sont très importants. Importants non seulement pour les pauvres, les malades et les grandes familles. Particulièrement pour eux, bien sûr, mais aussi pour les enfants ordinaires du Bélarus, comme moi je l’étais. Ils signifient beaucoup d’expériences, de nouveaux amis, des possibilités d’élargir ses horizons, d'apprendre une autre langue, une autre culture en la vivant de l’intérieur… Les avantages sont infinis. J'aime toujours l'Espagne et tout ce qui est lié à elle. Les impressions et les souvenirs de l’enfance sont très forts, ils ont une forte influence sur la vie adulte. Ma famille espagnole m’a aidée à avoir une enfance heureuse. Que puis-je ajouter?», nuance-elle. «Il n'était pas possible de communiquer avec l’aide d'un interprète, et c’était un problème pour moi. Il faut être préparé pour toute situation. Je pense que les enfants pouvaient se sentir un peu seuls. Bien sûr, c’était super! Les impressions! La mer! Les gens! Cependant, j’avais quelquefois envie d’exprimer une émotion plus complexe; c’était vraiment pénible, sentir le désir de dire quelque chose, et ne pas savoir le faire. Poser une question, faire une blague, en général, toutes ces petites choses qui devraient éventuellement lier les gens pour qu’ils deviennent de vrais amis.» De toute évidence, ces voyages n’étaient pas toujours faciles. Avant de partir, «la sélection n'était pas faite en considération de la compatibilité psychologique des familles et des enfants. Ceci est également un inconvénient qui, dans certains cas, a conduit à des conséquences négatives». Mais, au final, «c’était une expérience irremplaçable qui m’a apporté des impressions uniques. Les familles qui accueillent des enfants étrangers dans les pays en développement font de bonnes actions! Le monde est soutenu par de bonnes personnes!»

La perspective des familles: Alexei, Pedrito et Charito

Pedrito et Charito, un jeune couple de Séville, ont accueilli Alexei pour la première fois quand celui-ci n’avait que huit ans. Le garçon, qui rêve de devenir professeur d’éducation physique à Homel, ne pourra pas retourner en Espagne cette année à cause de ses examens, mais ses «parents espagnols» et lui-même espèrent qu’il aura plus de chance l’année prochaine.

Pedrito nous raconte qu’à Séville, les vacances de récupération sont organisées par une association catholique, mais qu’il n’est pas nécessaire d’être chrétien pour accueillir un enfant. «De fait», raconte-t-il, «il n’y avait presque pas d’exigences. Il suffit de rencontrer un psychologue pour bien comprendre que ces programmes ont pour vocation d’aider des enfants, que ceux-ci ont une famille au Bélarus et qu’ils retourneront donc chez eux à l’issue de leur séjour, mais que ces 40 jours augmentent beaucoup leur espérance de vie et préviennent le cancer de thyroïde». Pedrito et Charito insistent volontiers sur leur expérience très positive et sur l’impact que celle-ci a eu sur leur vie: «Alexei fait maintenant partie de notre famille. On n’avait jamais voulu d’enfant nous-mêmes, mais nous avons changé d’avis grâce à notre expérience avec Alexei. J’espère que notre fils lui ressemblera, comme nous avons dit à ses parents dans une des lettres que nous leur avons envoyée. Nos deux familles ont lié une amitié très intime.» Pedrito et Charito n’ont jamais eu de problème. Ils soulignent le travail des interprètes (un pour 20 enfants), qui ont beaucoup aidé les familles, «surtout la première fois». Et ils sont plutôt fiers de connaître un peu mieux le Bélarus, «ses traditions, sa situation politique et économique, même quelques mots en russe. On a découvert un nouveau monde».

Le bilan que l’on peut tirer d’une telle initiative est sans ambigüité. La gravité du désastre de Tchernobyl rend les programmes de ce type essentiels, aujourd’hui encore. Évidemment, ils contribuent à améliorer la santé, souvent précaire, des enfants; mais ils favorisent également le dialogue interculturel et le développement de liens interpersonnels entre des enfants issus d’Europe orientale et des familles d’accueil vivant en Europe occidentale. Si vous êtes intéressés par les vacances de récupération en France et souhaitez vous impliquer, n’hésitez pas à vous renseigner sur internet. Des structures existent et gagneraient à être développées.

Notes :
[1] Agence internationale de l’énergie atomique. 2006. «Chernobyl’s Legacy: Health, Environmental and Socio-Economic Impacts and Recommendations to the Governments of Belarus, the Russian Federation and Ukraine». The Chernobyl Forum: 2003–2005.
[2] Organisation mondiale de la santé, «News release: Health Effects of the Chernobyl Accident», avril 2011, http://www.who.int/mediacentre/news.
[3] Organisation mondiale pour la santé, «Health Effects of the Chernobyl Accident: an overview», avril 2006, http://www.who.int/ionizing_radiation/chernobyl/backgrounder/en/.
[4] Les citations sont issues d’une série d’entretiens téléphoniques réalisés par l’auteure en Espagne, avril 2014.

Vignette : Séville, été 2012 (Photo Charito Rodríguez)

* Philologue, polyglotte, militante, écrivain et journaliste espagnole, spécialiste des questions politiques et linguistiques au Bélarus.