La Pologne mise sur l’énergie nucléaire pour 2020

Dépendante à plus de 90 % du charbon pour son électricité, la Pologne parie sur l’atome pour redynamiser son parc énergétique. D’ici à 2020, elle aimerait voir s’installer une première centrale nucléaire de 30 gigawatts sur son territoire. Et doubler cette capacité dans la décennie suivante.


Le réacteur Maria de Swierk, près de Varsovie, installé en 1974Un an après la catastrophe de Fukushima et le nuage de radiations qui a contaminé plus que la seule île du Japon, la production et le développement de l’énergie nucléaire ont subi un certain coup d’arrêt. Dans le monde entier, les sociétés civiles remettent en question la fiabilité de cette énergie. En Allemagne, le gouvernement Merkel a signé la fin du nucléaire d’ici 2022; en France, le débat sur une possible sortie de l’atome s’impose à la présidentielle. Mais la Pologne, au contraire, mise sur une politique énergétique nucléaire pour dynamiser l’avenir du pays. Le Premier ministre polonais Donald Tusk l’a rappelé dans sa feuille de route politique, après sa réélection aux législatives du 9 octobre 2011: «Deux centrales devraient voir le jour d’ici à 2025, la première d’entre elles sera effective en 2020». Un objectif qui avait déjà été révélé à la presse, le 25 janvier 2011, lors d’une conférence du Premier ministre sur le projet de construction de centrales nucléaires en Pologne[1]. Selon le gouvernement polonais, l’énergie nucléaire est l’unique solution pour réduire la dépendance énergétique du pays vis-à-vis du gaz russe, mais aussi face à la hausse du prix du charbon et son traitement. «Une piqûre de modernité pour toute l’économie du pays», commentait-on du côté du ministère de l’Économie, déjà, en juillet 2010[2]. Pour la Pologne, c’est un vaste changement dans le programme énergétique du pays, historiquement tourné vers le charbon.

Moins coûteux en carbone

Selon les estimations du gouvernement polonais, les deux nouvelles centrales devraient réduire la dépendance du pays au charbon. «L’une des conséquences du paquet européen sur l’énergie et le climat est que nous devons modifier notre bouquet de sources énergétiques, et que l’une d’elles est le nucléaire», commentait en février 2009 Maciej Woźniak[3], alors conseiller du Premier ministre Donald Tusk pour la sécurité énergétique. Selon M.Woźniak, les deux centrales couvriraient environ 20 à 25 % de la demande actuelle d’électricité en Pologne. Une alternative au charbon et au lignite, qui approvisionnent aujourd’hui plus de 90% de l’électricité du pays. Mais comme toute énergie fossile, charbon et lignite sont voués à disparaître. Une raison qui en cache bien volontiers une autre: le coût pour la Pologne d’une utilisation dite propre du charbon.

Comme aux autres États membres de l’UE, Bruxelles impose à la Pologne une réduction de ses quotas d’émissions de CO2 dans le cadre du Paquet énergie-climat. Officiellement adopté par le Parlement européen et le Conseil des ministres en décembre 2008, celui-ci prévoit d’atteindre d’ici 2020 le «3 fois 20», à savoir: une réduction de 20% des émissions de gaz à effet de serre, une amélioration de 20% de l'efficacité énergétique et une part de 20% d'énergies renouvelables dans la consommation d'énergie de l'UE. En juin 2011, soit quelques jours avant de prendre la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne, la Pologne s’était illustrée à Luxembourg en s’opposant à tout nouvel engagement de réduction des gaz à effet de serre (au-delà des 20% d’ici 2020 déjà approuvés en 2008 pour le plan d’action énergétique de l’UE), là où le Parlement voulait imposer un nouveau seuil de réduction de 30%, avant de faire volte-face en juillet 2011. La Commission européenne a continué, de son côté, de préconiser dans sa feuille de route «Vers une économie à faible intensité de carbone à l’horizon 2050» (présentée le 8 mars 2011), un objectif de 25% d’ici 2020, 40% en 2030 et 80-95 % en 2050 (par rapport au niveau de 1990). Mais la réaction de la Pologne a été la même qu’en 2008: un veto. Le gouvernement polonais n’a étonné personne en bloquant, le 9 mars 2012, toute étape intermédiaire dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre entre 2020 et 2050.

Le 5 juillet 2011, le quotidien polonais Rzeczpospolita dans son article titré «Le gouvernement polonais sous la pression de l’UE sur le climat»[4], estimait qu’un objectif plus élevé de réduction de gaz à effet de serre serait «un véritable défi pour la Pologne», mais surtout un risque pour certaines industries lourdes fortement consommatrices d’énergie, dont les coûts de production augmenteraient dès lors, ce qui menacerait leur compétitivité. Citant les propos d’un expert, l’article indiquait que l’industrie énergétique dépense annuellement 2 milliards d’euros en droits d’émissions de C02, coût qui ne ferait qu’augmenter en cas de restriction supplémentaire.

Dans un tel contexte, l’option du nucléaire est présentée comme une solution permettant de lutter contre les émissions de gaz à effet de serre. Un signe vers Bruxelles en vue d’une possible prochaine réconciliation avec les objectifs européens, puisque la Pologne repense son bouquet énergétique en faveur de sources moins polluantes et notamment faibles en carbone.

Deux centrales

Plus économique aussi, le coût de revient de la production d’énergie atomique est plus bas que celui du traitement du charbon. Le ministère polonais de l’Économie estime le coût des investissements à 2.500 euros par kilowatt électrique, alors qu’il faut compter 4.000 euros pour ce même kilowatt produit par une centrale au charbon dotée d’un dispositif de séparation de CO2. Le coût global de la production d’électricité par des centrales nucléaires, évacuation des déchets comprise, est estimé à environ 57 euros par mégawatt (0,7 centime d’euros par kilowatt)[5].

Le Programme de l’énergie nucléaire polonaise prévoit «au moins» deux centrales nucléaires, anticipe le gouvernement de Donald Tusk. «La première avant 2020 et la suivante trois ou quatre ans plus tard», avait déjà déclaré en février 2009 Maciej Woźniak, lors d’une conférence organisée par l’Institut français des relations internationales (Ifri), à Bruxelles. Il précisait, dans un autre entretien, que le projet serait financé par des crédits privés, les ressources propres de l’État et par celles d’industriels, avant d’ajouter: «Nous voulons voir le terminal de réception des fournitures arrivé au quatrième trimestre de 2013, voire dans les premières semaines de 2014»[6]. Le 25 novembre 2011, enfin, Tomasz Zadroga, l’ex-président du groupe polonais d’énergie PGE, leader du projet, à la recherche de partenaires financiers et techniques, annonçait à la presse: «Dans les prochaines années, la construction de la première des centrales commencera au bord de la Baltique, dans le nord du pays».

De quoi les voisins ont-ils peur?

Mi-janvier 2012, le gouvernement polonais a été en proie aux menaces des anti-nucléaires allemands. 30.000 mails implorant la Pologne de ne pas céder aux sirènes du nucléaire sont arrivés sur la messagerie du ministère de l’Économie. Le voisin allemand –qui a décidé, après la catastrophe de Fukushima, d’engager une dénucléarisation du pays– ne voit pas d’un bon œil l’utilisation de l’énergie atomique à deux pas de chez lui. «Les protestations de la société allemande, ou de quelque autre pays, ne freineront pas la réalisation du programme polonais d’énergie nucléaire»[7]. Telle est la réponse que leur a faite Hanna Trojanowska, plénipotentiaire du gouvernement pour l’énergie nucléaire. Elle espère même accélérer son calendrier et s’appuie sur le traité de Lisbonne pour justifier sa position. «Rappelons-nous qu’en accord avec le traité européen, chaque État membre a le droit souverain de choisir son propre mix énergétique. L’Allemagne, comme la France ou la Grande-Bretagne, ont construit la puissance de leur économie en grande partie grâce à une énergie nucléaire fiable et peu chère», écrit-elle, en janvier, sur le portail Energetykon.pl.

Néanmoins, la voix des opposants au nucléaire se fait entendre en Pologne même. C’est le cas de l’organisation à but non lucratif Antyatom Polska, un collectif présent sur le réseau social Facebook, ou encore de l’organisation Inicjatywa AntyNuklearna (www.ian.org.pl).

Gąski (Poméranie occidentale), Żarnowiec et Choczewo (Poméranie) sont les trois villes pour le moment retenues par PGE pour la construction des centrales nucléaires. Le choix final se fera fin 2013. Dans ces villes, les protestations ont commencé. Le 13 février 2012, les habitants de la commune de Mielno (qui en compte environ 5.000) ont voté, lors d’un référendum, contre la construction de la première centrale polonaise à Gąski, un village de vacances d’été. Résultat du vote: 2.237 personnes contre le projet nucléaire, 125 pour. La municipalité de Mielno se fait l’écho de cette opinion sur la première page de son site Internet[8]. À l’occasion du premier anniversaire de la catastrophe de Fukushima, des manifestations ont eu lieu à Varsovie, Gdańsk, Katowice ou Szczecin, à l’initiative d’organisations écologistes telles que Greenpeace ou le parti des Verts 2004 (Zieloni 2004). Ces derniers ont adressé une lettre ouverte au Premier ministre pour protester contre l’énergie nucléaire en Pologne. À Szczecin, les manifestants arboraient des banderoles où était écrit: «Tchernobyl, Fukushima, Gąski», «La Baltique pour les familles polonaises. Non à l’atome».

Pour faire cesser ces mouvements de protestation, une campagne nationale, «Oui à l’atome en Pologne» («Tak dla atomu w Polsce») doit s’ouvrir début avril. Des spots apparaîtront à la télévision, à la radio, sur Internet et dans la presse, avec un objectif ambitieux: faire en sorte que plus de la moitié de la population polonaise soutienne le développement de l’énergie nucléaire. D’après un sondage réalisé sur ce sujet en mars 2011, 48% de la population s’opposait à l’atome dans le pays[9]. PGE, le plus grand groupe énergétique électrique en Pologne, multiplie de son côté les messages de sensibilisation: «Notre priorité reste la sécurité, et c’est pour cela que nous allons construire les centrales uniquement en prenant en compte les technologies les plus récentes […]. Au Japon, la centrale qui a été endommagée avait été conçue il y a plus de 50 ans»[10], précisait Tomasz Zadroga, ex-président de PGE, en mars 2011. L’entreprise prévoit aussi des actions destinées à «rassurer» la population: ouverture de points d’informations, cycles de consultations avec la société locale, voire même visites d’études -pour des groupes d’habitants- dans d’autres régions balnéaires d’Europe où fonctionnent des centrales (en Espagne, notamment).

Ce type d’arguments ne saurait rassurer Jan Haverkamp, expert pour Greenpeace dans le domaine du nucléaire. «Cette énergie est très dangereuse. Après l’accident qui s’est produit à l’usine de Fukushima, la France a dû injecter des milliards d’euros pour accroître la sécurité de ses sites». Avant même la catastrophe japonaise, Jan Haverkamp soulignait déjà le coût toujours plus élevé des installations nucléaires[11]. «Le prix d’origine des réacteurs EPR a été de 2,5 milliards d’euros pour le Parlement de Finlande, en 2001. Le contrat a finalement été signé pour 3,2 milliards d’euros et aujourd’hui, on parle d’un bloc qui a coûté dans les 6,6 milliards d’euros». Information confirmée le 13 octobre 2011 par une estimation d'Areva[12]. Pour l’expert de Greenpeace, c’est la preuve que la hausse du niveau de sécurité augmente indéniablement le coût des constructions nucléaires. Sans assurance absolue qu’une prochaine catastrophe pourra vraiment être évitée.

Notes :
[1] Extrait vidéo You Tube de la conférence de presse du Premier ministre polonais Donald Tusk du 25 janvier 2011: http://www.youtube.com/watch?v=GJMlUvegnQg (en polonais).
[2] Interview d’Hanna Trojanowska, plénipotentiaire du gouvernement pour l'énergie nucléaire, sous-secrétaire d’État au sein du ministère de l'Économie, pour le magazine Polska Energia, diffusé et actualisé sur le site du ministère de l’Économie le 20 juillet 2010: http://www.mg.gov.pl/Serwis%20Prasowy/Wywiady/Hanna%20Trojanowska/Polska%20Energia.htm (en polonais).
[3] «La Pologne choisit le nucléaire pour diminuer sa dépendance au charbon», Euractiv.fr, 6 février 2009: http://www.euractiv.fr/energie/article/pologne-choisit-nucleaire-diminuer-dependance-charbon-001353.
[4] «Polski rząd pod unijną presją klimatu», Rzeczpospolita, 5 juillet 2011, http://www.rp.pl/artykul/683310.html.
[5] FEDRE (Fondation européenne pour le développement durable des régions, http://www.fedre.org/content/pologne-retour-lenergie-nucleaire. Forum Nucléaire Suisse / Malgorzata von Werdt / M.Re. / C.B. d'après des sources diverses.
[6] «Woźniak: la Pologne revient vers le nucléaire», Euractiv.com, 6 février 2009, http://www.euractiv.com/fr/energie/wozniak-pologne-revient-nuclaire/article-179215.
[7] Lettre d’Hanna Trojanowska sur le portail Energetykon.pl, «Hanna Trojanowska o protestach niemieckich landów w sprawie wdrażania w Polsce energetyki jądrowej», 18 janvier 2012 http://energetykon.pl/?p=23137 (polonais).
[8] http://www.mielno.pl/pl/aktualnosci/referendum-lokalne-2012.
[9] Résultat du sondage téléphonique mené par TNS OBOP les 23 et 24 mars 2011. Newsweek, 25 mars 2011, http://spoleczenstwo.newsweek.pl/polski-atom-dzieli-polakow--nowy-sondaz-obop,74332,1,1.html. [10] Dépêche PAP (Agence de presse polonaise) reprise par Rzeczpospolita, 13 mars 2011, http://www.rp.pl/artykul/626133.html.
[11] Compte-rendu de la conférence du comité économique et social européen du 30 novembre 2009 «Energie nucléaire: Opportunités et risques, points de vue de la société civile européenne et des acteurs concernés», http://www.confrontations.org/images/confrontations/IMG/pdf/2009-11-30_Compte_Rendu_CESE.pdf.
[12] «Le surcoût de l'EPR finlandais est évalué à 3,6 milliards d'euros», Le Monde avec l’AFP, 13 octobre 2011, http://www.lemonde.fr/economie/article/2011/10/13/le-surcout-de-l-epr-finlandais-est-evalue-a-3-6-milliards-d-euros_1586822_3234.html.

Vignette : Le réacteur Maria de Swierk, près de Varsovie, installé en 1974 © Bartosz Marcin Kojak/Wikicommons (2007).

* Virginie WOJTKOWSKI est journaliste pigiste.