Forum économique de Krynica Le « Davos » d’Europe centrale et orientale

Krynica Zdroj, station thermale et de sports d’hiver des Tatras (au sud-est de la Pologne), est bien connue des habitants du pays pour ses bienfaits thérapeutiques et ses attractions touristiques. En outre, chaque année au début du mois de septembre, la petite ville de 12.000 habitants accueille un forum économique de trois jours, dont le retentissement dépasse les frontières du pays. Depuis 1991, ce forum réunit hommes politiques et hommes d’affaires d’Europe centrale et orientale autour de tables rondes pour traiter de sujets d’actualité. Au fil des années, l’événement a même pris le surnom de «Davos» de l’Europe centrale et orientale, tant pour ses aspects positifs que pour les controverses qu’il suscite. Pour les VIP qui y participent, le Forum est en effet l’occasion de se rencontrer, mais aussi de se montrer…


La 18e édition du Forum économique de Krynica s’est tenue du 10 au 12 septembre derniers et a réuni quelque 1.700 personnes venues de 55 pays (certains n’étant représentés que par une poignée de personnes). L’organisation d’un tel événement dans une petite ville des montagnes polonaises relève de l’exploit. Pourtant, chaque année, l’Institut de l’Est[1], organisateur du Forum économique, arrive à y battre des records de concentration de VIP au mètre carré. Ces personnalités sont issues du monde politique et économique d’Europe centrale et orientale: anciens présidents (Lech Walesa, Aleksander Kwasniewski, Mikhaïl Gorbatchev…), membres de gouvernements en fonction ou non (Waldemar Pawlak, Mikulas Dzurinda, ancien Premier ministre slovaque, Lajos Bokros, ancien ministre hongrois des Finances…), prix Nobel (Edmund Phelps, prix Nobel d’économie en 2006,…), ou autres «monstres sacrés» de l’économie (Jan Kulczyk, président de Kulczyk Investment House, Jacek Ksen, président de la compagnie aérienne polonaise LOT, Ludwik Sobolewski, président de la Bourse de Varsovie, François Colombié, président de la Chambre de commerce française en Pologne et président du conseil de surveillance d’Auchan Polska, Jean-Philippe Savoye, président du groupe Orbis,…). Tous se retrouvent pour parler de sujets aussi divers que l’énergie, la nouvelle économie, les politiques et la sécurité internationales, l’Union européenne et ses voisins, les régions, mais aussi la situation macroéconomique, les réformes de l’Etat, les questions sociales, la science ou encore la culture.

Au total, 120 tables rondes ont été organisées cette année. Globalement, ce sont les politiques énergétiques -énergies renouvelables, nucléaire-, et les économies des pays d’Europe centrale et orientale dans le contexte actuel de crise mondiale qui ont suscité le plus d’intérêt auprès des participants. On retiendra surtout de l’édition 2008 l’annonce du Premier ministre polonais Donald Tusk relative à l’adoption de l’euro par la Pologne en 2011, la publication du classement du top 500 des entreprises de la région, ainsi que les discussions autour de la situation des économies centre-européennes face à la crise mondiale.

La Pologne enfin sur la route de l’euro

Le 10 septembre dernier, jour de l’ouverture du Forum économique, Donald Tusk attirait l’attention de l’Europe entière sur Krynica, en déclarant que son gouvernement ferait tout pour que la Pologne puisse adopter l’euro en 2011. Déclaration immédiatement nuancée par la plupart des experts qui l’ont jugée irréaliste: l’adoption de la monnaie unique nécessite en effet une modification de la Constitution polonaise, la stabilité du taux de change, sans parler du respect des critères de convergences. Le calendrier a donc semblé plus que serré. Depuis, le tir a été réajusté par le gouvernement qui envisage plus vraisemblablement 2012 pour l’adhésion de la Pologne à la zone euro. Pour autant, cette nouvelle date ne fait pas l’unanimité, les économistes tablant plutôt sur 2013 voire 2014. Dans tous les cas, pour les hommes d’affaires, et particulièrement les exportateurs, le plus tôt sera le mieux, et l’annonce de l’adoption de l’euro est donc une bonne nouvelle. Elle témoigne de la stabilité des indicateurs économiques et surtout du taux de change, le zloty ayant joué au yoyo pendant plus d’un an. Si elle ne parvient pas à obtenir l’adhésion au système MCE II[2], la Banque centrale polonaise s’efforcera sans doute, désormais, d’éviter de trop nombreuses fluctuations et d’atteindre un taux de change proche de celui choisi pour le passage à l’euro.

Le top 500 des entreprises les plus puissantes d’Europe centrale et orientale

Un autre moment fort du Forum fut la présentation en avant-première du classement, réalisé par le cabinet Deloitte et le quotidien polonais Rzeczpospolita, des 500 plus grandes entreprises dans dix-huit pays d’Europe centrale et orientale.

Les entreprises de cette région ont globalement progressé de 12% par rapport au classement 2006. Depuis, les 100 dernières de ce classement peuvent même se targuer d’une hausse de 20% de leur chiffre d’affaires. La situation économique en Europe centrale et orientale est donc plutôt satisfaisante. Les entreprises serbes et baltes ont connu les croissances les plus fortes. On ne s’étonnera guère, cependant, que huit des dix premières entreprises du classement soient issues du secteur pétrolier, et que les cinq premières soient russes. La première place revient sans surprise à Gazprom avec 68,22 milliards d’euros de chiffre d’affaires, devant Loukoil (59,94 milliards d’euros) et Rosneft (35,87 milliards d’euros). Les deux seules sociétés du top 10 n’appartenant pas au secteur pétrolier sont les Russes GMK Norilskii Nikel (télécommunications, 12,47 milliards d’euros) et Severstal (métallurgie, 11,11 milliards d’euros). 176 des entreprises référencées dans le tableau sont polonaises –un chiffre stable par rapport au classement 2006–, la grande fierté pour la Pologne étant PKN Orlen (groupe pétrolier), qui se hisse au sixième rang avec un chiffre d’affaires de 16,8 milliards d’euros (réalisé en grande partie grâce à des achats de sociétés).

Voir le Top 20 des entreprises les plus puissantes d'Europe centrale et orientale en 2007

Cela dit, le classement Deloitte-Rzeczpospolita se rapporte à l’année 2007, c’est-à-dire qu’il a été réalisé à un moment où l’économie mondiale se portait encore bien et affichait une croissance globale de 3,7%. Le classement 2008 montrera sans doute des signes d’essoufflement, car la croissance mondiale ne devrait pas dépasser 2,7% cette année.

L’Europe centrale et orientale est-elle momentanément épargnée par la crise mondiale? 

Les économies des pays d’Europe centrale et orientale –et ce fut le leitmotiv de ce Forum 2008–, sembleraient pour le moment relativement isolées des perturbations que les Etats-Unis et l’Europe de l’Ouest connaissent depuis le début de l’année. Les fondamentaux y sont sains: une forte demande intérieure, des investissements étrangers qui, cette année encore, se sont maintenus à un niveau élevé, ont permis de soutenir la croissance économique; les entreprises de la région se portent bien, et le chômage est en baisse constante depuis 2004 (sauf en Hongrie). En outre, les économies de ces pays nouveaux membres de l’Union européenne sont soutenues par les fonds qui leur sont versés depuis leur adhésion. Enfin, en Pologne du moins, «les banques ont beaucoup de dépôts, certaines ont plus de dépôts que de crédits», comme l’explique Andrzej Olechowski, ancien ministre polonais des Affaires étrangères et des Finances, co-fondateur du parti Plate-forme civique (PO). Il ajoute que le secteur bancaire polonais a besoin, d’une façon générale, de capitaux extérieurs. Si toutefois ces capitaux venaient à manquer, le crédit serait lui-même moins accessible et cela pourrait menacer le taux de croissance.

Pour autant, la croissance du PIB, si elle ne devrait pas dépasser 2% dans la plupart des pays d’Europe de l’Ouest, pourrait afficher cette année encore un taux supérieur à 4,5% dans les pays d’Europe centrale membres de l’UE, à l’exception de la Hongrie (1,9%), de l’Estonie (2,7%) et de la Lituanie (3,8%). Et la reprise de l’inflation, que l’on a notée dans toute la communauté en 2008, devrait s’atténuer dès 2009, selon la Commission européenne.

[1] Créée en 1992 par l’homme politique Zygmunt Berdychowski et son épouse, la Fundacja Instytut Studiow Wschodnich (Fondation-Institut des Etudes de l’Est), couramment appelée Instytut Wschodni (Institut de l’Est), organise le Forum économique de Krynica et prépare des rapports intitulés «Nouvelle Europe» (Nowa Europa), consacrés à la transition économique des pays d’Europe centrale et orientale.
[2] Mécanisme de taux de change européen: le système MCE II veille à maintenir la stabilité du taux de change entre l’euro et les monnaies des pays participants. La Pologne, contrairement par exemple à la Slovaquie et aux Etats baltes, n’est pas membre du MCE II.

* Virginie LITTLE est Directrice des Echos de Pologne

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