La Bulgarie face à la prolifération des chiens errants

Depuis 1990, la Bulgarie fait face à une invasion de canidés abandonnés ou nés en liberté, tant dans les rues de sa capitale qu’en province. Plusieurs programmes de lutte ont été expérimentés mais ce dossier est encore loin d’être résolu. Au-delà du souci qu’il soulève en termes de sécurité et de salubrité publiques, il confronte l’État bulgare à sa propre déliquescence.


Chiens errants à Sofia.Dénoncée par des mouvements engagés en faveur de la cause animale (30 millions d’Amis, le collectif Bloody FIFA 2018, etc.), l’éradication de milliers de canidés dans le cadre des grands événements sportifs internationaux (tels l’Euro de football 2012 en Ukraine, les Jeux olympiques de Sotchi 2014 et la Coupe de monde de football 2018 en Russie) est l’occasion de rappeler l’ampleur de la prolifération des chiens errants dans plusieurs pays d’Europe de l’Est. La reproduction et l’accroissement incontrôlés d’animaux abandonnés dans les zones urbaines et périurbaines y est un phénomène récurrent, générant de graves difficultés en termes de sécurité et de salubrité. La Bulgarie est un des pays confrontés le plus gravement à la prolifération des chiens de rue.

La déliquescence de l'État bulgare en cause

De 1948 à 1990, le régime socialiste bulgare avait réussi à réguler la population canine sur son territoire grâce à un contrôle strict de l'acquisition des animaux domestiques, les autorités sanitaires locales se montrant particulièrement vigilantes sur ce point(1). La reproduction des animaux restait ainsi sous étroite surveillance. Ces pratiques ont pris fin à partir de la chute du régime (novembre 1989). Au cours de la période de transition postsocialiste, à la suite du limogeage de nombreux fonctionnaires, de la déliquescence de l'administration, de la fuite des cerveaux (biologistes, vétérinaires...), la Bulgarie a perdu le contrôle de la population animale domestique. De nombreux canidés ont été alors revendus sans encadrement sur les marchés locaux. Puis une partie d'entre eux a été abandonnée par leur propriétaire dans les rues des villes et en zone périurbaine, où ils se sont reproduits sans mesure, peuplant peu à peu l'ensemble du paysage urbain.

Au milieu des années 1990, la prolifération des chiens errants a commencé à poser un réel problème de sécurité à Sofia et dans d’autres villes, les chiens se regroupant en meutes et les attaques se multipliant. Ces anciens animaux de compagnie sont également devenus vecteurs de diffusion de maladies : en 1995, 800 personnes (dont 200 enfants) ont ainsi été parasitées par le ténia canin.

À Sofia, lors de la campagne des élections municipales d'octobre 1995, le candidat Stefan Sofijanski avait promis de mettre fin au climat d'insécurité lié à la suroccupation de la voie publique de la capitale par ces animaux errants. Une fois élu, il a sollicité l'entreprise municipale Tchistota (Propreté/Pureté) pour qu'elle forme des équipes cynophiles dédiées à la collecte des chiens en état de divagation sur la voie publique. Malgré des investissements coûteux en matériel et en effectif, le nombre de morsures a atteint son pic en 1998 avec près de 3 000 attaques recensées. Le maire de Sofia a alors lancé un nouveau programme de réduction des chiens errants, axé sur la stérilisation des canidés collectés et leur placement dans les centres d'accueil animaliers de Lozenets et de Mirovjane (district de Sofia). Dans le même temps, la municipalité a créé l'entreprise Zoomilosardie (Charité animale), chargée de gérer les chenils sofiotes et de mener à bien le programme de réduction des chiens errants (1,5 million de levas – 770 000 euros – furent octroyés à cette fin). Près de 47 000 canidés saisis au cours de la même année ont alors été euthanasiés(2). Mais, au début des années 2000, de nombreux jeunes rottweilers et bergers d’Asie centrale furent à nouveau abandonnés à Sofia, permettant à cette population de continuer à croître jusqu'à atteindre 50 000 canidés en liberté. Les mesures prises ont permis de limiter cette prolifération et, au milieu des années 2000, les autorités municipales ne comptabilisaient plus que 16 200 chiens de rue (25 000 selon les associations militantes).

Un changement notable de la politique de contrôle cynophile

Alors que la politique sofiote évoluait sensiblement, quelques mouvements de protection des animaux se montraient déjà très actifs en Bulgarie. Ils dénonçaient à la fois l'abattage systématique et les maltraitances animales dans les chenils, la récupération de fourrures par une branche de l'industrie (sachant que leur origine ne peut être démontrée qu'à l'aide d'un test ADN) qui les revendaient ensuite à l'étranger (notamment en Grande-Bretagne au cours des années 2000), et cherchaient à influencer les autorités locales afin qu'elles privilégient une solution plus pacifique au « péril canin ».

En 2002, la mairie a rebaptisé l’entreprise Zoomilosardie en Ekoravnovesie (Équilibre), un signe annonçant un changement net de politique. Simultanément, elle se rapprochait de la Fondation Brigitte Bardot (FBB), sans toutefois aboutir à des projets concrets, hormis l’ouverture en 2000 par quelques militants de l’antenne sofiote de l’association allemande Vier Pfoten (Quatre pattes) du Dancing Bears Park à Belitsa (ce site accueille d'anciens animaux de cirque). Progressivement, la cause animale gagnait du terrain dans l'opinion publique. En 2004, la Bulgarie a ratifié la Convention européenne pour la protection des animaux et en 2007, le maire de la capitale Boyko Borissov a décidé de mettre fin aux euthanasies. De 1999 à 2007, près de 100 000 chiens errants avaient été mis à mort à Sofia, des milliers d'autres en province. Pourtant, en 2007, on estimait que plus de 11 000 canidés divaguaient encore dans les rues de la capitale. Puis, le 8 février 2008, le Parlement bulgare a voté la Loi de protection des animaux (n°13, elle est entrée en vigueur le 31 janvier 2008(3)).

Dès lors, la politique d'abattage massif a été totalement abandonnée au profit de la castration systématique pratiquée sous l'autorité des maires (art. 41 de la nouvelle loi) : les employés municipaux se sont donc mis à piéger, vermifuger et stériliser les animaux errants avant de les placer dans des abris ou de leur rendre la liberté.

De son côté, l’antenne locale de l’association Vier Pfoten a multiplié les campagnes d’identification, de castration, de vaccination, de déparasitage er d’enregistrement de chiens (et de chats) dans huit municipalités du district de Sofia (Bojourichte, Dragoman, Elin Pelin, Kostinbrod, Pravets, Slivnitsa, Botevgrad et Koprivchtitsa) mais aussi à Rila et Belitsa (Blagoevgrad), tout en promouvant l’adoption d’animaux de rue ou placés dans des abris(4).

En 2009, l'association Animal Rescue Sofia était créée par d’anciens bénévoles de l’abri municipal de Seslavtsi (quartier de la capitale) pour soutenir ces actions. Grâce à un investissement mieux coordonné des pouvoirs locaux et des organisations associatives, le nombre de chiens errants était ramené à 8 500 dans le district de Sofia.

Les campagnes de stérilisation ont ensuite été poursuivies, voire intensifiées (en 2012), tandis que la municipalité commençait à verbaliser les personnes nourrissant les animaux errants, renforçait son contrôle sur leurs lieux de vente (Gorni Bogrov, Bitaka…) et finançait la construction d'un abri d'une surface de 40 000 m2 et d’une capacité d'accueil de 1 000 chiens ou chats à Gorni Bogrov. Enfin, en décembre 2012, la maire Yordanka Fandakova a signé un contrat de coopération d’une durée de dix ans avec Helmut Dungler, président de l’organisation internationale Vier Pfoten(4). Probablement influencées par la politique sofiote, plusieurs centaines de communes bulgares ont progressivement suivi son exemple, notamment en coopérant davantage avec les associations locales.

Évolution récente

Actuellement, dispersées sur le territoire bulgare (26 villes), quarante structures associatives ou collectifs animalistes (dont 7 à Sofia et 5 à Varna) sont pleinement engagés en faveur du bien-être animal (recueil de chiens et de chats, pension, permanence de soins, adoption…).

En 2018, on comptait encore près de 26 000 chiens errants dans le pays, dont plus de 4 000 à Roussé, 3 850 à Sofia, près de 700 à Plovdiv, 400 à Stara Zagora et 350 à Razgrad. À Sofia, la présence des canidés se concentre principalement dans les quartiers périphériques (Kremikovtsi, Krasna Poliana avec Fakoulteta – le quartier rom, Serdika, Podouiane, Pantcharevo, Vrabnica, Liouline)(5). Les autorités savent qu'elles ne doivent pas baisser la garde sur ce dossier sensible. C’est pourquoi, le 13 mars 2019, le programme national de contrôle de la population de chiens orphelins sur le territoire de la Bulgarie a été renforcé avec de nouvelles obligations de recensement local, tous les deux ans et à la charge des municipalités(6).

Notes :

(1) « The dog-related issues », Bulgarian Animal Programs Foundation (BAPF), Sofia.

(2) Hristo Hristov, « Provalenite programi za bezdomnite kučeta » (Programmes infructueux pour les chiens errants), Dnevnik, Sofia, 19 janvier 2005. « Kastracija i vrăštane po mesta » (Castration et remise à la rue), Fondation AFA Bălgarija.

(3) Agence bulgare de Sécurité alimentaire.

(4) Fondation Four Paws, brèves récapitulant l’ensemble des campagnes de castration réalisées par cette organisation non gouvernementale.

(5) « Za provedeno prebrojavane na bezstopanstveni životni na teritorijata na Stolična obština 2017/2018 » (Pour le recensement des animaux errants organisé sur le territoire municipal de la capitale), Four Paws, Sofia, 5 juillet 2018.

(6) « Pravitelstvoto zadălži obštinite da prebrojat i kastrirat bezstopanstvenite kučeta » (Le gouvernement oblige les municipalités à recenser et à castrer les chiens errants), Dnevnik, Sofia, 13 mars 2019.

* Stéphan Altasserre est docteur en Études slaves, spécialiste des Balkans.

Photos : Stéphan Altasserre.

 

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