Assurer l’avenir: durabilité environnementale et sociale dans le secteur minier ukrainien

Submergé depuis près de quatre ans par l’invasion à grande échelle de son territoire par la Russie, Kyiv n’en est pas moins conscient que promouvoir une exploitation minière responsable est essentiel non seulement pour répondre à la demande européenne, mais aussi pour garantir une reprise économique éthique et durable dans l’Ukraine de l’après-guerre.

Copyright Pixabay


Grâce à ses abondantes ressources en matériaux critiques, l’Ukraine apparaît comme un partenaire stratégique incontournable pour accompagner la transition énergétique verte. Cependant, les défis environnementaux et sociaux importants rendent la gestion des investissements et les réformes ESG (environnement, social, gouvernance) d'autant plus complexes.

Un cadre européen pour une exploitation responsable

Les matériaux critiques (CRM) occupent une place centrale dans la stratégie énergétique et géopolitique de l’Union européenne. Le Critical Raw Materials Act (CRMA), introduit dans le cadre du Green Deal Industrial Plan, a été conçu pour renforcer la capacité de production d’énergies propres en Europe. Ce texte s’accompagne du Net Zero Industry Act, qui vise à accélérer le développement industriel des technologies vertes. Si l’Europe reste à la traîne face au groupe des BRICS en matière de contrôle des CRM, elle entend combler ce retard en tissant des partenariats stratégiques, au premier rang desquels figure l’Ukraine, dont la situation géographique et la richesse en ressources font un partenaire stratégique naturel.

Le partenariat stratégique UE-Ukraine sur les matériaux critiques de juillet 2021, établi par le biais d'un protocole d'accord, ne vise pas seulement à sécuriser l'approvisionnement : il comprend des engagements fermes en matière de durabilité environnementale, de normes sociales et de bonne gouvernance (ESG). L’accord prévoit des réformes juridiques et réglementaires, la promotion de pratiques d’extraction responsables et le soutien à la recherche et à l'innovation technologique pour moderniser les processus d'extraction et de traitement. Des échanges réguliers d'informations et des mécanismes de diligence raisonnable garantiront que ces engagements se traduisent par des progrès concrets. Le protocole d'accord ajoute les dimensions du développement économique et social, en encourageant la modernisation du secteur minier ukrainien tout en maintenant le respect de normes environnementales strictes. Il comprend également des engagements visant à renforcer la recherche, à promouvoir des technologies plus propres et à améliorer la transparence tout au long de la chaîne de valeurs. Un élément clé de l'accord concerne la modernisation technologique des processus d'extraction et de raffinage, ainsi qu'un soutien accru à la recherche et à l'innovation, notamment pour « verdir » les activités minières.

Dans le prolongement de ce partenariat, l'UE a élaboré une feuille de route pour 2023-2024. Celle-ci a ensuite été complétée par une feuille de route stratégique préparée par le ministère ukrainien de la Protection de l'environnement et des ressources naturelles, couvrant la période 2025-2030 et se projetant à l'horizon 2030 et au-delà. Ces feuilles de route mettent l'accent sur l'innovation et la transparence, fondements du développement de l'Ukraine en tant que centre de traitement régional au-delà de 2030. Les États-Unis sont aussi devenus un acteur clé, comme en témoigne la signature du Minerals Deal entre les États-Unis et l'Ukraine le 30 avril 2025. Néanmoins, la Commission européenne a approuvé la première vague de projets stratégiques dans le cadre de la Loi sur les matières premières critiques dès mars et juin 2025. Alors que le rôle de l'Ukraine dans la chaîne internationale d'approvisionnement en matières premières continue de s'étendre, la feuille de route souligne que le pays reste déterminé à rechercher des investissements étrangers, qu'ils proviennent de l'UE, des États-Unis ou d'autres partenaires, qui adhèrent à des normes environnementales et sociales strictes afin d'éviter la reproduction de modèles extractivistes prédateurs.

Risques environnementaux et sociaux : un défi pour l’Ukraine

Le secteur minier ukrainien est confronté à de nombreux défis écologiques et sociaux, parmi lesquels figurent une gestion insuffisante des déchets, l’épuisement des ressources et des pratiques industrielles dépassées. Pour remédier à ces problèmes, il est nécessaire de mettre en place une stratégie nationale qui concilie développement économique et impératifs écologiques.

L’investissement dans des technologies sobres en énergie et économes en ressources constitue une première réponse bien connue. Mais, pour ancrer solidement les principes ESG, il faut aller plus loin. Une gestion rationnelle des ressources naturelles doit inclure tous les aspects de l’activité minière, à commencer par les déchets. En Ukraine, la question des résidus miniers dépasse les seules considérations économiques ou écologiques pour devenir un problème social de grande ampleur. Une étude menée en 2023 montre que la densité de déchets miniers accumulés en Ukraine est 6,5 fois plus élevée qu'aux États-Unis et 3,2 fois plus élevée que dans l'UE. Cette situation s’explique en grande partie par l’absence d’infrastructures de traitement des déchets toxiques industriels. Les conditions actuelles de stockage et d’élimination ne répondent pas aux normes sanitaires, aggravant ainsi la pollution de l’air, des eaux de surface, des nappes phréatiques et des sols.

Des solutions existent néanmoins, comme la réutilisation des déchets industriels dans les matériaux de construction. Ce type d’approche, encore peu développé, représente un champ d’investissement porteur – bien que coûteux – pour les partenaires étrangers de l’Ukraine.

Préserver les ressources pour demain

Dans le cadre d'une gestion rationnelle de la nature, une stratégie de protection des gisements permettrait d'atténuer leur épuisement ou leur perte au moment de l'extraction. Préserver les dépôts minéraux connus permet de garantir leur disponibilité pour les générations futures, tout en limitant les effets sociaux et écologiques négatifs de l’activité minière. Plusieurs pays européens, tels que l’Autriche, le Portugal, la Slovaquie, la République tchèque, la Suède ou le Royaume-Uni, ont intégré avec succès cette approche à leurs politiques d’aménagement du territoire. Cette articulation entre planification minérale et politique spatiale constitue aujourd’hui l’une des stratégies les plus efficaces pour protéger les ressources du sous-sol.

Si ces mesures permettent d’atténuer une partie des externalités négatives de l’exploitation, elles ne suffisent pas à éliminer tous les impacts sociaux et environnementaux. Pour répondre à ces défis, les décisions d’investissement doivent viser à moderniser le secteur minier ukrainien sans en aggraver les déséquilibres existants. Une approche « systémique » est nécessaire pour prendre en compte les effets indirects et de long terme de l’exploitation. Sans cela, on risquerait de trahir les principes d’une « transition juste ». L’exploitation minière ne peut reposer sur un modèle unique, uniforme, mais doit trouver un équilibre entre les besoins locaux et les objectifs globaux. Cela exige une collaboration à tous les niveaux de gouvernance, avec la participation d’acteurs publics, privés et issus de la société civile. Parmi les réponses possibles figurent la création de partenariats stratégiques adaptés aux contextes locaux et l’intégration de l’aide étrangère dans une logique de renforcement des conditions sociales dans les communautés les plus vulnérables. Ces efforts ne visent pas uniquement à améliorer le secteur minier actuel : ils préparent aussi les conditions d’une reconstruction durable et équitable de l’Ukraine.

Perspectives pour la reconstruction de l’Ukraine

Selon le Global Critical Minerals Outlook 2025 de l'AIE, la valeur du marché de l'extraction des principaux minéraux énergétiques devrait atteindre 500 Mds$ d'ici 2040. Avec ses réserves substantielles de lithium, de nickel et de cobalt, qui représentent au moins la moitié des principaux minéraux énergétiques, l'Ukraine ne doit pas être négligée pour les opportunités d'investissement qui résident non seulement dans l'extraction de ces minéraux, mais aussi dans le traitement et la production de batteries et de technologies de pointe.

Alors qu'en 2016, l'Europe ne représentait qu'environ 4 % des investissements mondiaux dans l'exploration minière (bien qu'elle consomme 25 à 30 % des métaux du monde), un changement stratégique s'est opéré depuis lors. L'UE renforce ses engagements en faveur de la diversification des chaînes d'approvisionnement et de l'augmentation des investissements dans les projets miniers nationaux et des pays partenaires. Il s'agit notamment de ses initiatives avec l'Ukraine, comme en témoignent le partenariat stratégique UE-Ukraine et les engagements financiers accrus en faveur de projets miniers stratégiques sur le continent européen. Comme l’a rappelé le député européen néerlandais Thijs Reuten dans un entretien à Euronews, « l’UE doit être plus forte, plus audacieuse, plus rapide et plus courageuse – mais sans renier ses principes. »

D’après le Service géologique d’Ukraine, le pays dispose de 25 des 34 matériaux critiques reconnus par le Critical Raw Materials Act européen. Pour attirer les investisseurs, Kyiv a mis en place des enchères de concessions minières et publié un Atlas de l’investissement recensant les opportunités disponibles, que ce soit via des appels d’offres classiques ou dans le cadre d’accords de partage de production (PSA). Certaines concessions offrent des licences d’exploitation de 50 ans, comme le gisement de lithium de Dobra ou celui de titane de Stremyhorodske, sans compter de nombreuses réserves encore inexplorées.

Mais, pour réussir ce tournant, l’Ukraine doit veiller à ce que le développement de ses ressources respecte des principes éthiques et durables. L’enjeu ne se limite pas à la valorisation économique des gisements : c’est la manière dont ces ressources seront exploitées qui déterminera l’avenir du pays. Mais s'arrêter à l'extraction serait une erreur. La transformation des matériaux à l'intérieur de ses frontières est une opportunité essentielle pour attirer davantage d'investissements étrangers et conserver la valeur ajoutée que ces ressources naturelles apportent. Cela implique de créer un cadre propice aux investissements dans l’industrie de transformation, en recourant à des incitations fiscales, en soutenant les startups technologiques et en investissant dans la recherche et développement.

Au-delà des montants investis, la question centrale demeure celle des investisseurs eux-mêmes. Leurs intérêts peuvent avoir des conséquences durables. Il est donc essentiel de planifier chaque projet dans une optique de développement à long terme. Que ces partenariats soient conclus avec l'Europe, les États-Unis ou d'autres partenaires du G7, l'Ukraine doit viser un modèle commercial qui maximise les avantages pour les communautés locales, plutôt que de laisser les bénéfices, tant matériels que financiers, s'échapper à l'étranger. L’accord sur les minéraux conclu avec les États-Unis témoigne d'un partenariat potentiel mutuellement bénéfique, mais il soulève des questions quant à l'impact sur le développement à long terme. Il met néanmoins l'UE au défi d'être à la hauteur de cette ambition en adoptant sa propre stratégie d'investissement. En s'appuyant sur ces principes et en préservant son autonomie économique, l'Ukraine serait la mieux placée pour parvenir à une reconstruction juste, durable et souveraine

Vignette : mine de titane, région de Jytomyr (Photo : Pixabay).

 

* Alexandra Day est étudiante en master de Management durable et Impact social à l’ESSCA Paris.

Pour citer cet article : Alexandra DAY (2025), « Assurer l’avenir: durabilité environnementale et sociale dans le secteur minier ukrainien », Regard sur l'Est, 20 octobre.

244x78