Dans ce pays à l’identité culturelle forte qui se revendique comme une «île latine dans une mer slave», des intellectuels se positionnent et amènent leur réflexion sur l’avenir de la Roumanie. Entretien avec Doru TALABA, professeur des universités et directeur de recherche en robotique exerçant à l'université de Brasov.
Pouvez-vous nous décrire votre rôle et votre mission à l’université de Brasov ?
En tant que directeur de laboratoire de recherche, j’enseigne les mécanismes et la conception assistée par ordinateur. J’anime une équipe de recherche en robotique et en réalité virtuelle composée de 7 enseignants et 11 chercheurs au niveau doctoral et postdoctoral. Au sein du laboratoire, je m’occupe de la gestion du personnel, des budgets, des développements de projets, des contrats et de l’infrastructure. En dehors des salaires du personnel qui proviennent du gouvernement via l’université, le laboratoire est financé par des contrats de recherches. Ces contrats, dont je suis en charge peuvent être négociés aussi bien avec la Commission européenne qu’avec des partenaires roumains (entreprises privées). En fait, l’entrée dans l’UE n’aura pas vraiment de répercussions sur la gestion de nos budgets puisque nous fonctionnons déjà comme une entité européenne depuis environ 5 ans.
Quel bilan feriez-vous des changements connus par la Roumanie depuis 1989 ?
Cette question a une réponse très claire : les changements sont radicaux. Ils étaient tout simplement inimaginables pour les Roumains en 1989. Illustrer cette réponse est toutefois complexe, il est difficile de se représenter les dimensions de ce changement tant à l’échelle de la société, qu’à l’échelle de l’individu. Pour ma part, à l’université, les améliorations se sont manifestées en termes d’enjeux, d’objectifs, de climat de travail et de fonctionnement. Mais concernant les méthodes d’enseignement et les protocoles de recherche, cela n’a pas évolué que dans le bon sens. Ce constat est naturel : les grands bouleversements amènent des challenges qui peuvent apparaître négatifs dans un premier temps, mais qui se révèlent positifs sur le long terme. Une chose est sûre, si le communisme avait perduré, j’aurais eu une vie professionnelle beaucoup plus tranquille et rangée. D’un point de vue personnel, la question ne se pose même pas. Aujourd’hui ce qui caractérise les Roumains actifs dans cette nouvelle donne, c’est le manque de temps. Chacun se sent complètement débordé, cela est mon cas mais également celui de toutes les personnes qui occupent un poste de management. Cela doit vous donner une idée de l’ampleur du changement que connaît la Roumanie. Aujourd’hui ici tout le monde manque de temps.
Quelles sont vos attentes et vos appréhensions quant à ce changement ?
L’entrée dans l’UE est très clairement l’aboutissement d’un long souhait pour la Roumanie. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’entrée dans l’UE va renforcer l’identité des Roumains, qui ont toujours été soumis à l'influence de l’Est et de l’Orient. Ils n’ont pourtant de sentiment d’appartenance ni à l’un ni à l’autre. Comme dit le proverbe "La Roumanie est une île latine dans une mer slave".
J’espère que nous réussirons à améliorer et prendre en exemple le modèle social, politique et économique des pays européens. Le but étant de construire une vie correcte et d’apporter un minimum vital à ceux qui n’ont rien. Toutefois, pour que le projet européen avance, l’UE doit se débloquer au niveau politique. Que cela soit en France, en Allemagne ou dans les autres pays de l’UE le système fonctionne bien, mais pour beaucoup d’autres pays membres, il est urgent d’agir pour que leur système soit plus efficace. C’est pour cette raison que nous avons été abasourdis lorsque l’on a appris que la France, à l’origine de la constitution l’avait rejetée ! D’un autre côté, nous avons conscience qu’il faudra du temps pour que la campagne roumaine intègre le processus d’entrée dans l’UE. A l’heure actuelle, les villages roumains se voient dévalisés de leur population active, qui, pour un grand nombre, travaille déjà dans l’UE ! Nous espérons que la Roumanie sera capable de se construire dans ce nouvel environnement, mais il est temps qu’elle ne limite plus ses réformes à des aspects macroéconomiques et qu’elle rentre dans les détails.
Quelle est la position de vos étudiants par rapport à ce futur ?
Les étudiants s’expriment peu sur le sujet mais agissent déjà en tant que citoyens européens. Ce qui est flagrant c’est qu’ils se sentent libre d’envisager leur carrière en dehors des frontières roumaines, à l’échelle de l’Europe. Ils envisagent leur avenir professionnel avec beaucoup de dynamisme en faisant alterner des périodes de travail à l’étranger dans des multinationales européennes et des périodes de recherche en Roumanie. La question de l’intégration ne se pose donc pas pour eux, la réalité est qu’ils sont déjà intégrés. Le plus grand bouleversement est déjà passé. Ils sont donc libres de se sentir européens et ils seront sûrement les premiers à en tirer avantage !
* Dorothée HERMANT est Business Development Eastern Europe