La musique « nomade », une musique qui se voit

Le Théâtre de la Ville offre à tous les mélomanes un bel aperçu de la musique des peuples « nomades » d'Asie centrale.


Le concert, programmé le 3 mai, accueillera des musiciens venus du Kazakhstan, du Kirghizstan, du Turkménistan et de Khakazie, une république du sud de la Sibérie. A ne pas manquer…

Traditions musicales d'Asie centrale

Deux traditions musicales distinctes caractérisent les peuples d'Asie centrale. L'une, classique, se rapporte aux peuples sédentaires, urbains et musulmans, comme les Ouzbeks, les Tadjiks (et les Ouïgours situés au Turkestan chinois). Ces derniers mis à part, l'aire géographique de cette tradition musicale « savante » correspond à la Transoxiane, région mythique située entre les deux grands fleuves d'Asie centrale, l'Amou-Daria et le Syr-Daria, dont Samarkand et Boukhara sont de brillantes illustrations.

L'autre tradition, la tradition « nomade », se rapporte aux peuples türk de pasteurs transhumants, islamisés plus tardivement et superficiellement, et dont les cultures sont encore fortement teintées de chamanisme. Ce sont les Kazakhs, les Kirghiz et les Turkmènes. Cette tradition musicale est une tradition de « bardes » épiques et lyriques, « qui sont à la fois, tel le nomade qui emporte tout sur lui et se suffit à lui-même, instrumentistes et chanteurs, conteurs, poètes, improvisateurs ou luthiers, historiens, religieux, conseillers, chamanes, barbiers ou guérisseurs »[1].

Aucune percussion ne rythme cette musique, et le barde se produit généralement seul, accompagné de son luth à deux ou trois cordes, qui est dombra chez les Kazakhs et komuz chez les Kirghiz. Une légende rapporte qu'un berger, alors qu'une épidémie décimait plusieurs troupeaux, « éviscéra une de ces bêtes et accrocha les boyaux aux branches de deux arbres éloignés l'un de l'autre. Le vent se mit à souffler et une belle mélodie se dégagea de ces boyaux tendus. Alors le berger les reprit pour en faire les cordes d'un instrument, qui devaient être au nombre de deux. Pour le corps de l'instrument, il prit du bois aux alentours. Depuis, la tradition veut que les musiciens fabriquent leur propre komuz »[2].

Mimétisme avec la nature ou l'importance du geste

La musique des Kazakhs et des Kirghiz nous parle de la steppe ou de la montagne, de la guerre ou de la vie qui s'écoule et raconte les grandes épopées (Manas pour les Kirghiz, Dede Korkut pour les Kazakhs…). Elle s'inspire de la nature, tant dans les rythmes que dans le geste. Le rythme de la musique se calque sur le pas, le trot ou le galop du cheval. Laquelle de la gestuelle musicale ou de la mélodie nous envoûte le plus, on ne pourrait le dire. Une chose est sûre, on est sous le charme. Cette musique des steppes a de particulier sa puissance à nous évoquer mentalement ce que l'on entend. Une musique visuelle, en quelque sorte, qui, si l'on ferme les yeux pour l'écouter, évoque le cavalier qui galope dans cette steppe à perte de vue, celui qui dévale la montagne, ou encore l'oiseau qui prend son envol.

La tradition musicale des bardes nomades atteint des sommets de sophistication avec le Küi, composition instrumentale, véritable « condensé » musical, qui dépasse rarement les 6 minutes. À titre d'exemple, on pourrait mentionner un morceau intitulé « le Cygne », interprété à la dombra, et qui raconte la naissance du peuple kazakh. C'est une fille-cygne, une belle princesse, qui engendra les pères des trois hordes kazakhs. La main droite du musicien reproduit le gracieux battement d'aile de l'oiseau, et le geste, à son tour, engendre la mélodie. La mélodie viendrait-elle du geste? Ou le geste de la mélodie ? L'un ne peut exister sans l'autre. C'est une symbiose parfaite entre le geste et la mélodie, entre l'homme et la nature…

Le disque TURKESTAN, Komuz kirghiz et dombra kazakh, chez Ocora Radio France offre un merveilleux aperçu du concert qui aura lieu au Théâtre de la Ville.

 

Par Cloé DRIEU

Vignette : Photo libre pour usage commercial, pas d'attribution requise

 

[1] DURING, Jean, Musiques d'Asie centrale, L'esprit d'une tradition, ed. Cité de la Musique / Actes Sud, 1998.
[2] Version notée par Sabine Trébinjac, livret du disque TURKESTAN, Komuz kirghiz et dombra kazakh, chez Ocora.

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