Estonie : le discours attendu de la présidente Kersti Kaljulaid

Par Céline Bayou (sources : The Baltic Times, Postimees, ERR.ee, BNS)

Le 24 février 2017, jour de l’indépendance nationale, Kersti Kaljulaid a délivré un discours attendu. C’est en effet la première fois que la nouvelle Présidente estonienne se livrait à cet exercice, célébrant cette année le 99e anniversaire de la République d’Estonie. Les experts estoniens ont apprécié cette prise de parole qui, selon leurs commentaires, a tranché avec les discours délivrés par le président précédant, Toomas Hendrik Ilves.

Certains ont souligné l’intérêt manifesté par la chef de l’État à l’égard de la population russophone du pays, suggérant une mise en cause de la politique d’intégration adoptée jusqu’alors par l’Estonie. Rein Toomla, chercheur de l’université de Tartu, a quant à lui relevé l’insistance inhabituelle accordée à la culture. Son collègue Vello Pettai estime que la Présidente a d’emblée su se positionner et apprécier correctement la société estonienne contemporaine.

En matière de sécurité, point attendu du discours, K.Kaljulaid a affirmé que l’Estonie ne serait plus jamais seule parce que ses partenaires et alliés sont avec elle, de manière inconditionnelle, respectent sa langue, sa culture, ses traditions et ses ambitions. C’est le résultat d’une politique cohérente menée durant 25 ans par les dirigeants successifs du pays, parfois au prix de leur propre popularité. La Présidente n’a pas nié que, dans un monde fluctuant, le pays se devait d’être vigilant, notamment en ce qui concerne le respect des valeurs qu’il a choisies. Cela implique d’autant plus de responsabilités que l’Estonie prendra la présidence du Conseil de l’Union européenne le 1er juillet 2017. Si l’Estonie a réalisé son rêve, a-t-elle précisé, il s’agit maintenant de construire le rêve de ses enfants et petits-enfants: «Notre pays est très différents des autres, plus créatif et flexible. Je vois de nombreuses opportunités, en nous basant sur ce qui a déjà été réalisé, pour des progrès futurs. L’Estonie indépendante ne peut se maintenir que dans un environnement démocratique. Un petit État ne peut pas fonctionner dans un contexte aussi tendu que celui qui est le nôtre s’il n’est pas lui-même démocratique

Or, pour la Présidente, une des valeurs démocratiques essentielles est celle qui consiste à respecter les droits de l’homme. S’il est possible d’écrire des lois régulant la façon dont on peut devenir un citoyen estonien, il n’en existe pas concernant la façon dont on peut devenir une part de la nation estonienne: «Si nous tentions de le faire, nous deviendrions une société totalitaire et détruirions nos libertés dans le but de nous préserver. Nous ne pouvons pas interdire tout ce que nous ne souhaitons pas voir dans notre espace de vie, parce qu’à la fin nous risquons de détruire notre propre liberté. Nous ne pouvons pas faire de tous ceux qui veulent vivre ici des Estoniens. Cela ne devrait pas être notre but. Ou alors nous détruirions notre nature estonienne.»

Si elle comprend que la majorité des Estoniens ne sont pas prêts à vivre dans un environnement multiculturel au sein duquel la part estonienne ne serait pas plus importante que les autres, la Présidente constate toutefois que les pays que les habitants de l’Estonie considèrent parfois comme ayant perdu leur identité au profit de nouveaux arrivants ont mieux réussi à créer un espace linguistique uniforme. Et de préciser que l’intégration dans l’environnement linguistique se fait dès les plus jeunes années, au jardin d’enfants, et non par l’apprentissage linguistique. Les mœurs de ceux qui vivent en Estonie et ne sont pas ethniquement estoniens ne diffèrent pas tant de ceux des Estoniens. Il existe dans le monde des êtres humains qui ont en revanche une compréhension de la société radicalement différente de la nôtre, a-t-elle affirmé. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de place pour eux en Estonie, qu’ils soient réfugiés de guerre ou migrants économiques: «Mais nous devons être capables de formuler ce que nous attendons d’eux afin de vivre ensemble». En d’autres termes, il est possible de réguler la citoyenneté, pas l’intégration.