Géorgie : le football, un moteur économique et social

Le football est l'un des sports les plus populaires en Géorgie, aux côtés du judo, des arts martiaux, du rugby et du basket-ball. Bien que les stades attirent en moyenne moins de 3 000 spectateurs par match dans la première division, la passion pour le football reste forte dans le pays, surtout pour les matchs de la sélection nationale.


Dynamo Tbilisi.La Crystalbet Erovnuli Liga, la première division du championnat géorgien, se déroule sur une année civile et comprend dix équipes qui s'affrontent quatre fois chacune, totalisant 36 journées. Le Dynamo Tbilisi, club le plus titré de Géorgie avec 19 titres nationaux, est régulièrement en tête du championnat. Cependant, les performances des clubs géorgiens sur la scène européenne restent limitées avec très souvent des éliminations dès les barrages pour les compétitions européennes. Le championnat géorgien est classé 46ème sur 55 en Europe, selon l'indice UEFA. Malgré cette situation, des progrès sont observés grâce à la formation qui permet aux talents locaux de se développer.

L’éclosion du football géorgien

Historiquement, le Dynamo Tbilisi a connu son âge d'or entre les années 1960 et 1980, remportant deux championnats soviétiques et la Coupe des Coupes en 1981. Le Torpedo Kutaisi, avec 4 titres de champion, et le Dynamo Batumi, qui a remporté son premier championnat en 2021, complètent le trio de tête des clubs les plus prestigieux. Le Dynamo Batumi a notamment attiré l'attention en recrutant la star Kvicha Kvaratskhelia en 2022.

Le Dynamo Tbilisi domine aussi la Coupe de Géorgie avec 13 titres, bien que la compétition soit devenue plus imprévisible depuis 2016, avec quatre vainqueurs différents depuis. Cette diversité reflète une compétitivité croissante parmi les clubs géorgiens.

Les supporters des principaux clubs, comme les Black Sea Pirates du Dynamo Batumi et les fans du Torpedo Kutaisi, sont connus pour exprimer leurs positions politiques, souvent marquées par une forte opposition à la Russie et un soutien total à l'Ukraine. Les tribunes sont un espace d'expression pour des revendications politiques et sociales, reflétant les tensions géopolitiques de la région. Cette politisation extrême est typique dans les pays centre et est-européens, comme par exemple en Ukraine ou en Serbie, où l’appartenance politique (parfois même à des groupes d’ultras) permet de se situer dans le paysage politique avec des visions parfois très contrastées.

La Géorgie a toujours été un vivier de talents footballistiques, même à l'époque soviétique. Après l'indépendance, des joueurs comme Kakha Kaladze, Shota Arveladze et Levan Kobiashvili, actuel président de la Fédération géorgienne, ont marqué l'histoire du football géorgien. Sous la direction de L. Kobiashvili depuis 2015, la sélection nationale a vu une amélioration notable, culminant avec une qualification historique pour l'Euro 2024 sous la direction de Willy Sagnol.

La Géorgie dispose aujourd'hui de jeunes talents prometteurs comme Kvicha Kvaratskhelia du Napoli, George Mikautadze de Metz, et Giorgi Mamardashvili de Valence. Ces joueurs illustrent les progrès réalisés dans la formation des jeunes, soutenus par des académies de clubs internationaux comme l'Inter Milan.

Un impact économique inattendu

Le football contribue de manière significative à l'économie géorgienne. Au premier trimestre 2024, les revenus du tourisme international ont atteint 807,7 millions de dollars, en partie grâce aux événements sportifs organisés dans le pays.

De plus, le plan de développement stratégique initié en 2015 par Levan Kobiashvili, qui inclut des projets comme la construction de 37 stades (plus 18 encore en construction), a permis d'augmenter le nombre de joueurs enregistrés et l'audience télévisée du football géorgien. Ce plan ambitieux est divisé en cinq piliers : la stabilité du football en sélection, l'optimisation des infrastructures, le développement des jeunes talents, la promotion du football féminin et l'augmentation de l'engagement communautaire. Ce plan fonctionne à merveille : si, en 2015, il y avait 14 000 joueurs enregistrés et 120 joueuses dans les équipes féminines, six ans plus tard, on décompte 37 900 joueurs enregistrés et 1 000 joueuses féminines. Le nombre de spectateurs regardant la ligue nationale à lui aussi considérablement augmenté selon l’UEFA, avec 200 000 spectateurs en 2017 contre 2,7 millions en 2022.

La Géorgie a pu mesurer l’impact que pouvait avoir le football sur son économie, pour la première fois en 2015, lors de l’organisation du match de la Super Coupe de l’UEFA. Cet événement majeur dans le football a boosté l’économie géorgienne dans plusieurs domaines : tout d’abord, 13,6 % des spectateurs de ce match ont emprunté la compagnie aérienne nationale, Georgian Airways, qui s’est brusquement trouvée mise à l’honneur, juste après Turkish Airways, en termes de transport de supporters. Par ailleurs, 70,8 % des visiteurs ont logé dans des hôtels de la ville, et 8,6 % dans des logements loués auprès de particuliers. En moyenne, les touristes sont restés 4,5 nuits dans le pays. En outre, 27,7 % des touristes avaient même acheté des séjours touristiques auprès d’opérateurs pour visiter le pays. Selon les sondages, 97 % des touristes ont déclaré être ravis de leur expérience et ont recommandé la Géorgie comme destination touristique.

Un rôle social indéniable

Mais, par-dessus tout, le football offre à la jeunesse géorgienne une activité structurée et des opportunités de développement personnel. Ce genre d’activité désormais banale et naturelle dans les pays occidentaux, est largement perçue en Géorgie comme un outil permettant aux jeunes d’avoir un mode de vie sain et de ne pas sombrer dans la délinquance ou la criminalité. Comme dans le cas de la Colombie, où le programme « Fútbol con Corazón » permet à des milliers d'enfants d'échapper à la violence, la Géorgie utilise le football pour rassembler les jeunes et promouvoir des valeurs positives. En Colombie, ce sport a permis de réduire la délinquance de près de 90 % dans certaines zones qualifiées à haut risque, un exemple que la Géorgie peut suivre pour inspirer sa propre jeunesse.

Le football en Géorgie ouvre aussi des portes à des opportunités éducatives et professionnelles pour les jeunes talents. À l'instar des initiatives en Amérique latine, où le football a permis à de nombreux jeunes de sortir de la pauvreté et de la violence, les footballeurs géorgiens en herbe bénéficient de bourses pour étudier et jouer à l'étranger, envisageant des carrières variées.

La Géorgie a également été l'un des pays hôtes, avec la Roumanie, de l'Euro U21 (championnat d’Europe des moins de 21 ans) en 2023. La performance géorgienne fut prometteuse, avec une élimination en quart de finale aux tirs au but contre Israël, mais une phase de groupes impressionnante, terminant en tête de leur poule devant des équipes comme le Portugal et les Pays-Bas.

Le football joue désormais un rôle crucial dans la dynamique économique et sociale de la Géorgie, tout en forgeant une identité nationale forte et résiliente, avec par exemple le slogan « I am Georgia » qui permet à la jeunesse de se sentir représentée à l’international. Les réussites de leur équipe permettent aux Géorgiens, jeunes et moins jeunes, de se sentir unis, comme par exemple lors de la qualification à l’Euro, en avril 2024 ou encore le passage en 8ème de finale de l’Euro après avoir battu le Portugal de Cristiano Ronaldo. L’équipe géorgienne a ébloui les commentateurs mondiaux avec un football attractif et un plan de jeu basé sur des contrattaques rapides menées avec brio par Khvicha Kvaratskhelia et George Mikautadze. Les succès récents et les initiatives de développement promettent un avenir brillant pour le football géorgien, tant au niveau national qu'international.

Vignette : © Dynamo Tbilisi.

 

* Eliot Khubulov est étudiant en 2ème année à l’Institut libre des Relations internationales (Paris).