S’il est une région qui permette de vérifier le slogan de l'office du tourisme finlandais « la Finlande, ou la Scandinavie avec l'âme slave », c’est peut-être la Carélie finlandaise. Et le monastère de Valamo pourrait être d’ailleurs un de ces lieux où l’observation rencontre la promesse des dépliants.
Valamo est situé à 400 kilomètres au nord-est d'Helsinki, entre Varkaus et Joensuu, sur la rive méridionale du lac Juojärvi, le lac « si clair qu'on peut le boire ». Par le sud, accès principal réservé aux cars de touristes, Valamo est fléché par le panneau des sites « d'intérêt culturel », qui signale en Finlande aussi bien une église, un parc naturel, un élevage de rennes ou une usine de pâte à papier. Par le nord, une route en terre et gravillons, comme la plupart des routes secondaires de Scandinavie qui sont ainsi plus faciles d'entretien l'hiver, est fléchée Pappiniemi, ancien nom du domaine où s'est installé le monastère.
Valamo est un mélange de vieux et de neuf élaboré au gré de l'histoire et des fluctuations des frontières européennes. Le nom complet du monastère en finnois est Uusi Valamo, c'est à dire « Nouveau Valamo ». En effet, l'établissement d'origine de Valamo, ou Valaam, est situé depuis le XVe siècle sur l’île du même nom, sur le lac Ladoga, actuellement en Russie, mais situé en Finlande entre 1812 et 1945. En 1940, lors de la Guerre d'Hiver, Vanha Valamo, le « vieux Valamo », a été entièrement évacué, comme la plupart des populations de cette région, vers l'intérieur de la Finlande, pour fuir l'avancée soviétique. Cette évacuation préfigurait celle qui, une fois la partie orientale de la Carélie cédée par la Finlande à la Russie après l'armistice, allait affecter toute la population carélienne de langue finnoise, ramenée, relogée et réimplantée sur le territoire finlandais, dans un grand mouvement de nationalisme et de solidarité. Dans cette transplantation (170 kilomètres vers le nord-ouest), Uusi Valamo aurait pu soit perdre l'essentiel de ses attaches russes et « s'occidentaliser » tout à fait, soit devenir un musée traditionaliste un peu étroit. La chemin trouvé n'a été ni l'un ni l'autre, et donne un lieu très particulier.
Liberté et respect
L'hôte de Valamo est libre d'aller et venir sur tout le site du monastère, qui va du lac à la forêt voisine, et est organisé en divers bâtiments : un bâtiment culturel regroupant des salles d'exposition et de réunion, l'église principale, la plus récente, et l'église ancienne, plus simple mais où les icônes les plus précieuses sont conservées, les bâtiments d'accueil et d'hôtellerie, le restaurant, Trapeza, dont le nom rappelle les racines grecques de l'orthodoxie, ainsi que le sauna. On trouve également sur le territoire du monastère un bâtiment appelé Académie ou Collège, où sont organisés des séminaires spirituels et des stages d'apprentissage de peinture d'icônes ainsi qu’une boutique présentant souvenirs plus ou moins kitschs, livres religieux et vin de baies fabriqué par les moines.
Le visiteur est libre d'assister ou non aux offices, d'y entrer et d'en sortir pendant la célébration. Ce dernier détail est répété à l'accueil et dans tous les dépliants, sans doute parce qu'il peut choquer les habitués des offices catholiques ou protestants. Mais ces allées et venues sont facilitées dans les offices orthodoxes par le fait que l'assistance est debout et l'église dépourvue de bancs, si ce n'est sur les côtés pour les personnes âgées ou malades. Libre également de lire, de marcher, de déjeuner ou dîner comme on le souhaite. En échange, les moines demandent de respecter l'aire autour de leur bâtiment, interdite aux visiteurs, mais simplement marquée d'une barrière blanche ; ils demandent également de respecter la décence vestimentaire et le silence le soir après 21 h.
Les habitants et les visiteurs de Valamo
Vêtue d’un costume traditionnel carélien que plus personne ne porte sauf au musée ethnographique de plein air d'Ilomantsi situé à cent kilomètres de là, Selma vante aussi la qualité du restaurant, du vin, et des promenades en bateau organisées sur le lac. Viennent à Valamo des touristes finlandais, suédois et russes qui passent au mieux la journée entre le lac, le restaurant (réputé dans la région) et la boutique, et qui consomment Valamo, sans qu'on les écarte ni qu'on les incite plus qu'ailleurs à la consommation. Où l'on peut acheter une icône faite sur commande avec des pigments précieux dont le prix n'est précisé que sur demande... Le week-end, les voitures avec des plaques d'immatriculation russes se multiplient sur le parking, les offices sont très suivis, par des fidèles endimanchés, et il y a queue à la boutique. Mais cette activité de surface, sans être négligeable, est aussi une écume: à partir de 19 h, l'extérieur s'efface, il ne reste plus que les résidents, la nature dans laquelle le monastère est immergé ramène les oiseaux, les lapins, les moustiques.
La présence quotidienne des racines russes de Valamo
Car Valamo croise les cultures et les bonnes volontés: les portes de l'église sont décorées d'inscriptions en russe, mais tous les offices sont en finnois, la librairie est majoritairement fournie de livres hagiographiques en finnois, mais on y trouve aussi des Bibles grecques... Les frontières ne sont pas niées : la région a été trop marquée par leur fluctuation pour qu'on les ignore. Mais il semble qu'en quelque sorte ces fluctuations mêmes poussent à ce qu'à Valamo au moins, vu le contexte spirituel qui y règne, elles soient relativisées. Le pilote des excursions sur le lac ne cache pas la pierre qui servait de frontière entre la Russie et la Finlande lors du traité de Täyssinä en 1595 : à cette époque, le site de Valamo, qui n'était encore qu'une propriété boisée, se trouvait en Russie.
Valamo croise aussi les hommes: à part les moines, le personnel qui fait fonctionner tout l'appareil touristique l'été est majoritairement bénévole, logé sur place, comme Selma. Elle explique qu'elle passe là tous ses étés depuis plus de dix ans : pour les contacts, parce que le travail l'intéresse, parce qu'elle aime l'endroit. Selma est Finlandaise, Carélienne, orthodoxe : elle porte le costume avec plaisir, même si elle le quitte dès qu'elle sort de Valamo. Autour d'elle, des hommes et des femmes de tous âges et de toutes sortes, comme Trainee, 22 ans, Finlandaise, d'Helsinki, luthérienne, étudiante en économie. D'autres sont Russes, à la cuisine notamment, quelques-uns Suédois. Le restaurant offre des petits déjeuners finlandais, avec orge ou riz au gratin, concombres et poisson ; déjeuner et dîner sont déclinés en deux versions: finlandaise et carélienne avec plats locaux et poissons du lac, mais aussi russe, notamment une tea-table le soir avec samovar, petits pâtés de viande, légumes et riz diversement épicés, cornichons, crème aigre et gâteaux.
Le moine qui tient parfois la caisse de la boutique, explique que la majorité des moines de Valamo, comme lui, sont Finlandais: quelques uns, parmi les plus âgés, sont Russes, mais depuis les années 1990 et la reviviscence de l'ancien Valamo sur le lac Ladoga, le « recrutement » de l'autre côté de la frontière a considérablement diminué.
* Martine FURNO est professeur agrégé de Lettres Classiques, enseigne le latin à l'Université de Grenoble et mène des recherches sur l'histoire culturelle du XVIe siècle.
Source photo : www.valamo.fi