L’art d’une survivance communautaire réussie, ou comment préserver l’identité socio-culturelle tatare ?

Trois questions à Rashitov Fried Aïnievitch, directeur de l’Académie des Sciences tatares et l’Institut d’histoire de Saratov, docteur en histoire et directeur d’études à l’université d’Etat de Saratov.


L’influence socio-culturelle de la communauté tatare est-elle proportionnelle à son importance numérique ?

Il y a 55.000 Tatars dans la région de Saratov. C’est peu, mais le rôle social et culturel de notre communauté est plus conséquent que le pourcentage qu’il représente. Car les Tatars ont un poids historique sur ce territoire. Ils vivent ici depuis 800 ans environ.

Les Tatars de la région, comme ailleurs, ont toujours mis l’accent sur la culture, l’éducation et la formation. Avant la révolution, la plupart de nos mosquées étaient accompagnées d’une école. Un système qui a permis de maintenir un niveau d’éducation élevé. Après 1917, les Tatars ont commencé à recevoir une éducation non religieuse, comme tout le monde. Aujourd’hui, de Saratov à Kazan en passant par Moscou, notre communauté est encore connue pour son niveau d’éducation.

Pour ne parler que de Saratov, la communauté tatare compte vingt docteurs en Sciences et une centaine de candidats au doctorat. Une affirmation culturelle qui a permis une ascension sociale active sur la scène régionale. Ces dernières années, s’y est aussi ajouté le développement du ‘’capital’’ tatar : de nombreuses entreprises florissantes ont vu le jour. Signe de l’enrichissement de notre communauté, même si une frange encore trop importante rencontre toujours des problèmes économiques quotidiens.

Une communauté ethnique ou socio-économique ne peut vivre ou s’affirmer sans symbole. Quels sont les vôtres ? 

L’une des facettes de notre communauté est directement reliée à l’ancienne ville mongole d’Oukiek {Ukek, Uvyek selon les orthographes, NDRL}, à une vingtaine de kilomètres de Saratov. Le fondateur de cette ville fortifiée était le seigneur mongol Batu Khan, au XIIIe siècle. Aujourd’hui, nous envisageons d’y construire un centre culturel tatar.

L’un des autres symboles forts de notre communauté reste la mosquée. La plupart des imans de la région sont des Tatars. De même, la messe est célèbrée essentiellement en langue tatare. Par exemple, Moukkadas Birbasov, l’iman de la grande mosquée de Saratov, est lui-même tatar. Il est accompagné par un Ouzbek.

Plus d’un an après l’ouverture de votre académie, quel bilan feriez-vous?

Les résultats sont encore modestes, mais nous avons déjà publié quelques ouvrages sur l’histoire et l’avenir du peuple tatar. Je m’inquiète cependant de la baisse du nombre de jeunes qui parlent la langue tatare, en dépit du succès rencontré par la maternelle et le gymnase. Ouvert en 1992, ce dernier accueille des jeunes de 7 à 17 ans pour y apprendre la langue tatare, qui est turcophone. Sont également enseignés l’arabe et notre culture, en plus du programme classique. 275 éléves suivent nos enseignements pour 750 roubles par mois.

Reste que l’administration régionale n’encourage pas l’ouverture d’autres écoles communautaires. Le gouverneur, à l’instar du maire de Saratov, Iouri Avsionienko, ont déjà œuvré en notre sens.

Pourtant le problème majeur demeure l’influence et la pérennité de notre communauté en dehors de la capitale régionale Saratov. Par exemple dans la ville voisinne d’Engels, où vivent plus de 5.000 tatars, notre communauté n’a pas autant d’influence sur le pouvoir local, et elle est dépourvue d’école.

Propos recueillis par Célia Chauffour, Saratov, mars 2004