Kazakhstan : l’intelligence artificielle, un marché en pleine effervescence

À l'ère de la Covid-19, plusieurs pays aspirent à devenir des leaders mondiaux dans le secteur de l'intelligence artificielle (IA). Parmi eux, le Kazakhstan est séduit par les perspectives et les possibilités croissantes du recours à l'IA et à la technologie du big data pour relever des défis mondiaux.


Intelligence artificielle & apprentissage automatique (source : pixabay.com).En décembre 2020, le président de la République du Kazakhstan Kassym-Jomart Tokaïev a assisté à une cyberconférence intitulée Artificial Intelligence Journey, qui était axée sur l'IA et, en particulier, sur l'analyse des données. Au cours de la session consacrée à « Artificial Intelligence: Responsible Attitude Towards the Future », il a déclaré que la pandémie de Covid-19 avait rappelé un fait incontestable : le monde entier évolue à l'ère de systèmes de production automatisée, de l'intelligence artificielle et des réseaux neuronaux.

Précisant sa pensée, K. -J. Tokaïev a expliqué, lors du forum international Digital Almaty 2021 - Digital Reset: the leap to the next normal le 5 février 2021, que la pandémie de Covid-19 était susceptible de jouer un rôle de catalyseur dans le développement de l'intelligence artificielle au Kazakhstan : la diffusion accrue de la culture du télétravail, accentuée par l’imposition de confinements dans presque tous les pays du monde pour faire face à l'expansion du virus, constituent autant de facteurs susceptibles de contribuer au développement et au rayonnement du marché de l'IA.

Le Kazakhstan a déjà identifié le développement de l'intelligence artificielle et de la technologie d'analyse du big data comme l'une de ses priorités. D'ici cinq ans, le président du Kazakhstan se fixe l'objectif d'attirer environ 500 milliards de tenges (l'équivalent de près d'un milliard de dollars) pour créer un pôle national d'intelligence artificielle. Pour ce faire, il a invité ses partenaires de la région centre-asiatique à coopérer pleinement. Mais on note que les premiers ministres de Russie, du Belarus, du Kirghizstan, d'Ouzbékistan et d'Arménie étaient présents lors du forum international de février 2021.

Plus largement, les autorités kazakhstanaises prévoient d'impulser la création de divers projets de développement de l'intelligence artificielle dans plusieurs secteurs, notamment économique, politique, juridique, éducatif, fiscal et de santé(1).

Dans quelle mesure le développement de l’IA pourrait-il réellement affecter la société kazakhstanaise et dynamiser sa croissance économique ?

Santé et intelligence artificielle : une révolution en marche

Le 28 avril 2020, l'Université de médecine Semey du Kazakhstan et XLabs, un laboratoire américain de biologie médicale, ont conclu un accord de collaboration concernant l'utilisation de l'intelligence artificielle de la Silicon Valley pour combattre la Covid-19 au Kazakhstan. Depuis de nombreuses années, XLabs est engagé dans le développement de l'IA à des fins et applications strictement médicales. Après deux semaines de négociations, les parties concernées sont parvenues à un accord, avec le soutien du ministère kazakhstanais de la Santé(2).

L'objectif du projet serait, entre autres, de collecter des big data, de rassembler et d’analyser des ressources numériques sur la propagation de la Covid-19 dans le monde, d’évaluer la situation épidémiologique au Kazakhstan et dans d'autres pays, et de comparer les mesures gouvernementales adoptées pour prévenir la propagation de l'épidémie dans différents pays. Le ministère de la Santé du Kazakhstan estime que le pays pourrait tirer un grand profit de cet accord, en ayant accès aux méthodes les plus récentes et les plus efficaces pour faire face à la pandémie.

Plus largement, le Kazakhstan propose de légiférer sur l'utilisation de l'intelligence artificielle en médecine. Si la télémédecine est déjà autorisée dans le pays, les partisans des méthodes traditionnelles entravent l'introduction des nouvelles technologies. À ce titre, Ali Nurgozhayev, membre du Comité permanent de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) pour la région européenne, a proposé de sécuriser l'utilisation de l'IA en médecine, lors d'une conférence sur la numérisation organisée par le Sénat local. Au Kazakhstan, la télémédecine fonctionne selon le principe « ce qui n'est pas interdit est autorisé ». À cet égard, le pays se considère comme en retard face à des États comme la Russie, où une loi sur la télémédecine est en vigueur depuis plus de trois ans et où, en mars 2020, un projet de loi a été adopté en troisième et dernière lecture par la Douma d'État, autorisant le diagnostic à distance et même la prescription de traitements(3).

L'amélioration de la performance des services

En 2020, le ministère kazakhstanais du Développement numérique, des Innovations et de l'Industrie aérospatiale, avec le soutien de la Banque mondiale, a initié le programme Smart Cities and Artificial Intelligence (SCAI). L'objectif serait de parvenir à une amélioration de la qualité et de l'accessibilité des services privés et publics fondée sur la collecte de données locales, en ciblant certaines villes du pays.

La réalisation de cet objectif dépend des compétences numériques, des investissements privés et de la mise en place d'un environnement propice au développement de l'IA et à une analyse qualitative des données. S’il aboutit, le projet permettra, par l'exploitation de l'intelligence artificielle et des données, d'assurer une croissance innovante et inclusive, une meilleure qualité, une plus grande transparence des services publics, ainsi qu’une intensification des investissements du secteur privé.

En 2021, le Kazakhstan devrait commencer à introduire la technologie de blockchain dans la sphère fiscale. La reconnaissance juridique de tous les documents de base présentés en format électronique – tels que les pièces d'identité et passeports – devrait être assurée, tandis que la protection des données personnelles devrait aussi être améliorée. Les services publics devraient se développer afin de renforcer la couverture et l'accessibilité des diverses prestations.

Le Président Tokaïev envisage également le lancement d'une initiative éducative interétatique destinée aux écoliers et aux étudiants dans le domaine des nouvelles technologies de l'intelligence artificielle au sein de l'Union économique eurasiatique (UEEA). Dans son discours prononcé lors du forum annuel international Digital Almaty 2021 - Digital Reset: the leap to the next normal, le chef de l'État a précisé que le Kazakhstan avait fait de la numérisation totale et de l'échange de données une priorité de sa présidence de l'Union, assurée de janvier à décembre 2021. Devant les premiers ministres et des experts des pays membres de l’UEEA réunis à Noursoultan, il a précisé son intention de promouvoir activement cet agenda et son espoir de pouvoir organiser une coopération productive avec tous les pays membres de l’Union dans le domaine éducatif(4).

Le pari d'une croissance économique relancée

Certains analystes kazakhstanais estiment que d'ici 2030, la technologie de l'IA et du big data pourrait devenir l'un des principaux facteurs susceptibles de permettre au Kazakhstan d'atteindre une croissance annuelle du PIB de 5 à 6 %. L'IA et le big data pourraient en effet contribuer à la hausse de la productivité du travail, et devenir des facteurs importants de la croissance économique. L'adoption de ces nouvelles technologies dans les secteurs extractif et manufacturier pourrait générer un profit estimé entre 5 et 7 milliards de dollars par an. Dans le secteur des services, ce bénéfice pourrait se situer entre 9 et 13 milliards de dollars par an. Dans les secteurs de l'éducation, de la santé, de l'administration et de la défense, l'effet s'avère comparativement plus faible, mais l’IA permettrait toutefois une amélioration très significative du niveau de vie de la population. À une échelle internationale, une étude réalisée en 2018 par le cabinet américain McKinsey prévoyait que l'intelligence artificielle pourrait stimuler la croissance du PIB mondial à hauteur de 1,2 % par an et ce, jusqu'en 2030(5).

Outre leur potentiel de développement économique, les technologies de l'intelligence artificielle et du big data conduiront enfin à un renouvellement des perspectives d'emploi dans la société. D'ici 2025, plus de 50 professions devraient disparaître au Kazakhstan en raison de l'automatisation. Toutefois, le pays devrait avoir besoin de spécialistes dotés de compétences scientifiques, pour maximiser l'impact de ces nouvelles technologies. D'ici 2030, le pays devrait ainsi compter 5 à 10 000 analystes de données, 20 à 25 000 développeurs de systèmes de données et 2 à 5 000 spécialistes des données (ou data scientists)(6). Mais, pour concrétiser ces ambitions nationales, le gouvernement national va devoir, en premier lieu, mettre un frein au « brain drain » qui s'est accéléré au cours des dernières années : si 34 % du personnel qualifié a quitté le pays en 2015, ce serait 88 % de cette même catégorie de main-d’œuvre qui serait partie en 2019. L'exode de techniciens, d'économistes et d'enseignants crée un manque qui pourrait contrecarrer les projets des autorités(7).

Notes :

(1) Meruert Sarsenova, « Natsionalsnyï klaster iskousstvennogo intellekta poiavitsia v Kazakhstane » (Apparition d'un pôle national d'intelligence artificielle au Kazakhstan), Kapital.kz, 5 février 2021.

(2) « Iskousstvennyï intellekt khotiat ispolzovat v Kazakhstane dlia borby s COVID-19 » (L'intelligence artificielle est prête à être utilisée au Kazakhstan pour lutter contre la Covid-19), Tengrinews.kz, 28 avril 2020.

(3) Diana Kulmaganbetova, « V Kazakhstane predlagaiout zakonodatelno zakrepit ispolzovanie iskousstvennogo intellekta v meditsine » (Le Kazakhstan propose de légiférer sur l'utilisation de l'intelligence artificielle en médecine), Informburo.kz, 16 octobre 2020.

(4) Bekzada Ishekenova, « Iskousstvennyï intellekt i novye tekhnologii Kazakhstana mogout poloutchit $1 mldr » (L'intelligence artificielle et les nouvelles technologies du Kazakhstan pourraient bénéficier d'un milliard de dollars), Ism.kz, 5 février 2021.

(5) « Chto dast iskousstvennyï intellekt Kazakhstanou ? » (Que va apporter l'intelligence artificielle au Kazakhstan ?), Kursiv.kz, 12 juin 2019.

(6) « Kak razvivaetsia iskousstvennyï intellekt v Kazakhstane » (Comment l'intelligence artificielle se développe au Kazakhstan), Strategy2050.kz, 6 mai 2021.

(7) «‘Outetchka mozgov’ narastaet – Kazakhstan aktivno pokidaiout tekhnari, ekonomisty, pedagogi » (La « fuite des cerveaux » s'accentue - des techniciens, des économistes et des enseignants quittent activement le Kazakhstan), Finprom.kz, 14 novembre 2017.

 

Vignette : Intelligence artificielle & apprentissage automatique (source : pixabay.com).

 

* Roxane POITOU est étudiante en Master 2 de Relations Internationales et japonais à l'INALCO.

Lien vers la version anglaise de l'article

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