Regard Sur l'Est : Quand a été créée Radio Almaz et quelle a été son évolution ?
Rustam Koshmuratov : J'ai créé Radio Almaz en 1992, en partant de rien. En fait, je suis médecin de formation. A l'époque soviétique, j'avais l'habitude d'écouter la BBC et Voice of America en cachette, la nuit. Lorsque le régime communiste est tombé, j'ai décidé de créer ma radio, à Bichkek, la capitale du Kirghizstan. Je n'avais alors pas un sou en poche. J'ai trouvé des sponsors, ce qui m'a permis d'acheter deux énormes magnétophones. Nous avons d'abord commencé à émettre sur les petites ondes, trois heures par jour, et peu à peu nous avons augmenté notre temps de diffusion. En 1995, nous sommes passés sur les ondes FM, 24 heures sur 24. Cette année-là, je suis entré en contact avec la radio allemande Deutsche Welle, puis en 1998 avec Radio France Internationale (RFI), et enfin avec Radio Liberty. Aujourd'hui, nous diffusons nos émissions en kirghize et en russe. Nous avons tenté d'émettre en anglais, mais cela n'a pas eu le succès escompté et nous avons laissé tomber. Nous avons une filiale à Naryn, une ville qui n'est pas très loin de la Chine. En tout, dix personnes travaillent pour la radio, à Bichkek et à Naryn.
Comment se sont développés les médias au cours des quinze dernières années au Kirghizstan ?
Au début des années 1990, les médias bénéficiaient de beaucoup de droits. Puis, à partir de 1995, le président Askar Akaïev a commencé à s'en prendre aux journaux. Il a fermé Svobodnye Gory ( Les montagnes libres), puis Respublika (République), et Moïa stolitsa (Ma capitale), qui ont réouvert depuis. Les tribunaux se sont mis à condamner les journaux d'opposition à payer des amendes. Cela ne les a pas empêchés de diffuser des informations indépendantes. Puis Akaïev a acheté plusieurs compagnies de télévision à Bichkek, et des stations de radio. Plusieurs radios ont été inquiétées, Radio Almaz en particulier. De fait, progressivement, les médias indépendants ont presque tous disparu. Contrairement à d'autres, nous avons survécu. Radio Almaz existe toujours et près d'un million de personnes nous écoutent, Moïa Stolitsa et Respublika de leur côté tirent aujourd'hui respectivement à 30 000 et 10 000 exemplaires, ce qui représente beaucoup dans notre pays (ndlr : cinq millions de personnes vivent au Kirghizstan).
Parallèlement, comment s'est développée la société civile dans votre pays ?
Dès l'éclatement de l'URSS, des organisations indépendantes sont apparues, des partis se sont formés. Malgré la dérive du pouvoir présidentiel, les diverses composantes de la société civile ont été très actives. Elles n'ont pas hésité à critiquer le président, malgré ses tentatives de bâillonner l'opposition, à dire que le pays allait mal, que l'économie ne se développait plus. Des organisations américaines ont pris part à ce processus, comme Freedom House ou le Fonds Soros. Elles ont distribué de l'argent, donné des cours, diffusé des documents d'information. Radio Almaz a en particulier reçu des bourses du Fond Soros, à plusieurs reprises, ce qui nous a permis d'avoir des ordinateurs, des imprimantes, du matériel pour la radio. Aujourd'hui, ces organisations continuent à jouer un rôle important.
Le président Askar Akaïev a été contraint de démissionner le 4 avril dernier. Avez-vous joué un rôle pendant cette révolution ? Et comment voyez vous l'avenir ?
Pendant les événements, nous étions la seule radio à retransmettre des émissions occidentales, de la Deutsche Welle, RFI ou Radio Liberty. Toutes les autres diffusaient de la musique ou les discours d'Askar Akaïev. Aujourd'hui, je suis plutôt optimiste. Je pense que le pays va à nouveau se développer. Nous espérons que les partis politiques pourront à nouveau fonctionner normalement, que la majorité qui va se dessiner formera un gouvernement avec un premier ministre, et qu'un président, dont le rôle sera purement honorifique, sera élu. Je suis optimiste, je pense que le pays va se développer normalement. Nous avons exprimé des exigences au Parlement, pour que les partis politiques puissent fonctionner normalement, qu'une majorité parlementaire se dessine, qu'un gouvernement soit formé. Nous aimerions que le président ne remplisse qu'un rôle cérémonial, comme en Allemagne.
Pensez-vous que la situation est aujourd'hui plus propice pour les médias ?
Bien sûr ! J'espère maintenant pouvoir ouvrir de nouvelles stations de radio, dans cinq autres régions du pays. D'autre part, nous nous concertons avec d'autres journalistes pour étudier la question de la télévision et de la radio d'Etat et voir comment il est possible de les transformer.
Quel message aimeriez-vous transmettre à l'Europe ?
Je voudrais dire aux Européens qu'ils devraient s'impliquer en Asie centrale et aider cette région du monde. Il se trouve que nous, Kirghizes, sommes les premiers à avoir renversé un président en Asie centrale. Aujourd'hui, l'expérience de l'Europe en matière de démocratie nous intéresse beaucoup : nous aimerions que les Européens nous expliquent comment fonctionne le Parlement, comment les ONG parviennent à défendre leurs droits, ou comment travaillent les médias. Nous souhaiterions que le Kirghizstan ne soit plus un pays si lointain.
J'ai aussi un rêve : je serais très heureux que la chaîne pan-européenne Euronews émette au Kirghizstan, pour que les habitants puissent avoir des informations d'Europe en direct, et non par le biais des médias russes, comme c'est le cas maintenant.
Par Eléonore DERMY