La suburbanisation en République tchèque: Besoin de nature ou effet de mode?

Les campagnes tchèques à la périphérie des grandes villes connaissent depuis quelques années une « renaissance » : les citadins en quête de nature s’installent dans des cités-dortoirs[1] qui transforment le paysage périurbain.


Panneau de signalisation en république tchèqueIl s’agit d’une évolution récente qui résulte du décalage entre l’offre et la demande. En effet, le régime communiste investissait avant tout dans la construction de grands ensembles au détriment du logement individuel. Ce n’est qu’après la chute du communisme en 1989 que de nombreuses familles ont enfin pu réaliser leur rêve et quitter leur appartement pour s’installer dans une maison familiale à la périphérie de la ville. Cependant, leur rêve tourne parfois au cauchemar, à la fois pour ces néo-ruraux et pour les municipalités. Ces dernières sont débordées par l’afflux de nouveaux habitants et n’arrivent pas à mettre en place des services appropriés.

La transformation de villages en cités-dortoirs

La région la plus concernée est bien sûr Prague et ses environs. Prenons le cas du village de Kvetnice, à l’Est de la capitale, qui se trouve à quinze minutes de voiture d’un terminus du métro praguois. Il y a quelques années, Kvetnice paraissait être l’endroit « idéal » pour s’installer : le village attirait les citadins par un paysage idyllique qui comprenait un étang et un grand parc. Aujourd’hui, le village est devenu le champion de la suburbanisation. En dix ans, son nombre d’habitants est passé de cent à deux mille cinq cents habitants. De plus, cette croissance sans précédent n’est pas finie et le nombre d’habitants pourrait encore doubler d’ici quelques années.

Kvetnice concentre aujourd’hui les problèmes des cités-dortoirs construites à la sauvage: elle manque de services de base, tels qu’école maternelle, supermarché, poste ou cabinet médical. Les nouveaux lotissements ne disposent pas non plus de routes asphaltées, sans même parler de trottoirs, ou d’éclairage public[2]. Le soir, les parents équipent même leurs enfants de lampes frontales pour qu’ils puissent continuer à jouer dehors. « Nous vivons ici dans des conditions provisoires », confirme Marketa Strosova, mère d’une fille de trois ans.

« Mais ce n’est pas pour autant que l’on veut partir », ajoute la jeune femme, prête à faire des sacrifices pour que ses enfants puissent courir dans le jardin. Elle fait partie de celles que l’on qualifie désormais en tchèque de « veuves vertes ». Ce terme désigne les femmes qui restent au foyer pour s’occuper de leurs enfants et se retrouvent souvent toutes seules dans leur nouvelle maison au milieu des champs, alors que leur mari fait des heures supplémentaires pour pouvoir payer le crédit de la maison. Ce sont les femmes au foyer modernes, sur le modèle du feuilleton américain Desperate Housewives[3].

Des quartiers parasites dont les habitants se cherchent

Etant donné le manque de services dans de nombreuses cités-dortoirs, les néo-ruraux se retrouvent condamnés à faire des allers et retours entre leur maison et la ville qu’ils voulaient fuir. Lucie Kotrbova décrit les difficultés de cette nouvelle identité : « Il n’y a rien à faire et les gens ne veulent plus avoir un mode de vie campagnard. On aimerait avoir un hôpital, une école maternelle, un supermarché ou un terrain de tennis. Finalement, on n’habite ni en ville ni à la campagne ».

Pour ne pas couper complètement leurs liens avec la ville, beaucoup d’entre eux y gardent leur adresse permanente. Cela fait grincer les dents la municipalité de leur nouveau domicile qui est ainsi privée de ressources financières. « Les cités-dortoirs deviennent des quartiers parasites, alors que la municipalité doit désormais s’occuper des réseaux et de l’éclairage public », explique Vaclav Cilek, auteur d’une étude sur la suburbanisation en Bohême centrale. En effet, construire les infrastructures pour l’habitat pavillonnaire coûte très cher étant donné la faible densité de l’habitat.

Finalement, les autochtones au mode de vie plutôt modeste finissent par payer pour les nouveaux venus, plutôt aisés. Pour les municipalités, cela peut représenter une difficulté à long terme, car l’entretien des infrastructures dans ces nouveaux quartiers pèsera à l’avenir lourd dans leur budget. De plus, ce phénomène est accentué par la faible taille des communes en République tchèque par rapport aux autres pays européens.[4]

L’impact des cités-dortoirs sur le paysage face à une législation insuffisante

La croissance exponentielle de ces cités-dortoirs laisse également une empreinte dans le paysage. « Beaucoup de gens s’imaginaient qu’ils allaient vivre dans la nature. Mais ils se sont rendu compte qu’il n’en restait rien », résume l’architecte Zdenek Lukes. Comme le montre l’exemple de Kvetnice, c’est ce qui arrive quand trop de gens rêvent en même temps d’une vie près de la nature. Etant donné la nouveauté du phénomène, les maires manquent souvent d’expérience dans ce domaine. « Il arrive que l’administration signe un contrat sans être capable de vérifier les clauses juridiques. Par la suite, les entreprises BTP en abusent et manquent à leurs engagements, » explique Martin Ourednicek du Département de la géographie sociologique de l’Université Charles de Prague.

Les urbanistes soulignent qu’il faudrait renforcer le cadre législatif: un plan d’occupation des sols qui empêcherait les entreprises de multiplier les constructions à la sauvage. Il citent en exemple l’Allemagne ou l’Autriche, où la suburbanisation ne serait pas un phénomène aussi récent et où les autorités arriveraient à mieux contrôler l’extension urbaine. D’après eux, en revanche, les anciens pays communistes, dont la République tchèque, n’ont pas une vision globale de leur territoire. Avec trente ans de « retard » par rapport à l’Europe occidentale, la suburbanisation tchèque remet donc en question le rôle de la campagne.

Revitalisation de la campagne ou phénomène de courte durée ?

Peut-on cependant parler de la renaissance de la campagne ? Celle-ci a été une grande perdante de la période communiste durant laquelle a été encouragé le développement des villes et de leurs industries. Pour pouvoir loger ces nouveaux urbains, les années 1970-1980 ont été marquées par la construction de grands ensembles. La Révolution de velours de 1989 a marqué un tournant : elle a inauguré le début d’une nouvelle période dans le domaine de l’urbanisation. A partir de 1995, la tendance s’est inversée, car la campagne offrait des terrains constructibles bon marché. Les gens ont donc commencé à fuir les villes.

Il faut se demander si ce retour massif à la nature est un phénomène de longue durée qui permettra une revitalisation de la campagne ou une mode passagère qui prendra fin quand les générations qui auront grandi dans les cités-dortoirs commenceront à fonder leurs propres familles. A Prague, on recommence aujourd’hui à construire des immeubles de logement et certains architectes considèrent que dans quelques années, les gens retourneront vivre en ville. L’architecte Jakub Kyncl tire la sonnette d’alarme : « Etant donné les difficultés à les transformer, les cités-dortoirs marqueront le paysage pour une centaine d’années. »

Pour l’ancien président Vaclav Havel, la construction de cités-dortoirs avance à une vitesse inquiétante. « Attention, on est en train de mettre du béton partout ! » prévient-il. La suburbanisation tchèque se fait en effet dans la précipitation, pour répondre rapidement au besoin de nature d’une génération marquée par la vie dans des habitats collectifs.

Notes :
[1] Les Tchèques utilisent le terme de « ville-satellite » pour désigner les nouvelles habitations qui se développent à la périphérie des grandes villes. En France, on utilise plutôt le terme de « cité-dortoir » pour désigner les communes dépourvues d’activités économiques qui dépendent complètement de la grande ville voisine.
[2] Cette vidéo propose quelques images de la cité-dortoir de Kvetnice :
http://respekt.ihned.cz/video/c1-41035380-v-kvetnici-to-nekvete
[3] Il s’agit d’un feuilleton américain culte. Sur son modèle, les chaînes tchèques proposent deux nouveaux feuilletons qui ont pour cadre la vie dans les cités-dortoirs.
[4] Cf. Rapport du Sénat :
http://carrefourlocal.senat.fr/divers/les_communes_en_europe

 

Par Zuzana LOUBET DEL BAYLE
Source photo : © Vojtěch Hönig, http://respekt.ihned.cz

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