Ce qui est bon pour les Balkans est bon pour l’Europe!

Les opinions publiques dans nombre des quinze anciens Etats membres de l’Union européenne (UE) font de plus en plus grise mine lorsqu’il est question d’élargir l’UE et doutent de sa capacité de gérer l’arrivée de nouveaux entrants. En dépit de cette fatigue grandissante eu égard à de nouvelles adhésions, il est indispensable d’intégrer à l’UE les Etats balkaniques comme la Bosnie-Herzégovine, la Macédoine, le Monténégro et la Serbie ainsi que l’Albanie pour garantir la paix et la stabilité en Europe du Sud-Est et dans l’ensemble du continent européen.


Trans-Balkan ExpressL’UE a explicitement affirmé son engagement en faveur de cette région à l’occasion du sommet européen de Thessalonique en 2003 et l’a réitéré dans la « déclaration de Salzbourg » le 10 mars 2006, soulignant que l’objectif ultime de ces pays sera l’adhésion à part entière. Toutefois, les ministres européens des Affaires étrangères ont également déclaré à Salzbourg que « la capacité d’absorption de l’UE doit être prise en compte ». Ceci signifie que l’adhésion n’est plus « automatique ».

Un success story méconnu

Les arguments ne manquent pas pour justifier l’arrêt des élargissements, mais il n’en reste pas moins que ce processus est le success story le plus méconnu de l’histoire récente de l’UE, compte tenu du fait que l’adhésion des pays d’Europe centrale et orientale en 2004 constitue une réelle réussite macroéconomique. Selon une étude de la Commission européenne publiée en mai 2006, les retombées économiques de l’adhésion se traduisent par une croissance soutenue dans les nouveaux Etats membres et par l’arrivée d’un flux notable d’investissements étrangers. Ainsi, beaucoup de réformes imposées par l’UE ont porté des fruits.

Dans les anciens Etats membres, en revanche, des problèmes économiques persistants et la fermeture d’usines liée aux délocalisations sont à l’origine de l’image négative de l’élargissement. Il est donc impératif que les dirigeants européens et les chefs d’entreprises promeuvent plus activement les avantages de l’extension de l’UE. Car si les opinions publiques échouent de prendre conscience de l’importance des bienfaits, le processus pourrait bien s’arrêter avec des effets catastrophiques pour les voisins immédiats de l’UE, notamment pour les Balkans.

Les spécificités des pays balkaniques

En réaction à cette « fatigue d’élargissement », la présidence autrichienne de l’UE durant la première moitié de 2006 a mis sur sa liste des priorités politiques le renforcement de la perspective européenne des pays de la région. Cette volonté a été affirmée après de multiples actions politiques menées par l’UE en Europe du Sud-Est au quatrième trimestre 2005 : en octobre 2005, la Croatie a reçu le feu vert pour l’ouverture des négociations d’adhésion et les pourparlers avec la Serbie-et-Monténégro sur un Accord de Stabilisation et d’Association (ASA) ont été lancés. La Bosnie-Herzégovine a été invitée à commencer les négociations sur un ASA. En décembre 2005, la Macédoine a obtenu le statut d’Etat candidat. Enfin, le 12 juin 2006, un ASA a été signé avec l’Albanie et les négociations avec le Monténégro ont débuté en septembre 2006.

Mais les Balkans ont également une longue histoire de conflits interethniques, aggravés récemment par des problèmes liés à l’apparition du crime organisé et de la contrebande à une grande échelle. La perspective d’adhésion pourrait aider à résoudre ces difficultés. A l’instar des huit nouveaux Etats membres centre-européens, la pression qu’exerce Bruxelles sur les autorités nationales pourrait induire une dynamique de réformes et favoriser le développement économique mais aussi le renforcement de la démocratie, des droits de l’homme et de la protection des minorités dans les Balkans.

L’hésitation européenne quant à l’avenir de la région risque de radicaliser la politique, un phénomène que l’on peut observer actuellement en Serbie. La popularité grandissante du SRS (Parti radical serbe) peut être lié à la peur de perdre le Kosovo et à la récente indépendance du Monténégro. Mais l’absence d’une perspective européenne claire joue également un rôle et les implications politiques pour les Balkans au cas où la Serbie et d’autres pays resteront en dehors de l’UE pourraient être dramatiques et déstabiliser la région.

L’aspect financier

L’aspect financier est un des principaux éléments de l’engagement de l’UE dans les Balkans. A cet égard, une série de problèmes risqueront de se poser dans les années à venir car les priorités dans l’attribution des fonds européens en Europe du Sud-Est pourraient donner lieu à des critiques. Alors qu’en 2002, les pays des Balkans occidentaux ont reçu au total 756 millions d’euro d’aide, ce montant a été réduit à 634 millions en 2003 et à 557 millions en 2005.

Alors que cette baisse des financements peut se justifier partiellement par la fin de la reconstruction de l’après-guerre en Bosnie-Herzégovine et au Kosovo, le déséquilibre croissant de l’aide entre les pays in» et les pays out risque de créer des tensions. Tandis que la Bulgarie et la Roumanie recevront 1,6 milliard d’euro en 2007 et plus que 3,2 milliards en 2008 en tant que nouveaux États membres, la Serbie se voit attribuée, à l’heure actuelle, un montant encore moins important que celui qu’elle a reçu en 2005 en tant que Serbie-et-Monténégro (282 millions).

L’obligation morale

Pour toutes ces raisons, l’UE doit reconsidérer son approche eu égard aux Balkans aussi bien sur le plan financier que politique. Les pays de cette région doivent être intégrés à l’Europe sur le plan politique et doivent continuer à recevoir une aide financière adaptée : l’UE a une obligation morale de les aider et les négliger relèverait de la folie pure. Les dirigeants européens doivent être conscients du fait que la pauvreté contribue à aggraver l’instabilité politique et économique aussi bien que favoriser l’extrémisme.

L’élargissement de l’UE vers les Balkans ne doit pas être sacrifié sur l’autel de l’euroscepticisme. C’est le message sans ambiguïté qui doit être adressé à ceux qui s’interrogent sur la sagesse de continuer d’accueillir de nouveaux pays au sein de l’UE. Les Balkans sont une région avec 22 millions d’habitants où les tensions sont souvent près de la surface. L’aspiration principale que partagent tous les pays de la région est de devenir membre de l’UE à laquelle ils appartiennent, selon eux, de droit. Comme l’a souligné l’ancien Haut Représentant en Bosnie-Herzégovine, Paddy Ashdown : L’Union européenne est la seule colle qui fait tenir les Balkans. Mais la réserve grandissante des Etats membres préoccupe grandement les pays en Europe du Sud-Est et a provoqué nombre d’avertissements de la part de représentants internationaux tel que Martti Ahtisaari, envoyé spécial des Nations unies chargé de superviser les négociations sur le statut final du Kosovo qui demande l’UE de rester ferme eu égard à l’adhésion à l’UE des pays des Balkans.

Parallèlement, d’aucuns au sein de l’UE semblent ignorer que la stabilité des Balkans est vitale pour l’Europe aussi bien sur le plan politique qu’économique ou, selon les propres mots d’Olli Rehn, commissaire européen de l’Elargissement : Ce qui est bon pour les Balkans est bon pour l’Europe!

* Kilian STRAUSS est analyste indépendant.