La stratégie de l’UE en Asie centrale: quelles relations entamer avec l’Organisation de Coopération de Shanghai ?

Avec l’adoption de la Stratégie d’Assistance pour l’Asie centrale en 2007, l’Union européenne a reconnu la nécessité de développer des relations étroites avec les Etats de la région. Toutefois, le succès de cette stratégie est conditionné par un dialogue avec l’Organisation de Coopération de Shanghai qui est à présent une des organisations les plus dynamiques dans les domaines de la défense et du développement économique de la région centre-asiatique.


Avec l’adoption de la Stratégie d’Assistance pour l’Asie Centrale en 2007, l’Union Européenne a reconnu la nécessité de développer des relations étroites avec les Etats de la région. Toutefois, le succès de cette stratégie est conditionné par un dialogue avec l’Organisation de Coopération de Shanghai qui est à présent une des organisations les plus dynamiques dans les domaines de la défense et du développement économique de la région centre-asiatique.

Au cours de ces derniers mois, l’Union européenne a élaboré une stratégie visant à renforcer sa présence en Asie centrale, à développer différentes formes de coopération (promotion de la stabilité politique et de la sécurité de la région, engagement pour un développement économique et lutte contre la pauvreté). Grâce à cette stratégie de coopération avec les républiques centre-asiatiques, l'UE compte en réalité s'engager davantage dans la lutte contre le terrorisme fondamentaliste qui constitue une menace à la stabilité européenne, en consolidant aussi une politique alternative de diversification énergétique qui permit une diminution de sa dépendance par rapport à la Russie. A terme, cet engagement européen devrait aussi pousser les présidents centre-asiatiques à l’adoption de réformes économiques et sociales, à une ouverture du système politique et surtout à une action plus attentive dans le domaine des Droits de l’homme.

Dans ce cadre, l’Union européenne pourrait développer des relations bilatérales avec les cinq républiques de la région sur la base d’une politique extérieure européenne partagée. Cependant, la réalisation d’une stratégie plus incisive, impliquant tous les acteurs politiques régionaux, nécessiterait l'instauration d'un dialogue avec l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS), une des organisations régionales plus importante comprenant toutes les républiques d’Asie Centrale (à l’exception du Turkménistan) ainsi que la Chine et la Russie.

Dépasser la méfiance vis-à-vis de l’OCS

L’OCS représente actuellement l’organisation inter-étatique la plus dynamique dans la région centre-asiatique, où elle joue un rôle considérable afin d’assurer la stabilité, le développement et la sécurité pour tous ses Etats-membres. L’OCS est une entité politique avec laquelle l’UE peut développer des formes de coopération économique et de collaboration en matière de sécurité des frontières et de stabilité politique. Or elle n'a guère été prise en considération dans l’élaboration de la stratégie centre-asiatique de l’UE.

Il existe en effet encore beaucoup de résistances politiques en Europe et une certaine méfiance envers une collaboration avec l’OCS. Cela s'explique par la position dominante de la Russie et de la Chine qui conditionnent la stratégie politique de cette structure régionale afin d’accroître leur propre influence dans la région. L’OCS est perçue comme une organisation anti-occidentale parce que les présidents des Etats membres ont renforcé leurs politiques autoritaires et antidémocratiques afin de prévenir les effets de possibles «révolutions colorées» -qui menacent la stabilité de leur pouvoir- et parce que l’OCS vise à réduire l’influence américaine et occidentale en Asie Centrale, ce qui reflète les intérêts stratégiques militaires et économiques chinois et russes[1].

Il faudrait donc surmonter cette méfiance et se concentrer sur la création d’un dialogue entre les deux organisations afin d'atteindre les buts suivants: un renforcement de la coopération économique qui offrirait de nouveaux débouchés aux marchés centre-asiatiques -enclavés par leur position géographique-, en influençant aussi le développement de la région, et une coopération dans le domaine de la sécurité qui contribuerait à la stabilité politique de l’Asie centrale face à la menace de factions terroristes.

Une coopération entravée

L’instauration d’un dialogue et de formes de coopération dépendrait de la volonté politique de l’UE et de l’Organisation de Coopération de Shanghai de s’engager dans cette direction, mais les intérêts nationaux des Etats de chacune des deux organisations constituent des freins.

Côté européen, la difficulté d’affirmer une stratégie unitaire vis-à-vis de l’Asie centrale s’explique par l'absence de politique extérieure commune, du fait d’intérêts économiques et politiques divergents. Cette divergence est apparue notamment lorsqu'a été évoquée la question de la levée des sanctions contre l'Ouzbékistan. C'est sous la pression de l'Allemagne et de la France qui estimaient plus important de dialoguer avec le gouvernement ouzbek plutôt que de maintenir son isolement international, que les sanctions ont été allégées en 2007. En revanche, la Grande-Bretagne et les Etats d’Europe du nord s’y opposaient parce qu’il n’y avait pas eu d'engagement du gouvernement de I. Karimov dans le domaine de Droits de l’homme et des libertés politiques[2]. Le même clivage est apparu à propos de la candidature du Kazakhstan à la présidence de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe en 2009.

La Russie, quant à elle, tire avantage de ce manque de stratégie commune de l'UE en établissant des accords énergétiques bilatéraux avec les Etats européens par l'intermédiaire de Gazprom.

Au sein de l’OCS, les pays d'’Asie centrale, politiquement et économiquement trop faibles pour s’opposer à la Russie et à la Chine, bénéficient de leur participation à cette structure régionale. Entre Russie et Chine, persiste une rivalité latente sur le futur modèle de développement de l’OCS, qui reflète deux idéologies différentes: la Russie préfère se concentrer sur des problématiques de sécurité tandis que la Chine serait plutôt favorable à la création d’un marché commun entre membres de l'OCS. Les républiques centre-asiatiques se méfient de ces transformations radicales proposées par la Chine et la Russie qui ne changeraient pas leur condition de dépendance et qui ne permettraient pas de maximiser les revenus de l’exportation de leurs ressources naturelles[3].

Quelle évolution possible?

L’engagement mutuel de l’OCS et de l'UE dans le domaine de la sécurité et de la coopération économique devrait constituer la plate-forme idéologique sur laquelle pourraient s'engager un dialogue et une future collaboration sur des objectifs partagés.

L’OCS devrait consolider ultérieurement sa structure institutionnelle en constituant des organismes supranationaux afin de dialoguer avec les institutions européennes déjà existantes.

Une question importante serait, en outre, la définition du rôle des Etats qui ont actuellement le statut d’observateurs au sein de l’OCS: l’intégration de la Mongolie, de l’Inde, du Pakistan et de l’Iran transformerait l’OCS en un sujet politique et économique puissant, à même de contrôler et d'influencer une région stratégique d’un point de vue géopolitique. Cette perspective rendrait encore plus indispensable pour l’UE le développement de relations avec l’OCS.

Les résistances des Etats centre-asiatiques à une éventuelle entrée de l’Iran –ils craignent les répercussions internationales que pourrait avoir la question nucléaire– présentent un défi intéressant pour l'UE qui pourrait jouer un rôle de médiateur en cherchant à modérer la politique iranienne.

Avec une politique extérieure commune, l’UE pourrait se positionner comme interlocuteur privilégié, fort d’une stratégie unitaire qui lui permettrait de poursuivre les objectifs de coopération souhaités dans la région centre-asiatique. L’instauration et le renforcement d’une collaboration avec l’OCS permettrait aussi à l’Europe de chercher à sensibiliser les Etats de l’OCS dans les domaines de la démocratisation, des réformes politiques, économiques et sociales. Un premier pas dans cette direction pourrait être la consolidation du dialogue avec le Kirghizstan et le Kazakhstan –Etats de l’OCS considérés comme les plus modérés politiquement et les plus ouverts à une collaboration avec l’Occident- afin d’affaiblir les positions anti-occidentales qui semblent prévaloir au sein de l’OCS.

[1] Dans cette perspective, on peut citer le soutien diplomatique sino-russe au président I.Karimov dans son interprétation de la répression d’Andijan et à sa décision de ne pas renouveler la concession aux Américains de la base aérienne de Karchi-Khanabad.
[2] Les sanctions prévues par l’UE à l'encontre du gouvernement ouzbek étaient motivées par le refus de celui-ci d'accepter qu'une commission internationale conduise une enquête indépendante sur les événements d'Andijan de mai 2005.
[3] Cependant, le Kazakhstan, l'Ouzbékistan et le Turkménistan (qui ne fait pas partie de l’OCS) ont obtenu, le 11 mars 2008, de Gazprom une augmentation du prix du gaz qu’elles vendent à la Russie. On observe le poids croissant des négociations que mènent ensemble les républiques centre-asiatiques et qui pourraient produire des résultats à long terme seulement au sein d’une stratégie unitaire.

* Fabio INDEO est collaborateur de l'Osservatorio Scenari Internazionali de Gênes et doctorant en Géopolitique.

Vignette : © Berthold Kemptner

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