Fermeture de la station de radiolocalisation russe en Azerbaïdjan

Le 18 décembre 2012, le délai du contrat de location de la station militaire d’observation russe, située à Gabala, dans le nord de l’Azerbaïdjan, a expiré. Cette station de type «Darial» mise en exploitation en 1985 était l’un des huit principaux centres de la défense antiaérienne de l’URSS.


La station de Gabala («Qəbələ», en azéri) est l’un des rares centres militaires russes en territoire azerbaïdjanais à avoir poursuivi ses activités après le départ de la 4e armée russe de l'Azerbaïdjan en 1993. Le statut de cette base n'a pas fait l'objet d'un accord entre les deux pays jusqu’en janvier 2001. Jusqu’alors, la base servait essentiellement à centraliser et analyser des informations primaires issues des observations à 180° de l'espace aérien sur le Proche-Orient, ainsi que sur l’Iran, la Turquie, la Chine, le Pakistan, l’Inde, l’Irak, l’Australie et les eaux de l’océan Indien. En janvier 2001, les présidents Vladimir Poutine et Heïdar Aliev ont signé un accord portant sur la location de la base de Gabala par la Russie pendant 10 ans pour un montant annuel de sept millions de dollars. Cet accord est entré en vigueur en 2002. À partir de l’été 2012, d’intenses discussions gouvernementales ont été menées entre les deux gouvernements sur la prolongation du délai de location de la station, sans qu’aucun accord ne soit trouvé. La partie russe remettait en cause la volonté du gouvernement azerbaïdjanais de réviser à la hausse le tarif de location du contrat en le portant à 300 millions de dollars. La partie azerbaïdjanaise mettait en avant des problèmes environnementaux et de santé publique: la mortalité infantile de la région de Gabala est en effet anormalement élevée, les cas de leucémie y sont inquiétants, entre autres problèmes sanitaires. Cet argument avait été déjà évoqué lors de négociations entre les deux présidents en 2002 et avait fait l’objet de discussions au parlement azerbaïdjanais. En l’absence d’entente, il fut finalement décidé, le 9 décembre, de fermer la station quelques jours avant l’arrivée du contrat à échéance.

Le 10 décembre, la Russie informa officiellement l’Azerbaïdjan de la fermeture définitive de la station, dernière base militaire russe en Azerbaïdjan. Cette décision suscita diverses réactions de la part des autorités comme de la société civile. Le chef du département des Affaires étrangères de l’administration présidentielle d’Azerbaïdjan, Nowruz Mamedov, a alors déclaré à la presse que l’Azerbaïdjan comptait désormais collaborer avec la Russie sur la base des tarifs en vigueur sur le marché international et que le refus de la Russie s’expliquait par son refus de s’acquitter de la somme ainsi réévaluée[1].

Le porte-parole du ministère azerbaïdjanais de la Défense, Eldar Sabiroglou, a confirmé cette déclaration tout en appelant à ne pas politiser cette question, étant donné que les deux pays collaborent par ailleurs dans divers autres domaines. Cette fermeture ne devrait pas, selon lui, jeter la moindre ombre sur les relations bilatérales[2]. En Russie, les médias ont surtout mis l’accent sur la volonté de «chasser» la Russie d’Azerbaïdjan afin d’offrir les lieux libérés aux États-Unis et à la Turquie. Une telle approche apparait toutefois peu crédible, car les États-Unis possèdent déjà deux stations mobiles de radiolocalisation au nord et au sud de l’Azerbaïdjan.

Ce qu’attend l’Azerbaïdjan

Les considérations économiques et écologiques de l’Azerbaïdjan vis-à-vis de la station russe apparaissent en outre comme des tentatives de peser sur Moscou dans le dossier du conflit gelé au Haut Karabakh. En effet, Bakou cherche à influencer Moscou, partie prenante dans les pourparlers de paix, qui semble se désintéresser du dossier depuis le retour de V. Poutine au pouvoir, alors que son prédécesseur Dmitri Medvedev avait organisé plusieurs rencontres entre les présidents azerbaïdjanais et arménien. De fait, les rapports du président Poutine avec son homologue azerbaïdjanais sont relativement froids. Rappelons que le président Ilham Aliyev avait refusé de participer au sommet des chefs d’Etat de la CEI pour ne pas rencontrer V. Poutine[3].

Par ailleurs, la station militaire de Gabala permettait d’observer les événements du Proche et du Moyen Orient qui revêtent une grande importance pour la Russie. Cette dernière voit ainsi d’un mauvais œil la mise en place des radars du bouclier antimissile en Turquie: la Russie comme l’Iran y voient une menace dirigée contre leur sécurité territoriale[4].

De plus, malgré les liens azerbaïdjano-russes en termes militaires et d’armement, l’Azerbaïdjan ne soutient pas la politique étrangère russe en Iran ni dans le conflit syrien. Dans ces démarches de coopération militaire, Bakou est proche d’Israël, ainsi que le prouve le contrat entre ces deux États portant sur la création d’entreprises communes de production de drones militaires de marque « Searcher ».

L’approche russe de cette fermeture

Du côté russe, le célèbre journaliste Maksim Chevchenko a déclaré que la fermeture de la station était une preuve d’amitié envers l’Iran, situé dans l'angle d'observation de celle-ci. Ce faisant, la Russie affiche ses liens privilégiés avec l’Iran qu’elle ne considère pas comme une menace, selon l’analyste[5].

Quant à l’expert en questions militaires Aleksandr Golts, il estime que la question de la station ne relève pas uniquement du domaine militaro-technique, mais aussi du politique. Selon lui, la Russie souhaitait conserver de bons rapports avec l’Azerbaïdjan et cette ultime base militaire russe permettait de maintenir ce pays dans la sphère d’influence de la Russie[6].

Selon l’expert Stanislav Pritchin, la Russie n’a pas d’autre levier de pression sur l’Azerbaïdjan depuis la fermeture de la station. La station «Voronèje DM» située près d’Armavir (en Russie), dont la construction a été lancée en 2009, n’est pas encore en mesure de remplacer la station azerbaïdjanaise[7].

Il est encore trop tôt pour conclure sur la portée de la fermeture de cette station et pour proposer une analyse des conséquences de cet événement sur les relations russo-azerbaïdjanaises. Seule certitude en l’état, malgré les liens économiques, militaires et commerciaux –rappelons qu’en 2010-2011, l’Azerbaïdjan a acheté à la Russie des armes et du matériel militaire pour un montant d’1,2 milliards de dollars–, aussi bien que culturels, les rapports politiques se sont nettement refroidis récemment. À l’automne 2012, les manœuvres militaires « Caucase 2012 » menées au nord de la frontière entre les deux pays ont mécontenté le gouvernement azerbaïdjanais. Sans compter que les Lezguins, minorité ethnique vivant dans les deux pays, sont sporadiquement incités à faire des déclarations territoriales à l’encontre de l’Azerbaïdjan en vue de la création illusoire d’une république autonome.

Enfin, dernier exemple de ce refroidissement, la Russie a récemment accepté la création d’une nouvelle organisation d’Azerbaïdjanais de la diaspora en Russie, qui compte plusieurs membres de l’oligarchie russe. Le chef de l’administration présidentielle d’Azerbaïdjan a réagi de manière sèche et négative à cette nouvelle, critiquant le caractère négatif d’une telle initiative pour les intérêts de son pays et de ses concitoyens vivant en Russie[8].

Notes:
[1] « Prekrachtchenie raboty Gabalinskoï RLS neneset minimalnyï ouchtcherb poziciiam Rossii », regnum.ru, 11 décembre 2012.
[2] Radio « Azadliq » (Radio Liberté), interview avec le chef du Centre de Recherche Stratégiques « Atlas » Elkhan Shahinoglou, 11 décembre 2012.
[3] Hafiz Heïdarov, « Le secrétaire de la presse du ministère de la Défense d’Azerbaïdjan appelle à ne pas politiser la question de la fermeture de la station de surveillance à Gabala », www.apa.az, 12 décembre 2012 (en azéri).
[4] « Rabochiï vizit v Tourciiou », site Internet de l'administration présidentielle de Russie.
http://президент.рф/news/17019
[5] Т. Maksoutov, « Otnocheniia mejdou Azerbaïdjanom i Rossieï ne isportiatsia », Ekho, 12 décembre 2012.
[6] Rauf Mirkadyrov, « Nado byt gotovymi k rossiïskim provokaciiam », Zerkalo11 décembre 2012.
[7] « Radar de Gabala : Moscou confirme la fermeture du site officiel », RIA Novosti, 11 décembre 2012 (en français).
http://fr.rian.ru/world/20121211/196901919.html
[8] «Bakou montre son mécontentement aux oligarques à Moscou», dia, 2 novembre 2012 (en azerbaïdjanais).
http://dia.az/11869-rzhsmd-bakdan-oldqarxlara-qadada-gzhldr.html

* Doctorant à l’Université de Strasbourg