Géorgie: la répression s’accentue à l’issue du scrutin municipal

En Géorgie, les élections municipales du 4 octobre ont confirmé la mainmise du parti au pouvoir Rêve Géorgien sur l’appareil d’État, au terme d’une campagne marquée par un climat répressif inédit et d’un scrutin largement boycotté par l’opposition. Le gouvernement, dont la victoire a été saluée par le Kremlin, poursuit sa stratégie d’asphyxie de l’opposition.


Le Premier ministre géorgien Irakli Kobakhidze le 5 octobre 2025 (copyright : Facebook, page officielle).

Moins d’un an après les élections parlementaires d’octobre 2024, dont les irrégularités avaient été dénoncées par les observateurs et dont les résultats ne sont reconnus ni par les partis d’opposition ni par les chancelleries occidentales, les élections municipales se sont tenues le 4 octobre 2025 dans 64 municipalités. Les résultats ont consacré la mainmise du parti au pouvoir Rêve Géorgien sur l’ensemble de l’appareil d’État, à l’issue d’un scrutin largement boycotté par l’opposition. Les manifestations qui se sont tenues le même jour, entachées de violence, servent de prétexte au gouvernement pour poursuivre sa stratégie de répression envers les membres de l’opposition politique et de la société civile.

Une opposition fragmentée et une stratégie gouvernementale d’élimination des contre-pouvoirs

La campagne de 2025 a montré que la scène politique géorgienne demeure durablement fracturée, marquée par l’absence totale d’unité au sein de l’opposition qui s’est révélée, une nouvelle fois, incapable de faire front commun. Deux partis d’opposition, Géorgie forte – Lelo et Pour la Géorgie, ont fait le choix de participer aux élections, tandis que les huit autres partis de l’ancienne « Coalition pour le changement » (la fragile initiative emmenée par l’ex-présidente géorgienne Salomé Zourabichvili lors de la campagne pour les élections parlementaires de 2024) ont décidé de boycotter le scrutin et appelé leur électorat à ne pas prendre part au vote. Selon eux, leur participation ne ferait que contribuer à légitimer un gouvernement qu’ils ne reconnaissent toujours pas. De l’autre côté, la Géorgie forte – Lelo et Pour la Géorgie ont argué que leur participation pourrait empêcher le Rêve Géorgien de consolider son emprise sur les institutions de l’État. Cette nouvelle scission a provoqué des tensions supplémentaires au sein de l’opposition.

En parallèle, les organisations de la société civile et les partis d’opposition ont continué de subir d’énormes pressions de la part du gouvernement contrôlé par le Rêve Géorgien. En l’espace d’un an, celui-ci a adopté une multitude de lois pour opérer la mise au pas des médias, des observateurs mais aussi des think-tanks indépendants (l’un d’entre eux, le Georgian Institute of Politics, a annoncé le 2 octobre suspendre indéfiniment ses activités). En outre, durant la campagne, les leaders de l’opposition politique ont été systématiquement pris pour cible. Six d'entre eux, en plus de l’ex-président et chef du Mouvement National Uni (MNU) Mikhaïl Saakachvili, bête noire du régime, ont reçu des peines d’emprisonnement durant la campagne et se trouvaient incarcérés au moment du scrutin.

Enfin, pour la première fois dans l’histoire de la Géorgie indépendante, aucun observateur occidental n’a pu assister au déroulement des élections. Si le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l’OSCE a bien reçu une invitation, celle-ci a été envoyée trop tardivement pour laisser au Bureau le temps d’organiser une mission. Quant aux observateurs locaux indépendants, privés de sources de financements, ils ont déclaré être dans l’incapacité de mener des missions d’observations durant la campagne et le scrutin.

La victoire du parti au pouvoir et la « non-révolution »

En somme, le Rêve Géorgien ne faisait face à aucune menace pouvant entraver sa ‘victoire’. Selon la Commission électorale centrale, celle-ci a officiellement été remportée avec 81,7 % des voix, pour un taux de participation s’élevant à tout juste 40 %. Les deux partis d’opposition la Géorgie forte – Lelo et Pour la Géorgie n’ont pu participer que dans la moitié des circonscriptions par manque de ressources et d’effectifs : le premier aurait remporté 6,7 % des voix et le second 3,7 %. Ces résultats cimentent encore davantage le contrôle du parti au pouvoir sur l’ensemble de l’appareil d’État aux niveaux présidentiel, législatif et désormais municipal.

En parallèle, des milliers de personnes, y compris en provenance des régions, ont participé à la manifestation à Tbilissi organisée le jour même à 16h sur l’avenue Rustavéli. Celle-ci constitue l’épicentre des rassemblements organisés chaque soir contre le gouvernement depuis novembre 2024 et qui entraient dans leur 311ème jour de mobilisation. La manifestation du 4 octobre se voulait toutefois être une rupture : elle avait été appelée de ses vœux par le célèbre chanteur d’opéra géorgien Paata Burchuladze, qui l’avait présentée comme « une révolution pacifique » visant à renverser immédiatement le gouvernement.

Des objectifs annoncés qui apparaissaient comme peu réalistes, au vu notamment de la forte pression policière et judiciaire exercée sur les manifestants depuis onze mois. De fait, l’initiative avait reçu un accueil ambivalent au sein de l’opposition. Plusieurs figures de proue avaient apporté leur soutien et s’étaient jointes à l’organisation du mouvement, dont Levan Khabeichvili du MNU (qui fut placé en détention le 11 septembre). Le parti Lelo avait quant à lui adopté une position plus prudente, tandis que Pour la Géorgie avait dénoncé un projet « incertain » et possiblement « violent ».

Le jour du scrutin, le rassemblement s’est déroulé dans le calme jusqu’à l’appel, après la fermeture des bureaux de vote, d’un des membres de l’opposition à prendre d’assaut le palais présidentiel sur la place Orbeliani, située en contrebas de l’avenue Rustavéli. Si la plupart des participants ont refusé, une minorité y a répondu : plusieurs individus ont enfoncé le portail et pénétré dans l’enceinte du palais. Appelées en renfort, les forces spéciales et la police ont fait usage de canons à eau et de gaz lacrymogène pour repousser puis disperser les manifestants. Une trentaine de civils et des membres de forces de l’ordre ont été blessées.

Une instrumentalisation immédiate, appuyée par une rhétorique proche de celle du Kremlin

Le lendemain, lors d’une conférence de presse spéciale, le Premier ministre Kobakhidze a dénoncé « une tentative de coup d’état » soutenue par « des services de renseignement étrangers », implicitement occidentaux. Usant d’une rhétorique conspirationniste agressive devenue la norme dans les discours officiels du Rêve géorgien depuis 2024, Kobakhidze s’est en violemment pris aux responsables supposés de la manifestation, le « Mouvement national uni collectif » (terme se référant de facto à tous les partis d’opposition). Il a également caractérisé les événements comme un énième échec d’organiser un « Natsmaïdan » (contraction péjorative de « Natsis » en référence au MNU et de la révolution ukrainienne de Maïdan).

Plusieurs de ces éléments conspirationnistes ne sont pas sans rappeler ceux employés par les autorités du Kremlin à l’égard des révolutions de couleur, et notamment celle de Maïdan. Leur emploi témoigne d’un rapprochement a minima rhétorique avec les positions russes.

En parallèle, Tbilissi multiplie les actions hostiles envers les partenaires occidentaux. La présidente de l’OSCE a reçu une amende de 5 000 laris (environ 1 500€) le 17 octobre, officiellement pour « obstruction de la voie publique », alors qu’elle avait publié une vidéo de soutien aux manifestants sur l’avenue Rustavéli. Le 19 octobre, Berlin a annoncé rappeler son ambassadeur pour consultations, au terme de plusieurs mois de tensions : en septembre, les ambassadeurs britannique et allemand avaient été accusés d’ingérences et convoqués par les autorités géorgiennes.

Une stratégie de répression accrue et le spectre de la suppression de l’opposition

Dans le sillage de la conférence du Premier ministre, le ministère de l’Intérieur a ouvert une enquête pénale et procédé à l’arrestation des cinq membres de l’opposition et plusieurs manifestants (57 au 25 octobre 2025). Le 13 octobre, le gouvernement a également introduit des amendements alourdissant les peines de détention et augmentant les amendes pour les manifestants.

Cette stratégie de répression contre l’opposition pourrait s’accentuer encore : le 2 septembre, la Commission mandatée en février par le gouvernement et chargée d’enquêter sur les crimes supposées du gouvernement du MNU entre 2003 et 2012 a publié son rapport de 470 pages : celui-ci constitue un réquisitoire implacable et partial mêlant accusations de « coup d’État », de « violations de droits humains », et de « provocations » ayant mené à la guerre de 2008, dont la responsabilité est imputée au MNU. Le texte accuse en outre l’ensemble des partis d’opposition actuels (et les ONG) d’œuvrer contre les intérêts nationaux du pays. Reste à savoir si le pouvoir se servira de ce rapport comme prétexte supplémentaire pour asphyxier l’opposition.

 

Vignette : Le Premier ministre géorgien Irakli Kobakhidze le 5 octobre 2025 (copyright : Facebook, page officielle).

 

* Margaux Rietzler est une étudiante russophone de l’Inalco spécialisée sur la zone ex-soviétique. Elle a passé neuf mois à Tbilissi entre juillet 2024 et mai 2025, par le biais de ses stages à l’ambassade de France en Géorgie puis à la Fondation Rondeli.

Pour citer cet article : Margaux RIETZLER (2025), « Géorgie: la répression s’accentue à l’issue du scrutin municipal », Regard sur l'Est, 27 octobre.

10.5281/zenodo.17456859

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