Kazakhstan: un futur nucléaire ou renouvelable?

Depuis 1991, le Kazakhstan s’est inséré dans l’économie mondiale grâce à ses matières premières, comme le pétrole mais aussi l’uranium et les ressources à la base d’énergies renouvelables. Après l'accident de Fukushima en mars 2011, vers quelles options s’orientera-t-il ? Quelles seront les conséquences de ces choix ?


Lors d’un congrès sur l’énergie en 2010, le Premier ministre Karim Massimov a résumé l’ambition de son pays, qui est de devenir un stabilisateur géopolitique et un fournisseur fiable de matières premières : « Nous souhaitons avant tout développer notre pays de manière durable »[1]. Avant 1991, Moscou avait imposé l’atome au Kazakhstan. Après, les cicatrices des bombes ont été pansées par la fermeture du site d’essais de Semei (anciennement Semipalatinsk) et une assistance médicale a été dispensée à la population locale qui avait été exposée aux irradiations. Par un glissement spontané, le nucléaire civil est alors devenu le symbole de l’émancipation technologique du Kazakhstan. Dans le même temps, le solaire et l’éolien ont également commencé à se faire une place.

De l’énergie de l’atome … aux sources du renouvelable

Avant même les accidents de Three Miles Island et de Tchernobyl[2], l’énergie nucléaire a été contestée par des segments de la population et des élites, un peu partout dans le monde. Les risques d’irradiation et la question du stockage des déchets étaient à l’origine de ces préoccupations. Sous cette pression puis sous l’effet des accidents graves survenus entretemps, un nombre croissant de pays ont freiné leurs programmes, comme la Suède (vote en 1980, ratifié par le Parlement) et l’Allemagne où le gouvernement a annoncé, en 2000, la sortie du nucléaire, échelonnée en fonction de l’âge de chaque centrale[3]. D’autres en revanche, dont la Chine et l’Inde, ont accéléré leurs programmes[4]. Mais le doute s’est installé partout.

D’autres sources d’énergie ont démontré leur potentiel. Selon leurs adeptes, elles présentent moins de risques, comme l’hydraulique à petite échelle. Le terme d’énergie renouvelable associé au solaire et à l’éolien est né dans les années 1980. Il stipule que l’apport énergétique ne s’épuise pas. Pourtant, les installations sont, elles aussi, tributaires de matières premières.

Il se trouve que l’un des matériaux à la base des panneaux photovoltaïques de dernière génération est le gallium. La demande pour ce matériau s'accroit également pour la fabrication des diodes lumineuses qui, nécessitant pour fonctionner moins d’électricité que les éclairages traditionnels, ont aujourd’hui la préférence des milieux soucieux de la consommation d’énergie des appareils. Le néodyme, une terre rare, entre dans la fabrication des aimants des génératrices d'éoliennes. Or, sa raréfaction due précisément à la promotion de l’énergie éolienne, inquiète également.

Le développement de l’éolien et du solaire nécessite donc l'augmentation de l’extraction de nouvelles ressources. Or 83 % des terres rares proviennent de Chine[5] et celle-ci limite désormais les exportations. Les fournisseurs d’éoliennes risquent donc de subir une pénurie dans les vingt prochaines années. La situation pour le gallium paraît également tendue. D’ores et déjà, la Commission européenne a exprimé son inquiétude à ce sujet.

Mais les sols du Kazakhstan détiennent peut-être la réponse à ces interrogations. La future politique énergétique du Kazakhstan sera donc déterminante.

L’option nucléaire consolidée…

Le Kazakhstan est le premier fournisseur d’uranium avec une production de 19 450 tonnes, soit 35 % de la production mondiale annuelle. L’agence nationale Kazatomprom, fondée en 1997, a signé des accords de coopération en matière d’approvisionnement en combustibles avec la Russie et la Chine. Le Japon importe 40 % de l’uranium qu’il consomme du Kazakhstan[6]. Outre le minerai brut et le combustible, le conglomérat kazakhstanais entend développer des réacteurs d’un type nouveau, adapté aux pays émergents. Selon Mohammed El Baradei, ancien directeur de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), des pays comme la Jordanie, le Ghana et la Thaïlande offrent des marchés potentiels pour ce type de centrales[7].

Entre 1972 et 1999, une centrale nucléaire a fonctionné à Aktau, sur les rives de la mer Caspienne. Trois réacteurs de recherche y sont encore actifs. Avant la tragédie de Fukushima, huit nouvelles installations étaient programmées. Le nucléaire avait le vent en poupe en raison du changement climatique. La perspective de « libérer » des quantités de pétrole ou de gaz pour les consacrer à l’exportation au moyen d’un substitut nucléaire national avait motivé l'intérêt des décideurs kazakhstanais pour l’atome.

La catastrophe n’a pas semblé mettre en cause cette option: quelques jours après l’accident de Fukushima, un accord de livraison de combustible nucléaire était signé avec l’Inde. En juin 2011, était adopté un programme de développement de l’énergie nucléaire dans le pays, prévoyant la construction d’une centrale. En octobre, le Premier Ministre K. Massimov déclarait que « les événement tragiques à la centrale nucléaire japonaise de Fukushima nous donnent une autre occasion de réfléchir sur le développement du secteur nucléaire. Nous pensons que le Kazakhstan a toutes les capacités pour développer l’énergie nucléaire »[9]. Une énergie nucléaire plus sûre, évidemment !

… et complétée par les promesses du renouvelable

En 1997, le programme « Kazakhstan 2030 » avait évoqué le potentiel du solaire et de l'éolien. Après 2008, des études du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) ont démontré les possibilités concrètes des énergies renouvelables dans le sud du pays. Le 4 juillet 2009, le Président Noursoultan Nazarbaev a signé une loi sur l’énergie renouvelable afin de réduire d’au moins 15 % les émissions de gaz à effet de serre d'ici 2020, conformément aux exigences du Protocole de Kyoto. Des investissements sont encouragés pour accroître la part des autres énergies au détriment des fossiles, actuellement à l’origine de quelque 88 % de la production d’électricité[8].

La Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) s’est d’ailleurs engagée à financer des parcs éoliens dans les plaines du Kazakhstan (un premier parc sera inauguré en 2013 dans la région d’Akmola). Selon le ministre de l’Industrie et des nouvelles technologies, Asset Issekechev, les sources renouvelables devront fournir 1 % de l’énergie nationale en 2015, et 3 % d’ici 2020[10]. Une usine construite par le français ECM Technologies fournira d’ailleurs des panneaux solaires dès 2012[11].

Atome versus renouvelable ?

Pour les partisans de l’atome, le Kazakhstan représente un partenaire fiable. En effet, Kazatomprom entend faire passer son offre d’uranium de quelque 19.450 tonnes à 20 000 d’ici 2018, avant de stabiliser sa production à ce niveau[12]. Mais, si le Kazakhstan privilégie le développement de son secteur nucléaire, une partie de l’uranium sera alors absorbée par sa demande intérieure. En revanche, s'il décide de développer ses énergies renouvelables, l’impact sur le marché mondial dépendra de la politique retenue en matière d’approvisionnements en technologies. L’importation de modules solaires de dernière génération et d’éoliennes réjouirait les fournisseurs en Europe et en Asie… avant de les préoccuper peut-être: les capacités nationales de fabrication feront du Kazakhstan un concurrent de taille pour l'approvisionnement en matières premières et des systèmes d’énergies renouvelables.

Dans les deux cas, l’orientation choisie par le Kazakhstan en matière nucléaire influencera la géopolitique de l’énergie. Les paroles du Premier Ministre K. Massimov résument la situation actuelle : « C’est la raison pour laquelle nous souhaitons être un fournisseur fiable de ressources énergétiques pour l’Europe »[13]. Quelles que soient ces ressources, il apparaît que l’analyse du risque en matière énergétique, ne doit plus se cantonner aux énergies fossiles ou nucléaire mais s’étendre également aux énergies renouvelables.

Notes :
[1] http://fr.euronews.com/2010/10/08/kazakhstan-la-nouvelle-frontiere-de-l-energie/.
[2] B. Brooks, «For Climate’s sake, nuclear power is not an ‘option’, it is a ‘necessity”», Swissfuture, n°2, 2011, pp.28-30.
[3] www.bmwi.de/BMWi/Redaktion/PDF/V/vereinbarung-14-juni-2000,property=pdf,bereich=bmwi,sprache=de,rwb=true.pdf.
[4] www.neimagazine.com/story.asp?sc=2060614.
[5] www.lemonde.fr/planete/article/2010/12/28/la-chine-reduit-ses-exportations-de-terres-rares-pour-debut-2011_1458556_3244.html.
[6] http://world-nuclear.org/info/inf89.html.
[7] www.thebulletin.org/web-edition/features/kazakhstans-nuclear-ambitions.
[8] www.energies-renouvelables.org/observ-er/html/inventaire/pdf/13e-inventaire-Chap03-3.7.2-Kazakhstan.pdf.
[9] www.duclair-environnement.org/2011/10/26/le-kazakhstan-continuera-a-developper-lenergie-nucleaire/.
[10] www.reuters.com/article/2011/10/05/us-kazakhstan-wind-idUSTRE7941LI20111005.
[11] www.ambafrance-kz.org/Production-des-modules.
[12] http://world-nuclear.org/info/inf89.html.
[13] http://fr.euronews.com/2010/10/08/kazakhstan-la-nouvelle-frontiere-de-l-energie/.

Vignette : © D. S. Martel.

* Dr. Daniel Stanislaus MARTEL enseigne la gestion des risques et de la qualité à Genève et Kaboul, et anime des séminaires sur l’Europe technologique à l’ESM de Reims.

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