« Belarus ? Where is it ? Is it Russia ? », telles sont les questions les plus fréquentes qu’entend un Bélarusse en voyage à l’étranger. En un peu moins de 25 ans d’indépendance, le Bélarus n’a pas réussi à se forger une image distincte, ni à se donner une identité dans l’espace mondial de l'information.
On peut noter toutefois les succès remportés par des sportifs bélarusses, comme le transfert du footballeur Alexandre Hlieb du club londonien Arsenal à celui de Barcelone, les victoires du BATE Barissaù sur le Bayern de Munich et sur Lille, la conquête du titre de «Première raquette mondiale» par Viktoria Azaranka, ainsi que les trois médailles d’or gagnées par Daria Domratchava en biathlon à Sotchi. Ils ont permis au mot «Bélarus» de figurer de temps à autre au Top 5 des recherches sur Google.
Mais, il n’en va pas de même pour sa culture et sa musique. Entendre une chanson de musiciens bélarusses sur une radio européenne ou américaine équivaut à trouver un trèfle à quatre feuilles ou la fleur d’une fougère.
Une culture planifiée
En URSS, la variété officielle était essentiellement constituée de musique populaire. À ce titre, elle faisait l’objet d’une censure minutieuse. Bien entendu, la musique de ces chansons était généralement composée par des membres de l’Union des compositeurs. Ce qui supposait tout à la fois une grande exigence vis-à-vis des chansons et un cadre étroit pour la création, notamment en ce qui concerne les textes, qui avaient essentiellement pour thèmes la patrie ou l’amour.
À la fin des années 1960, un nouveau mouvement est apparu dans la variété soviétique, à savoir les ensembles vocaux et instrumentaux. Ils étaient composés de musiciens professionnels officiels qui interprétaient des chansons écrites par des professionnels. Ils avaient reçu l’approbation du Conseil artistique[1]. Mais, même dans ces conditions strictes, des autodidactes apparaissaient parfois, comme par exemple, le groupe bélarusse Pesniary qui a effectué des tournées dans la moitié du monde, et qui est toujours considéré comme une gloire nationale au Bélarus. John Lennon aurait même dit de Pesniary qu’il était l’un des meilleurs groupes qu’il ait jamais entendu, mais rien n’atteste cette légende.
Chaque Maison de la culture avait son propre ensemble vocal et instrumental qui donnait régulièrement des concerts, enregistrés dans sa comptabilité. Ce système soviétique «planifié» de l’utilisation des ressources budgétaires s’est perpétué dans le Bélarus d’aujourd’hui. À présent, l’objectif des fonctionnaires de la Direction du travail idéologique, de la culture et de la jeunesse n'est pas de gagner de l'argent grâce à l'organisation d’événements culturels intéressants et de qualité. Ils ont chacun un plan des fêtes et des tâches à remplir ces jours-là. Lorsqu’ils les ont accomplies, les fonctionnaires rendent leur rapport sur le travail effectué et reçoivent une prime.
L’un des premiers producteurs bélarusses dans le domaine musical, Ouladzimir Koubychkine, commente cette situation: «Lors des négociations avec les régions au sujet de l’organisation de concerts, on peut souvent entendre qu’elles auraient été heureuses d’accueillir tel ou tel musicien, mais il y a une liste d’attente, constituée d’artistes recommandés par les instances les plus variées, à commencer par le chef du Comité exécutif de la région. Le mécanisme est le suivant: l’administration régionale envoie les formalités à remplir pour l’organisation d’une tournée au département culturel de la région qui le transmet aux départements culturels des villes. C’est ainsi que se forme peu à peu une liste de ces ‘’hors liste’’ et que huit de mes quatorze concerts prévus ont été annulés. On me dit qu'on aurait été contraint de programmer, à la place, un concert de quelqu’un recommandé en haut lieu. Tout cela bien que la salle soit bien mieux remplie de façon naturelle, c’est-à-dire sans l’intervention des syndicats professionnels. Vous savez, c’est très décourageant.
Pourtant, les mots «tournée commerciale» sous-entendent non pas comptabilité ou avantages pour un fonctionnaire, mais ils signifient gagner de l’argent pour l’artiste, pour le propriétaire de la salle et pour celui à qui appartiennent les équipements de sonorisation. Mais voilà, ceux qui ne remplissent même pas la moitié de la salle sont prioritaires. Et ceux qui peuvent la remplir, sont obligés d’attendre leur tour pendant des années.
De ce point de vue, nous avons bel et bien conservé le système soviétique. Chaque année, des milliers de jeunes artistes diplômés sont affectés à des groupes de musiciens et de danseurs. Il faut, bien entendu, leur donner du travail et les payer. Et ces salles leur sont attribuées en premier lieu. De plus, dans les petites localités, les gens ont d’autres dépenses à faire que l'achat de billets pour un concert.»[2]
La difficile situation économique ne contribue pas à accroître l’engouement pour les spectacles musicaux. Ces derniers temps au Bélarus, entre le pain et les divertissements, les gens doivent choisir d’abord le premier. C’est pourquoi les artistes de variété utilisent d'autres ressources administratives pour réunir des spectateurs dans les salles et gagner leur vie. Ainsi, Aliaksandr Saladoukha, respectable musicien à l’échelle du Bélarus, téléphone personnellement aux directeurs d’entreprise dans les villes dans lesquelles il envisage de se produire. Et il leur demande que les syndicats distribuent des billets aux employés de ces entreprises. Tous ne peuvent pas se permettre de refuser cela au maître officiel du show business bélarusse.
«Écoute du bélarusse!»
Au début des années 2000, un vaste programme a été lancé par le gouvernement pour substituer la production bélarusse aux produits d’importation. Le solde de la balance commerciale, largement déficitaire, devenait en effet un problème économique majeur. Directement ou pas, ce programme s’est aussi étendu à une partie importante du show business, à savoir les chaînes de radio.
Le slogan «Écoutez du bélarusse!» destiné à promouvoir la musique nationale est né au sein du ministère de la Culture en 2005. Les radios FM étaient alors censées diffuser au moins 75% de compositions bélarusses. Néanmoins, il est apparu au bout de quelque temps que les radios perdaient non seulement de l’audimat, mais aussi de l’argent. La monopolisation du marché musical par des artistes de variété, sans personnalité et «clonés», et l’absence de concurrence (tout artiste ayant passé la censure de la rédaction était diffusé sur les ondes), les formats des radios ont perdu de leur caractère singulier. Et la mauvaise qualité de la production musicale a suscité chez les auditeurs le sentiment que «Bélarusse signifie mauvaise qualité». Les nouveaux producteurs de musique et les héritiers des ensembles vocaux et musicaux soviétiques jouissant d’une certaine notoriété n’ont pas tardé à utiliser la nouvelle loi et donc les nouvelles possibilités qui s’offraient à eux.
C’est ainsi qu’en 2005, le producteur Maks Aleïnikov a fondé le groupe Topless. En dix ans d’existence, ce groupe, composé initialement de quatre filles, et qui a enregistré en tout et pour tout un seul album, s’est produit lors de toutes les fêtes et festivals d’importance organisés par l’État, et il a reçu plusieurs prix. Mais la composante créative n'a jamais été une priorité chez Topless. «Pourquoi comparer le Bélarus avec l’Occident? C’est vraiment idiot. Parce que nos racines sont en Russie. Elle donne le la en matière de modes et de musiques ici.»[3]
Et il ne faut pas nous raconter que la création se situe au-dessus de tout. C’est l’argent qui se trouve au-dessus de tout. Le show business fonctionne selon les mêmes règles qu'ailleurs. Quand les «acheteurs» ne sont pas les spectateurs mais les compagnies, la relation à la musique n’est foncièrement qu’une relation à la «marchandise». C’est ce qui a fait apparaitre des groupes comme Las Vegas, AmaZonki, Iamaïka, dont le principal but était d’obtenir un niveau de popularité suffisant pour se produire régulièrement lors d'événements privés organisés par des entreprises. Comme il se doit, le choix de ces groupes se faisait non pas sur audition, mais sur photos. La nouvelle productrice du groupe Topless, Sviatlana Lis, déclare: «Nos clients préférés sont le club sportif présidentiel, le concessionnaire Audi, le club de football BATE Barissaù, la société Belatra, Evroopt, et la représentation de Gazprom au Bélarus. Nous avons maintenant tellement de clients que les énumérer tous est difficile. Des concerts plutôt intéressants ainsi qu'une nouvelle collaboration avec d’autres sociétés bélarusses, notamment, sont prévus. C’est pourquoi nous sommes plus que convaincus que nous n’allons pas chômer et que nous allons pouvoir nous acheter de nouvelles robes chères pour nos concerts!»[4]
Une réalité parallèle
Le show business bélarusse ressemble à une pièce fermée qui n'aurait pas été aérée depuis longtemps et dont les propriétaires n'auraient pas besoin d'air frais. Ils aiment la vieille odeur de naphtaline d'une histoire qui renferme leurs souvenirs d'adolescence et de jeunesse, une odeur qui leur donne un sentiment de sécurité.
Le premier festival indépendant de musique bélarusse Bassovichtcha s'est tenu pendant vingt ans sur le territoire du pays voisin, la Pologne. Le concours du festival a permis de découvrir de nombreux grands noms de la scène underground bélarusse: Zet, Partyzone, BN, IQ48, Indiga et beaucoup d'autres encore. Il a aussi donné l'occasion de jouer à des groupes comme Neuro Dubel, Krama, N.R.M, et Liapis Troubetskoï qui, à diverses reprises, se sont trouvés sur des «listes noires» en raison de leur activité citoyenne. En 2011, est apparue une nouvelle «liste noire» de musiciens dont les concerts ont été annulés et dont les chansons n'ont plus été programmées par les radios, après qu'ils aient signé un appel aux autorités du Bélarus à libérer toutes les personnes arrêtées lors des manifestations qui avaient suivi l’élection présidentielle du 19 décembre 2010.
Toutefois, des groupes comme Krambamboulia et Liapis Troubetskoï ont donné des concerts à guichet fermé dans les plus grandes salles de Vilnius, de Kiev et de Prague, et la plupart des spectateurs, dont le billet pour le concert avait remplacé le visa, venait du Bélarus. Aujourd'hui, Liapis Troubetskoï, et Zmitser Voïtsiouchkevitch sont encore persona non grata au Bélarus. Il leur est pratiquement impossible d'y effectuer une tournée.
Les musiciens bélarusses ont en tête l'idée que s'épanouir et devenir célèbre au Bélarus n'est possible qu'en devenant populaire dans les pays voisins. Les groupes Max Korj et IOWA, plusieurs fois nominés pour les prix les plus prestigieux de Russie ainsi que le groupe The Toobes qui, parti en Pologne, a conquis le public et les jurys de tous les concours polonais, en sont des exemples fameux. Au Bélarus, la pratique de la musique reste au mieux un hobby et sort rarement du cadre d'une salle de 1.000 personnes.
Notes :
[1] Le Conseil artistique rassemblait des acteurs du secteur de la culture et des représentants du Parti et de l'État, chargés d'examiner et d'évaluer la valeur artistique et la conformité à l'idéologie de la production proposée, avant de la mettre à la disposition des spectateurs, lecteurs et auditeurs.
[2] www.sb.by
[3] www.gazetaby.com
[4] www.onliner.by
Vignette : Le groupe Iamaïka (photo profil Facebook).
Traduction : Hélène Rousselot.
Lien vers la version originale du texte en russe
* Correspondant spécial du portail bélarusse www.ultra-music.com.
Consultez les articles du dossier :
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