La Moldavie, terre d’émigration

Pendant la période soviétique, cette petite République située entre l'Ukraine et la Roumanie a connu un vaste mouvement de migrations: tandis que des populations venues d'autres régions de l'URSS peuplaient les villes moldaves, la population locale subissait des émigrations forcées.


La disparition de l'Union soviétique a provoqué une vague de départs des Moldaves, surtout à partir du conflit transnistrien de 1992. Cette confrontation armée, parfois qualifiée de « guerre moldavo-russe », a créé un État-fantôme, la Transnistrie, non reconnu par la communauté internationale et source d'opacité en ce qui concerne le respect des droits de l'homme. Au total (Transnistrie incluse), le territoire moldave aurait perdu plus d'un million d'habitants depuis 1990 et compte aujourd’hui environ que 3,5 millions d'habitants. Selon les estimations des Nations unies, jusqu’en 2050, la Moldavie perdra environ 1 million d’habitants[1].

Au début des années 1990, les premières vagues d’émigration en provenance de Moldavie ont massivement choisi la Russie du fait de la proximité culturelle et des facilités administratives pour partir. Puis, à partir des années 2000, l'Union européenne -l’Italie et l’Espagne en particulier- est devenue la destination favorite des migrants moldaves à la recherche d'une rémunération et d'une spécialisation plus élevées.

Le sacrifice

Largement idéalisé, l’Eldorado occidental a souvent donné lieu à des déconvenues. « Je regrette de ne pas avoir fini mes études, je suis partie un mois avant les partiels de ma dernière année de licence », témoigne Olga Adespea, qui a quitté la Transnistrie pour l'Italie en 1999. « De peur de rompre avec mes parents, je les ai informés la veille du départ, après avoir obtenu mon passeport. Même dix-huit ans après, ils ne m'ont toujours pas pardonnée de les avoir quittés. »

Le visa obtenu par Olga était hollandais, mais toutes les routes mènent à Rome. « La capitale italienne m'a toujours fascinée, j’en suis tombée amoureuse ». À l'arrivée, le rêve s’est pourtant vite évanoui. Dormir dans des entrepôts abandonnés à Rome, dénicher des matelas dans les déchetteries, tout cela peut sembler une aventure mais, rapidement, « cela tourne au cauchemar ».

« Quand je suis tombée enceinte, les propriétaires n'ont plus accepté de nous loger. Je n'ai pas pu rentrer chez moi non plus. Aucun chauffeur ne voulait prendre le risque de me voir accoucher pendant le voyage. C'est ainsi que je suis allée vivre chez les sœurs de la Charité ».

Pour Olga, cette hospitalité aussi a eu son prix : « Ce n'était pas facile. Parfois même inhumain, quand il fallait travailler physiquement, soulever des poids importants et dormir dans des conditions insalubres. Parfois, quand les sœurs voyaient que le terme se prolongeait, elles nous forçaient à travailler plus dur afin de précipiter la naissance. »

« Écrire, c'est essuyer un peu les larmes d'un cœur en pleurs »

Pour Olga, écrire des vers, que ce soit en italien (appris grâce à la télévision), en russe ou en roumain, c’est faire vivre la mémoire partagée par cette génération de « courageux » migrants des années 1990.
« Ni bons ni méchants,
C'est juste le destin,
À ceux qui n'ont pas vêtu nos habits,
Ni marché sur nos pas lointains,
Ne nous jugez point
. »[2]

Olga raconte qu’elle a brûlé une autobiographie presque achevée et qu’elle a refusé qu’on écrive le récit de son itinéraire. Les souvenirs sont trop vifs. « Je suis retournée plusieurs fois chez moi, la situation a empiré. Même si l'idéologie se prétend ‘socialiste’, en réalité la Transnistrie s'achemine peu à peu vers un ‘capitalisme sauvage’. » Olga affirme qu’elle ne pense pas revenir en Moldavie ou en Transnistrie. « Il suffit de regarder ces villages où il ne reste pas plus de vingt habitants. » Pour autant, elle dit ne pas se sentir mieux à l’étranger.

Les autorités moldaves, grandes absentes

Chaque année, de plus en plus de jeunes en âge de travailler quittent la Moldavie. Les cadres continuent d’émigrer massivement, arguant de la corruption et de l’irresponsabilité des élites. De ce fait, le rapport entre population âgée et population jeune permet de plus en plus difficilement à l’État d'assurer la bonne continuité et la qualité des services publics. Cet État dépend largement des transferts financiers de la diaspora, qui comptent désormais pour près de 20% du PIB du pays.

Autre problème, les liens se fragilisent entre les migrants et leurs proches restés sur place. « Je n'ai que très peu de proches là-bas. Pour autant, s'intégrer dans une nouvelle société n'est pas facile. Il faut apprendre à s'adapter aux nouvelles situations. Maintenant, je soutiens ceux qui viennent ici tenter leur chance. C’est ma façon de maintenir des liens entre les migrants, ainsi que notre identité culturelle », précise Olga. Il n’en reste pas moins que les liens, notamment familiaux, ont été profondément bouleversés par ces migrations. Souvent, les partants laissent des enfants sous la tutelle de leurs grand-parents. Le nombre de divorces a aussi augmenté. Autant de problèmes qui ne sont pas pris en compte efficacement par les autorités à Chisinau.

Certes, la bonne volonté de la diaspora peut, à certains égards, pallier ces déficits. Selon l'association moldave de défense des droits de l'homme Promo-LEX, on observe en particulier depuis quelques années un effort de la part de la diaspora pour s'auto-organiser. Il s’agit tout autant de coordonner une entraide que de maintenir un sentiment identitaire et de citoyenneté.

D’après le président de Promo-LEX Ion Manole, l’État reste peu intéressé à surveiller les flux migratoires. Ce qui lui permet de jeter un voile pudique sur le problème démographique qui en découle. L'incertitude autour des chiffres fait l’objet de spéculations largement utilisées dans des intérêts strictement politiques. La réforme électorale moldave adoptée en juillet 2017 n’a par exemple fait l’objet d’aucune étude démographique préalable. Quitte à créer un risque de sous-représentation de la population au niveau de certaines circonscriptions électorales.

Le cas spécifique de la Transnistrie

La région transnistrienne n'est plus contrôlée par les autorités de Chisinau depuis 1992. Si, en 1990, les Moldaves y constituaient la majorité de la population, en 2017 les Russes y étaient un peu plus nombreux (34 % de Russes, 33 % de Moldaves, 27 % d’Ukrainiens et 6 % de Bulgares, Biélorusses, etc.)[3] Outre le conflit de 1992, les causes de départs massifs de la république autoproclamée semblent sensiblement les mêmes que celles rencontrées sur le reste du territoire moldave. La plupart des migrants choisissent encore aujourd'hui la Fédération de Russie, pour des raisons économiques et politiques.

Mais beaucoup se décident à partir aussi afin d'éviter les agressions des forces locales. Ce serait même, en fait, le manque de sécurité qui, aujourd’hui, constituerait la cause principale d’émigration de la République autoproclamée. Dans la mesure où les autorités locales refusent la présence d’associations de défense des droits civiques, il s’avère impossible d’assurer un suivi des victimes. Celles-ci choisissent alors, le plus souvent, de ne rien dire et de fuir. Les membres de Promo-LEX ont toutefois réussi à obtenir gain de cause auprès de la Cour européenne des droits de l’homme dans huit dossiers concernant la république autoproclamée. En conséquence de quoi, depuis le 17 avril 2015, ils n'ont plus accès à la Transnistrie, le KGB local ayant qualifié l’association de « dangereuse pour l'intégrité de République moldave du Dniestr »[4].

Le dernier cas emblématique de départ forcé a été, paradoxalement, celui de Evgueni Chevtchouk, « président » de Transnistrie jusqu’en décembre 2016, qui a affirmé avoir été contraint de passer sur l’autre rive du Dniestr, jusqu’à Chisinau, le 27 juin 2017 de peur d’être assassiné en Transnistrie par ses opposants politiques.

En la matière, force est de reconnaître que les autorités de Chisinau portent là aussi une certaine part de responsabilité. Feignant d’ignorer les situations, elles se refusent généralement à intervenir pour résoudre des cas de violation des droits de l’homme qui amènent des individus à partir. De ce fait, les partants ne se contentent pas de quitter la région transnistrienne. Faute de se voir offrir une protection minimale de la part de l’État, ils émigrent aussi, bien souvent, de Moldavie.

Notes :
[1] Simion Ciochină, «Moldova rămâne fără oameni» («La Moldavie reste sans hommes»), Deutsche Welle, 7 août 2015.
[2] Traduction par l’auteur d’un poème d’Olga Adespea (7 septembre 2017).
[3] Service statistique transnistrien, 2017.
[4] Simion Ciochină, «KGB-ul transnistrean a declarat război ONG-urilor de la Chişinău» («Le KGB transnistrien déclare la guerre aux ONG de Chisinau»), Deutsche Welle, 16 mai 2015.

Vignette : Dans les rues de Chisinau (© Céline Bayou)

Étudiant de master 1 (droit international) à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, président de la Ligue pour les droits de l’homme – Nanterre Université.

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