Âgé de 29 ans, Dejan Spasovic vit et travaille à Skopje, en ex-République yougoslave de Macédoine. Cet artiste participe tant à des projets régionaux qu'européens en présentant des œuvres dans le domaine des multimédias, de la sculpture... Il s'investit également dans la création musicale et attache une grande importance à la performance.
Dejan Spasovic présente dans ce texte son point de vue sur la scène artistique contemporaine en Macédoine.
Dopé par l'implication massive de la Fondation Soros au début des années 1990, l'art contemporain macédonien souffre désormais du désengagement de ce bailleur de fonds essentiel. Même au cours de l'âge d'or, les ambiguïtés du soutien occidental, le carcan du « politiquement correct », ont fait sentir leurs effets. Ils sont d'autant plus dévastateurs aujourd'hui qu'il n'existe pas d'alternative crédible à un recours aux financements européens et que les conditions que ceux-ci imposent sont inadaptés au paysage culturel macédonien.
Avec l'arrivée, dans les années 1990, du centre Soros(1). en ex-République yougoslave de Macédoine, la situation de l'art contemporain macédonien a changé. Toutes les actions avant-gardistes ou appartenant aux mouvements underground sont d'un seul coup devenues des référents pour les artistes macédoniens. Les personnes employées dans ce centre voulaient faire participer la Macédoine aux courants majeurs de la création contemporaine et ont conduit toute une génération de jeunes artistes à travailler dans le domaine des nouvelles technologies et des multimédias. Les deux premiers projets financés par le SCCA ont été « Image Box » et « Icône sur argent ». Il s'agissait de projets multimédias ayant bénéficiés de moyens importants.
« Le travail du SCCA a joué un rôle prédominant dans la construction de standards de promotion et de communication, mais aussi dans l'ouverture de la scène artistique macédonienne à la création électronique et digitale »(2).
Le « syndrome de la montgolfière » comme avatar culturel de la thématique du « retard »
Parmi ces jeunes artistes qui terminaient alors leurs cursus à l'université des Beaux-Arts de Skopje et qui ont commencé à privilégier l'usage des nouvelles technologies, on trouve Ana Stojkovic, Slavica Janeslieva, Nikola Velkov, Hristina Ivanovska, Irena Paskali, Dejan Spasovic, Olivier Musovic… Pourtant si l'on pousse l'analyse, tout en prenant un peu de recul, on peut trouver une autre grille de lecture pour comprendre ce phénomène. En fait, l'Europe (ou le monde) voulait propager ou promouvoir quelques idées précises à travers ces artistes qui n'en avaient souvent pas conscience. L'une des idées directrices était que l'Occident nous devançait, et que nous étions à sa traîne sur la scène artistique mondiale. Cette réalité pourrait apparaître à travers la métaphore du « Syndrome de la montgolfière ».
Le doux vent venu d'Occident s'est engouffré dans le ballon et l'a élevé à une hauteur bien contrôlée. Le souffle fait, alors, comprendre à la montgolfière qu'elle est libre à cette altitude d'entamer un « voyage créatif ». Mais il y a comme toujours un « mais » : si la douce brise n'alimente plus le ballon, le « vol libre » de la montgolfière se transformera vite en chute libre…
Soros en fuite … Retour sur terre
Vous vous demandez certainement à quoi rime cette métaphore et pourquoi il n'y a pas de « happy end ». La raison en est simple : la montgolfière ne peut évoluer que dans une aire réservée qui est gouvernée non par les règles universelles des arts et de la culture, mais par quelque chose qui est placé au-dessus de la création : l'idéologie politique. Ainsi, les artistes sont obligés de répondre aux invitations des commissaires locaux et étrangers pour des expositions portant toujours en titre l'un des qualificatifs suivants : « Est-européen », « Balkanique », « Ouest-balkanique », « Art des minorités »…
Rares sont les artistes macédoniens qui ont participé à des expositions excluant ce genre de thèmes « politisés ». Quand cela arrivait, c'était uniquement parce que ces artistes avaient refusé de se soumettre à ce conditionnement et s'étaient battus désespérément contre tout étiquetage réducteur.
Chacun de nous se demande pourquoi la montgolfière ne poursuit pas sa libre envolée. Deux raisons sont apparentes. D'abord, après dix ans d'activités, le centre Soros a considérablement diminué (voire stoppé) le financement de projets artistiques et culturels. Ensuite, comme nous l'avons noté plus haut, les possibilités financières des artistes sont réduites au minimum quand il s'agit de produire et réaliser un projet se plaçant hors du contexte imposé et liant systématiquement l'art à la situation dans les pays balkaniques. Pour s'occuper d'art, les artistes ne peuvent compter que sur leurs propres ressources ou se présenter aux concours annuels organisés par les structures et les fondations européennes et internationales.
Mais pour obtenir ces subventions, il faut remplir certaines conditions comme, par exemple, la participation des minorités nationales. Dans le cas de la Macédoine, il s'agit de la participation de la minorité albanaise. Or, ironie du sort : très peu d'artistes albanais travaillent dans le domaine des nouvelles technologies et des multimédias…
En d'autres termes, si les artistes de Macédoine ne trouvent pas un moyen de se dégager de l'engrenage qui les tient à la traîne des leaders de la scène artistique européenne et internationale, la montgolfière continuera à se dégonfler et sa chute s'accéléra jusqu'au choc final et catastrophique…
Vignette : Université Saints-Cyrille-et-Méthode de Skopje, faculté des beaux-Arts (© Aspiriniks, CC BY-SA 3.0)
Par Dejan SPASOVIC et traduit par Milana CHRISTITCH
Notes :
1. Georges Soros, riche financier d'origine hongroise résidant aux Etats-Unis, a créé dans les années 80 la Open Society Institute (OSI), dont le siège est à New York et dont le réseau s'étend à une cinquantaine de pays. L'objectif de cette fondation est d'inculquer à ces pays les normes d'une société occidentale adaptée au phénomène mondialiste. Plusieurs programmes, allant dans ce sens, ont été établis tant dans les domaines politique et économique, que dans ceux de la culture, de l'éducation, de la santé,… En ce qui concerne les arts, 17 centres d'art contemporain ont été ouverts en Europe de l'Est. Depuis 1999-2000, ces centres sont devenus indépendants (ils ne bénéficient donc plus du soutien financier de l'OSI) et ont formé un nouveau réseau ICAN (International Contemporary Art Network), basé à Amsterdam.
2. "In den Schluchten des Balkan", Contemporary Art in Macedonia, Zoran Petrovski.